Chasseur paléolithique et gibier

L’homme paléolithique est un chasseur qui respecte peut-être un sentiment de solidarité mystique avec le gibier. Cette relation mystérieuse avec les animaux pourrait se fonder sur l’acte même de tuer et sur le sang versé. Puisque l’être humain et l’animal ont le même sang, abattre une proie reviendrait à faire un sacrifice. L’art de la préhistoire pourrait-il exprimer une forme de magie spirituelle entre le chasseur et le gibier ?

Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Publication 26 juillet 2022 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. – Le paléolithique inférieur, des origines à 100 000 avjc. – Le paléolithique moyen, de 100 000 à 40 000 – 35 000 avjc. – Le paléolithique supérieur, entre 35 000 et 10 000 avjc. Chronologie Préhistoire

UNE MYTHOLOGIE DE LA CHASSE ?

L’attitude d’un bison couché, peint en rouge, situé dans la grotte d’Altamira, en Espagne, rappelle la position du fœtus. Comme aussi la position de défunts magdaléniens dans leur sépulture. L’univers artistique paléolithique pourrait suggérer un lien mystique ou magique entre les animaux et les êtres humains…

Voir aussi les articles Histoire du sacré… le paléolithique… et La préhistoire. L’être humain paléolithique sacralise la mort, la vie et la procréation

Le thème de la métamorphose chez les chasseurs

Des populations traditionnelles (dites « archaïques ») de chasseurs pensent que les animaux possèdent des pouvoirs surnaturels. Elles croient aussi que l’être humain peut se transformer en animal, ou qu’un animal peut se métamorphoser en humain.

Par ailleurs, dans diverses contrées du monde, des peuplades de chasseurs de culture ancestrale croient en l’existence d’êtres surnaturels. On retrouve cette idée dans de nombreux contes de fées…

Des figures mi homme mi animal

Il existe également la croyance que les âmes des défunts peuvent habiter un animal ou bien qu’il existe une relation étroite et mystérieuse entre un humain et un animal particulier. L’origine de ces thèmes trouve peut-être sa source parmi les premières créations spirituelles de l’humanité, à l’âge de pierre.

En France, sur une rondelle gravée du Mas-d’Azil, des signes accompagnent un étrange personnage mi homme mi animal et pourvu d’un museau. Une statuette aurignacienne anthropomorphe, à tête de lion, évoque une thématique comparable.

D’après une rondelle, os gravé, graphismes et personnage à museau, Mas-d’Azil, Ariège, magdalénien, France, paléolithique, supérieur. (Marsailly/Blogostelle)

Rites et sociétés de chasseurs

Certaines croyances et certains rites sont spécifiques aux sociétés de chasseurs. Dans différentes régions du monde, les peuples traditionnels de chasseurs croient en l’existence de divers êtres surnaturels.

Des compagnons ou esprits-gardiens aux formes thériomorphes (animales), des esprits de la brousse, des divinités suprêmes, telles Le Seigneur des Fauves qui protège à la fois les chasseurs et le gibier, habitent l’imaginaire et la vie culturelle dans les ancestrales sociétés de chasseurs.

Un Seigneur des Fauves…

La mise à mort d’un animal est souvent l’objet d’un rituel. Ainsi Le Seigneur des Fauves veille à ce que le chasseur ne tue que ce dont il a besoin pour se nourrir, et la nourriture ne doit pas être gaspillée. Les rites permettent d’obtenir les faveurs du Seigneur des Fauves et le renouvellement du gibier.

On rencontre aussi des exemples de personnages surnaturels dans l’iconographie de l’Orient ancien, comme le Maître des Animaux. En Europe dans l’art celte ou encore dans l’Inde ancienne, on peut voir des représentations d’un être mythique ou divin coiffé d’une ramure de cerf…

Voir aussi les articles Les sculpteurs et graveurs des cités de l’Indus  ; Des peuples néolithiques du Levant… au génie de Sumer 2  et Le monde mythique des celtes : les Eaux, la forêt, la nature, le surnaturel… 

Les animaux ont-ils une âme?

Du point de vue archéologique, les seuls témoignages en relation avec les animaux sont des représentations, des ossements, des crânes et des os longs…

Selon l’historien des religions Mircea Eliade, certaines correspondances avec des sociétés de chasseurs-cueilleurs encore connues au XXe siècle permettent d’éclairer de manière indirecte les cultures préhistoriques.

D’après une rondelle découpée, os gravé, motif de bovidé, Mas d’Azil, magdalénien ; un taureau, peinture, grotte de Lascaux, vers 18 000 avjc, Dordogne ; et un crâne d’auroch, ossements paléolithiques ; France. (Marsailly/Blogostelle)

Se nourrir est-il un acte sacré?

Les ethnologues relatent que les anciens peuples de chasseurs donnent fréquemment une importante valeur rituelle aux ossements d’animaux, en particulier aux crânes. Ces chasseurs pensent que les crânes d’animaux renferment l’âme ou la vie de l’animal…

Sur les sites préhistoriques, à côté des restes de boucherie, il est possible que certains dépôts d’ossements d’animaux soient en relation avec des rites. Pour les humains préhistoriques, se nourrir est peut être alors considéré comme un acte sacré…

Voir aussi l’article La préhistoire : l’univers spirituel des chasseurs-cueilleurs

Assurer rituellement le renouvellement du gibier?

Les chasseurs croient également que c’est à partir de leurs os que le Seigneur des Fauves redonnera une nouvelle chair aux animaux.

Le rituel veut que le crâne et les os longs de l’animal soient déposés sur des branches ou en hauteur. Dans certains cas, le rituel permet de renvoyer l’âme de l’animal vers son lieu spirituel originel.

On connaît aussi la coutume d’offrir à une divinité suprême un morceau de chacun des animaux abattus. Chez certains peuples du Soudan, après avoir tué son gibier, le jeune chasseur va barbouiller de sang la paroi d’une caverne…

Un culte de l’ours ?

Les ossements d’ours retrouvés dans les cavernes paléolithiques sont nombreux, comme dans les Alpes. Des auteurs pensent que ces tas d’os sont dus au hasard ou aux ours eux-mêmes.

Pour d’autres, ces dépôts semblent intentionnels et certains ont tenté d’en interpréter la signification. On les a comparés aux offrandes des prémices destinées à une divinité suprême, comme cela se pratique chez certains peuples arctiques.

D’autres imaginent encore que l’exposition du crâne et des os longs de l’animal abattu par le chasseur renvoie à la croyance en un Être Suprême, Seigneur des Fauves ou autre personnage mythique.

Certaines interprétations évoquent encore la possibilité d’un culte de l’ours. Comme celui pratiqué dans l’hémisphère nord, où l’on conserve le crâne et les os longs de la bête pour que le Seigneur des Fauves ressuscite l’animal l’année suivante…

Inhumer les animaux, un très vieux rite lié à la chasse

D’autres auteurs voient encore dans ces dépôts d’ossements d’ours les vestiges d’une pratique d’inhumation des animaux, mais sans que cela implique forcément une croyance en un Être Divin. Cette pratique est considérée comme le plus ancien rite lié à la chasse.

D’après un amas d’ossements d’ours, grotte Chauvet, vers 36 000 ans avjc, Pont d’Arc, Ardèche, aurignacien ; et des ossements humains et bauges d’ours, grotte de Cussac, vers 29 500-28 000 avjc, gravettien, Dordogne ; France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)

Une solidarité mystique entre le chasseur et le gibier?

Une forme de solidarité mystique entre le chasseur et le gibier peut justifier l’inhumation des animaux. Il s’agit alors d’assurer le renouvellement du gibier nécessaire à la survie des humains, voire une forme de réincarnation des bêtes …

On a constaté la présence d’amas d’ossements d’ours dans beaucoup de grottes paléolithiques, parfois dans des niches situées à plus de 1 mètre de haut. Une intervention humaine volontaire n’est pas à exclure…

Des traces dont la signification a disparu…

Pour étudier la préhistoire, explique Mircea Eliade, les historiens des religions sont soumis à l’absence de sources claires en dehors des données de l’archéologie.

Le sens réel des témoignages matériels nous échappe dans un contexte culturel inconnu ou méconnu. La pensée spirituelle des paléolithiques laisse des traces dont la signification a disparu. Comme aussi les traditions spirituelles des populations dites archaïques tendent à disparaître…

Et quand une intention magique ou religieuse est possible, un document archéologique peut se prêter à une multitude d’interprétations, qui toutes présentent un intérêt pour tenter de comprendre les cultures préhistoriques…

Une pensée ancestrale des chasseurs-cueilleurs

Chez les chasseurs arctiques contemporains, le dépôt d’ossements marque une intention magico-religieuse. Selon les communautés, les crânes et les os longs de l’animal sont des offrandes à un Être Suprême ou à un Seigneur des Fauves.

Chez d’autres populations, les os sont conservés et l’animal peut renaître… Il est probable que l’ensemble des sociétés de chasseurs, toutes fondées sur les mêmes moyens de subsistance, la chasse, la pêche et la cueillette, s’appuient sur des formes de pensée et des valeurs spirituelles communes.

Les données recueillies par les ethnologues permettent d’imaginer le monde spirituel de l’humanité paléolithique…

Ossements et résurrection

Au-delà du monde paléolithique, on retrouve le thème des ossements associés à une renaissance dans des mythologies ou dans des conceptions religieuses plus évoluées et plus complexes.

En Égypte ancienne, on inhume des animaux, comme les chats ou les taureaux sacrés… On connaît les boucs de Thor (Thôrr), ressuscités après leur consommation par le dieu nordique grâce à leurs os… Dans la Vision d’Ezéchiel de la bible (Ancien Testament), il est question d’ossements humains desséchés et de résurrection…

Parfois, il est interdit de briser les os d’un animal dont on mange la chair. Cette idée de renaissance possible à partir des ossements trouve sa source dans la lointaine culture des peuples de chasseurs et de pasteurs. Elle survivra dans le temps…

On remarque aussi, nous précise Mircea Eliade, que l’importance d’un concept spirituel ancestral se confirme par sa capacité à perdurer au fil des âges. La croyance que les animaux peuvent renaître à partir de leurs os se retrouve dans de nombreuses cultures…

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Sommaire Préhistoire

Un auteur ? Mircea Eliade (spécialiste de l’histoire des religions), Histoire des croyances et des idées religieuses – De l’âge de la pierre aux mystères d’Eleusis. Un roman? La Guerre du Feu, de J.H. Rosny Aîné. Un film? La Guerre du Feu, de Jean-Jacques Annaud.