De la découverte de la verticalité à l’âge du Feu
La préhistoire et l’expérience du sacré ? Selon l’historien des religions Mircea Eliade, si les documents archéologiques apportent des connaissances limitées dans ce domaine, les données comparées de l’ethnologie et de l’histoire des religions permettent d’accéder à un champ plus vaste de significations culturelles…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour septembre 2022–

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. – Paléolithique inférieur, des origines à 100 000 avjc. – Paléolithique moyen, de 100 000 à 40 000 – 35 000 avjc. – Paléolithique supérieur, entre 35 000 et 10 000 avjc. Chronologie Préhistoire
L’HUMANITÉ SORT DE LA NUIT…
Les êtres humains préhistoriques se montrent très tôt doués d’intelligence et d’imagination. Ils sont capables d’utiliser des objets pour se fabriquer des outils et dépasser les limites de leur propre corps. Ce sont également des artistes qui dessinent, peignent, sculptent, gravent la pierre, l’os ou la corne…

Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, la pierre, le feu, les armes et les animaux nourrissent l’imagination créatrice.
Le feu aide à la survie et peut inspirer l’imaginaire
L’humanité préhistorique découvre le feu. Elle apprend à le produire, à le conserver, à le transporter. Grâce à la maîtrise du feu, les paléolithiques abandonnent le mode de vie de leurs prédécesseurs…
En France, des foyers sont attestés vers 400 000 ans avjc, mais certaines traces de l’usage contrôlé du feu pourraient remonter à 700 000 ans avjc.

Les humains commencent à structurer leurs lieux de vie. À l’époque paléolithique, le feu est un atout essentiel à la survie et inspire sans doute aussi l’imaginaire paléolithique…
Le feu peut être associé à l’orage et la foudre dangereuse, au feu dévastateur dans la nature. Mais le feu permet aussi la cuisson de la nourriture et protège des les bêtes sauvages. Le feu est chaleur et lumière : il réchauffe et éclaire…
Voir aussi l’article Le Feu, un symbole de la Terre au Ciel
L’être humain expérimente sa verticalité
Selon Mircea Eliade, quand l’hominidé adopte la position verticale, sa perception spatiale du monde évolue. Il organise son espace vital autour de son corps, dans toutes les directions.
L’être humain prend alors conscience de sa situation au milieu d’une étendue et acquiert un sens de l’orientation de plus en plus aiguisé.

L’être humain préhistorique découvre aussi la notion de territoire et d’habitat autour d’un centre. Et bien au-delà, il appréhende peut-être de manière intuitive le vaste cosmos. Le principe de verticalité anime alors le corps et l’esprit de l’être humain…
L’univers des peuples disparus
L’archéologie se fonde sur l’étude des matériels découverts grâce aux fouilles. L’analyse des sites et de leurs mobiliers apporte des informations relatives à un contexte social et culturel.
Mais les fondements de la pensée des cultures disparues restent méconnus ou inconnus. En effet, les documents archéologiques restent « opaques » quand ils ne sont pas intégrés dans un ensemble significatif.
Selon Mircea Eliade, l’étude à la fois de l’ethnologie et de l’histoire des religions permet d’approcher de plus près l’univers culturel et spirituel des peuples disparus…

Des sépultures, des ossements, des pigments…
Pour les temps préhistoriques les plus reculés, les principaux documents matériels retrouvés sont des ossements humains, surtout des crânes, des outils en pierre, quelques parures et des pigments, en particulier de l’ocre rouge.
C’est seulement au paléolithique supérieur que les témoignages deviennent beaucoup plus nombreux. On dispose alors de gravures et de peintures rupestres, de sculptures en pierre ou en os et d’une grande variété d’objets façonnés par les artistes paléolithiques. L’intention religieuse ou sacrée s’exprime dans les sépultures comme dans l’art…


D’après des troupeaux de rhinocéros et de fauves, grotte Chauvet, vers 36 000 ans avjc, Ardèche, France, aurignacien, début paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Les premières manifestations artistiques
Avant les premières grandes manifestations artistiques de la préhistoire, vers 40 000 – 36 000 avjc, les vestiges les plus nombreux à ce jour sont des outils. Le travail du silex révèle la capacité de l’homme-artisan à fabriquer des objets dans un but utilitaire.

Des croyances liées à la mort ?…
Ce que pense, ressent, croie ou imagine l’humain préhistorique reste une énigme. Mais les sépultures néandertaliennes révèlent déjà une attention particulière portée aux défunts, et peut-être déjà en relation à des croyances autour de la mort…
Définition du mot religion : c’est un ensemble déterminé de croyances et de conceptions définissant le rapport de l’être humain avec le sacré ou le divin. Partout dans le monde, chaque religion ou doctrine spirituelle s’accompagne de pratiques et de rites spécifiques, en relation à des croyances, à des mythes et à des textes sacrés…

Des traditions héritées de l’âge de pierre ?…
L’apparition d’une croyance ne se limite pas à la date à laquelle elle est attestée pour la première fois. À l’âge des métaux, on rencontre des traditions en relation avec des secrets de métier, en particulier pour les travaux de la mine, de la métallurgie et de la fabrication des armes.
En général, ces traditions se rapportent au Feu et au monde souterrain, et il est probable que ces traditions n’apparaissent pas brusquement à une époque donnée.
Aboutissement d’un héritage et d’une longue maturation, elles plongent sans doute leurs racines jusque dans l’âge de pierre. Et on peut tenter de saisir les valeurs spirituelles de l’humanité préhistorique…


D’après des bifaces moustériens, silex taillé, paléolithique moyen. (Marsailly/Blogostelle)
La dimension imaginaire de la pierre, du feu, des armes…
La taille de la pierre et la maîtrise du feu contribuent à assurer la survie de l’être humain paléolithique. Il fabrique des outils et des armes pour chasser ou se défendre.
Comme chez les peuplades connues de chasseurs-cueilleurs, la pierre, le feu, les armes… nourrissent peut-être aussi l’imagination des paléolithiques.
Dans l’histoire des religions, les armes en pierre, en bois et plus tard en métal sont souvent investies d’une puissance magico-religieuse.

On utilise une arme-projectile, sagaie, arc et flèches, lance… pour conquérir et maîtriser un territoire ou pour terrasser un redoutable adversaire…
De nombreux mythes et légendes dans le monde évoquent le pouvoir des armes. Les lances ou les flèches peuvent aussi être associées au thème de l’ascension céleste ou à une victoire sur des forces maléfiques…
Voir aussi l’article L’épée et les armes, symboles à double tranchant
LES HOMMES ET LES FEMMES DE LA PRÉHISTOIRE INHUMENT LEURS MORTS
Les sépultures préhistoriques commencent à se multiplier à l’époque de Neandertal, au paléolithique moyen. Par la suite, la tradition d’inhumer les morts se généralise au paléolithique supérieur avec Homo sapiens.

Des crânes humains
La majorité des ossements humains préhistoriques gisent éparpillés dans des zones de campement et d’habitat, au milieu des restes d’animaux et des vestiges d’outils.
Chez les Moustériens, au paléolithique moyen, il existe des sépultures reconnues comme telles. Sur des sites plus anciens, des mandibules et des crânes ont également été découverts, mais une présence de restes humains d’ordre funéraire n’est pas certaine…

Cannibalisme profane ou rituel ? pratiques funéraires?
Des savants mettent certains crânes humains en relation avec un cannibalisme rituel ou profane. Certains ossements portent des marques interprétées comme le signe d’une consommation. Mais ces traces peuvent aussi révéler des pratiques funéraires.
La présence de ces crânes peut également s’expliquer dans un contexte sacré. Henri Breuil dit L’abbé Breuil (1877-1961), préhistorien français, évoque l’ancestrale coutume australienne de conserver les crânes de parents défunts et de les transporter avec soi lors de ses déplacements…

Un crâne paré de coquillages…
À Grimaldi, en Italie (non loin de Menton), la sépulture d’un jeune homme met en lumière l’importance symbolique du crâne dans la pensée paléolithique.
Le défunt, installé en position fléchie, présente un crâne paré de perles en coquillage. Cette tombe est aussi associée à de l’ocre rouge, à des os d’animaux et à des outils datés de l’Aurignacien, vers 35 000-30 000 ans avjc.
Des défunts parfois inhumés par deux…
Le site de Grimaldi renferme plusieurs squelettes d’époques différentes. Les défunts sont parfois inhumés par deux. Leurs dépouilles sont accompagnées de nombreux coquillages et coquilles percées.


D’après des défunts inhumés par deux, parfois enlacés, grotte des enfants, Grimaldi, Italie, vers 35 000 – 30 000 avjc, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Les coquillages servent à confectionner des parures comme des colliers ou des pendeloques, ou encore sont cousus sur les vêtements. Les corps peuvent être badigeonnés d’ocre rouge…
Dès le paléolithique, des squelettes sont inhumés dans la position du fœtus, des dépouilles sont recouvertes d’ocre rouge, une couleur par ailleurs omniprésente dans l’art pictural. La présence de rituels funéraires se dessine dès la préhistoire, comme aussi les premières expressions artistiques d’une différenciation homme-femme…
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Un auteur ? Mircea Eliade (spécialiste de l’histoire des religions), Histoire des croyances et des idées religieuses – De l’âge de la pierre aux mystères d’Eleusis. Un roman? La Guerre du Feu, de J.H. Rosny Aîné. Un film? La Guerre du Feu, de Jean-Jacques Annaud.