Se nourrir, un acte sacré…
Au paléolithique supérieur, entre 40 000 avjc et 10 000 ans avjc environ, l’expression artistique atteint une maturité et une originalité inédite. Les peintres, les sculpteurs et les graveurs paléolithiques transfigurent les grottes en lieux fascinants, vivants et mystérieux. La création d’objets d’art laisse jaillir de véritables chefs-d’œuvre. Le tout semble animé par un même souffle culturel, créatif, artistique et spirituel…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour mai 2021 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. – Le paléolithique inférieur, des origines à 100 000 avjc. – Le paléolithique moyen, de 100 000 à 40 000 – 35 000 avjc. – Le paléolithique supérieur, entre 35 000 et 10 000 avjc. Chronologie Préhistoire
DES SANCTUAIRES PALÉOLITHIQUES DANS LES PROFONDEURS DES CAVERNES
Les artistes paléolithiques créent des ouvrages d’art en Europe occidentale, en Europe centrale et jusqu’en Russie. Les compositions monumentales de l’art pariétal sont riches d’un vaste ensemble de thèmes figuratifs, peints ou gravés, de l’Atlantique à l’Oural…

Une source d’inspiration commune pour les artistes ?
Comme nous l’explique Mircea Eliade, c’est surtout en France, en Espagne et en Italie du Sud que l’on rencontre de grandioses peintures rupestres. Entre 30 000 et 10 000 ans avjc environ. Ces représentations semblent répondre à un même langage culturel et artistique.
Le monde animal et le thème de la chasse semblent nourrir la pensée spirituelle paléolithique. L’art pariétal évoque peut-être aussi une forme de mythologie. Dans les grottes, le visiteur est saisi par le mystère des lieux…
Des représentations de bisons criblés de flèches, parfois accompagnés de cupules évoquent-elles des rites de chasse ?


D’après un bison, flèches et cupules et un bison et flèche, grotte de Niaux, vers 14 000 -12000 avjc, magdalénien, Ariège ; France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Les artistes descendent dans les profondeurs des grottes
Selon le préhistorien Leroi-Gourhan, les représentations paléolithiques pourraient contribuer à la diffusion d’un ensemble de connaissances et de conceptions.
Au cours de cette période, les artistes n’hésitent pas à descendre dans les profondeurs des grottes pour peindre et pour sculpter. Le parcours pour accéder aux trésors cachés de l’art pariétal est souvent très ardu, et beaucoup de galeries rupestres, très difficiles d’accès, ne sont pas habitées…

Pour admirer les parois peintes, il faut parfois parcourir des centaines de mètres… La grotte de Niaux ou celle des Trois-Frères, en Ariège, renferment de véritables labyrinthes. Pour accéder aux peintures de la grotte de Lascaux, il faut descendre par un puits de 6,30 mètres…
Une atmosphère numineuse enveloppe le visiteur…
La plupart des auteurs interprètent ces grottes comme de probables sanctuaires. Une ambiance numineuse – en relation avec le sacré, le divin, l’invisible… – anime ces lieux fascinants.
L’atmosphère est saisissante pour le visiteur… Il expérimente ainsi un chemin enveloppé de mystère, qui l’emmène au-delà du monde réel…



D’après une vache et des taureaux, peintures, grotte de Lascaux, Dordogne, France, magdalénien, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
L’intentionnalité de ces peintures et de ces gravures n’est pas contestée. Pour tenter d’en comprendre le sens, comme le précise Mircea Eliade, des chercheurs s’appuient sur l’ethnologie.
Des rituels de chasseurs dans les grottes-sanctuaires?
Sur les représentations peintes ou gravées des grottes paléolithiques figurent des animaux sauvages criblés de flèches, avec parfois aussi des cupules.
Certains auteurs expliquent cela comme des actes liés à une magie de la chasse. Mais il peut s’agir aussi de la réactualisation d’une « Chasse Primordiale ».


D’après un « homme à capuche », grotte du Gabillou, vers 25000 avjc, Gravettien, Sourzac, Dordogne ; et une flûte, os, vers 18000-10000 avjc, magdalénien, Isturitz, Pyrénées ; France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Il est probable, également, que des rituels se déroulent au fond des grottes-sanctuaires. Avant de partir à la chasse? En relation avec une activité liée à la chasse? Dans le cadre d’une initiation des jeunes chasseurs?
Le thème de l’homme-bison et de la danse rituelle
Une représentation de la grotte des Trois-Frères, en Ariège, a été interprétée comme un danseur masqué à tête de bison. Le personnage semble jouer de la musique avec une sorte de flûte.
Dans l’iconographie paléolithique, on rencontre parfois des figurations humaines qui paraissent masquées ou revêtues de peaux. Leur attitude évoque la danse. Spécifique aux sociétés de chasseurs, la danse rituelle perdure encore chez certaines peuplades du XXe siècle…



D’après un homme-cerf, croquis de l’abbé Breuil, et une figure étrange, peinture, grotte des Trois-Frères, magdalénien, Ariège ; et un dessin du Sorcier de Gabillou, de l’abbé Breuil, grotte du Gabillou, vers 25000 avjc, Gravettien, Sourzac, Dordogne ; France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Les célèbres croquis de l’Abbé Breuil
L’Abbé Breuil nous a laissé le croquis d’un personnage à tête de bison gravé dans la grotte des Trois-Frères. Paré de cornes, le personnage arbore une tête de bison, des oreilles de loup et la barbe d’un bouquetin.
Ses mains ressemblent à des pattes d’ours et il a une longue queue de cheval… Seuls ses membres inférieurs, son sexe et sa position de danseur évoquent une silhouette humaine…
Des images beaucoup plus récentes du personnage des Trois-Frères montrent moins de détails… disparus ou détériorés? ou bien l’abbé Breuil en a rajouté?…

Maître des Animaux ou sorcier?
On peut pourtant relier ce personnage mi humain mi animal au thème du « Maître des animaux ». Soit il incarne le Maître des animaux lui-même, soit un sorcier qui le personnifie.
Le Sorcier de Gabillou, en Dordogne, représente également un personnage masqué ou enveloppé d’une peau de bison. Dans les deux cas, les attitudes évoquent des danseurs…
Figurations de magicien, de sorcier, de chaman, de maître des animaux ou d’êtres surnaturels …? D’étranges silhouettes habitent les créations paléolithiques.
DES CHAMANS OU DES SORCIERS?
Il est possible que l’univers culturel paléolithique se fonde sur une solidarité mystique ou magique entre l’homme et l’animal. Et il n’est pas exclu que des spécialistes de l’extase ou des experts du sacré, sorciers ou chamans, officient dès le paléolithique…

Accident de chasse ou séance chamanique?
Dans les grottes de Lascaux en Dordogne, en France, on peut voir un bison blessé qui dirige ses cornes vers une silhouette humaine étendue à terre. Son arme, peut-être une sagaie, a touché l’animal qui perd ses entrailles…
Le personnage gît comme mort et affiche une tête d’oiseau, peut-être un masque. Il est accompagné d’un bâton, peut-être un attribut particulier, en haut duquel perche encore un oiseau.
Associé à une symbolique masculine, l’oiseau peut avoir une signification phallique comme pour certaines statuettes retrouvées dans un habitat en Sibérie. Par ailleurs, le thème de l’oiseau renvoie peut-être aussi au destin de l’âme après la mort, au monde des esprits, à un état d’extase, au pouvoir de voler…


D’après la scène du puits, grotte de Lascaux, vers 18 000 avjc, magdalénien, Dordogne, France ; et un homme poursuivi par un bison, Roc-de-Sers, Charentes, solutréen, France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Bâton de commandement ou bâton de tambour ?
Il a été admis que la scène du puits de la grotte de Lascaux représentait un accident de chasse. Cependant, un auteur a émis l’hypothèse (controversée) qu’il pourrait s’agir d’une séance chamanique en vue d’une bonne chasse.
Selon lui, l’homme ne serait pas mort mais en transe. Il propose également d’interpréter les mystérieux bâtons de commandement comme le moyen de frapper des tambours. Ainsi, le chaman paléolithique utiliserait le tambour comme le fait le chaman sibérien…


D’après un sceptre-bâton, bois de renne, à motifs de poisson et d’oiseau, grotte de La Vache, Ariège ; et un fragment de bâton percé, bison, os gravé, vers 18000-10000 avjc, Isturitz, Pyrénées ; magdalénien, France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Aspiration au sacré et voyages extatiques ?
Une forme de chamanisme dès l’époque paléolithique n’est pas impossible. Cette forme de pensée spirituelle est attestée en différents endroits du monde chez les peuples traditionnels de chasseurs et de pasteurs.
Et comment ne pas imaginer que, dès les origines de l’humanité, comme de tout temps, l’être humain n’expérimente pas le songe, le rêve éveillé, les visions, l’aspiration au sacré ou l’expérience extatique ? Ces phénomènes ne sont-ils pas inhérents aux mille et une facettes de la conscience humaine?



D’après un homme blessé et hibou, grotte du Pech-Merle, vers 20 000 ans avjc, Lot ; un bâton gravé, silhouette humaine, Bruniquel, Tarn ; et un hibou, grotte Chauvet, vers 36 000 avjc, Pont d’Arc, Aurignacien, Ardèche ; France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
D’une manière universelle, la perte de conscience et la transe sont considérées comme un voyage dans l’au-delà… Seules l’interprétation et la valorisation donnée à ces expériences évoluent au cours des âges, selon les différentes formes de cultures et de religions.
La vision surnaturelle du chaman…
En France, à la fin du Magdalénien et au début du néolithique, entre 13 000 ans avjc et 6000 ans avjc, des artistes dessinent le squelette et les organes internes des animaux. On retrouve ce type de dessins en Norvège, en Sibérie, chez les esquimaux, en Amérique, en Inde, en Malaisie…



D’après un grand bison, peinture rouge, grotte d’Altamira, solutréen- magdalénien, Espagne ; le squelette d’un bison, Dordogne ; et un bison accompagné de signes, Lascaux, Dordogne ; magdalénien, France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Cet art, spécifique aux peuples de chasseurs, s’inspire d’un idéal spirituel chamanique. Grâce à sa vision surnaturelle, seul le chaman a la capacité de voir son propre squelette. Il pénètre la vie jusqu’aux os… De nos jours encore, cette expérience est pratiquée par certains mystiques du bouddhisme tibétain.
L’homme paléolithique est un chasseur qui respecte peut-être une forme de solidarité mystique avec le gibier. Puisque l’être humain et l’animal ont le même sang, abattre une proie reviendrait à faire un sacrifice. Des peuples de chasseurs de culture ancestrale croient en l’existence d’êtres surnaturels…
Article suivant, bientôt : Préhistoire et chasseurs-cueilleurs. Des créations spirituelles dès l’âge de la pierre ?
Un auteur ? Mircea Eliade (spécialiste de l’histoire des religions), Histoire des croyances et des idées religieuses – De l’âge de la pierre aux mystères d’Eleusis. Un roman? La Guerre du Feu, de J.H. Rosny Aîné. Un film? La Guerre du Feu, de Jean-Jacques Annaud.