De la pierre au métal, du chasseur au guerrier…
Selon Mircea Eliade, une mythologie des métaux succède à la mythologie de la pierre héritée du néolithique et de la préhistoire. Avec l’âge du bronze, la découverte de la fusion des métaux influe sur l’histoire culturelle de l’humanité. Ainsi, l’univers sacré va se rattacher davantage aux métiers de la mine, de la forge et de la métallurgie. Par ailleurs, l’excellence originelle du chasseur paléolithique se transforme en valeur guerrière…
1. Du néolithique à l’âge des métaux, un héritage culturel qui remonte à la préhistoire – De la pierre au métal, du chasseur au guerrier… 2. Avec l’âge du bronze, le travail du métal engendre de nouvelles créations – La métallurgie, de l’art au mythe…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Nouvelle version janvier 2023 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Mésolithique : vers 10 000 ans avjc. Néolithique : vers 8000/6000 – 1900 avjc. Âge du Bronze : vers 1900/1800 – 750 avjc. Âge du Fer : vers 750 – 52 avjc. Chronologie néolithique-âge du Bronze
UNE TRANSMISSION DES SAVOIR-FAIRE
L’habileté manuelle et la transmission des savoir-faire remontent à la préhistoire : de la taille de la pierre à la maîtrise du feu. Au néolithique, s’y ajoute l’art de façonner puis de cuire la céramique. Avec l’avènement de la métallurgie, la pensée créatrice et spirituelle s’enrichit. De nouvelles réflexions se développent autour des labeurs de la mine et de la métallurgie, de l’art et de la création…

Quand la forêt remplace les steppes
Vers 10 000 ans avjc, la période mésolithique précède et inaugure celle du néolithique. À cette époque, le climat, le paysage, la flore et la faune changent. La forêt remplace les steppes et les troupeaux de rennes remontent vers le Nord de l’Europe. Les humains vivent de la chasse mais aussi de la pêche, installés au bord de la mer, des rivières ou des lacs.



Du paléolithique au mésolithique, des groupes humains s’installent au bord de la mer, des lacs et des rivières. Dans les forêts, le gibier abonde au cours des périodes néolithique et mésolithique ; un renne à grande ramure, (cervidé), peinture, grotte de Lascaux, vers 18 000 -10 000 avjc, magdalénien, Dordogne, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Quand la forêt remplace les steppes, cerfs et biches remplacent les troupeaux de rennes. Le gibier abonde et les peuples du mésolithique inventent l’arc et les flèches. Comme au paléolithique, la pratique de la chasse et la cueillette restent les principales sources de nourriture au mésolithique.
Chasse, agriculture, élevage
Au Proche-Orient, vers 8000 ans avjc, des populations domestiquent déjà des animaux et commencent à pratiquer l’agriculture. Des communautés se sédentarisent et les premiers villages apparaissent.
En Europe, l’adoption d’un mode de vie néolithique se déploie vers 6000 ans avjc. La chasse continue d’apporter une subsistance à côté des cultures et de l’élevage.

Par ailleurs, si le savoir-faire artistique semble moins grandiose qu’à la fin du paléolithique, des peintures pariétales mésolithiques témoignent de la vie quotidienne et culturelle à cette époque, comme en Catalogne, en Espagne…
Des croyances spécifiques aux peuples de chasseurs
Du point de vue de l’histoire des religions, certains thèmes universels pourraient émerger dès la préhistoire : la sacralisation d’une origine du monde, de la chasse et du gibier, de la mort, des ancêtres mythiques, des lignées…
Ces croyances spécifiques aux peuples de chasseurs perdurent au néolithique, avant d’inspirer de nouveaux développements spirituels à l’âge des métaux.

La dimension sacrée de la chasse et du gibier
Selon Mircea Eliade, on ne peut pas affirmer l’existence d’un culte des ancêtres ou de croyances en des êtres divins ou surnaturels, tel un « Maître des fauves ou des animaux » ou d’autres personnages mythiques dès la préhistoire. Mais l’étude des cultures dites « archaïques » permettent de l’imaginer.
Ainsi, on peut constater la longévité de traditions liées à la pratique de la chasse et une attention particulière portée au gibier jusqu’au XXe siècle chez des peuplades de chasseurs.



D’après un sanctuaire surmonté de cornes de taureau, vers 1250 avjc, reconstitution, Bargeroosterveld, Drenthe, Pays-Bas, âge du Bronze ; des scènes rupestres, taureaux et gazelle, grottes d’El Cogul, La Roca dels Moros, peinture, Catalogne, Espagne, mésolithique ; et des taureaux et cervidés, peintures rupestres, grotte de Lascaux, vers 18 000 avjc, Magdalénien, Dordogne, France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Voir aussi les articles Préhistoire et chasseurs-cueilleurs. Des créations spirituelles dès l’âge de la pierre ? et Certains récits mythiques pourraient remonter aux lointaines cultures paléolithiques…
Repas rituels et sacrifices
Dans les contrées froides de l’Europe, on a découvert des rennes entiers immergés dans l’eau glacée. Sans doute un bon moyen de conserver de la viande, mais aussi un possible sacrifice rituel dédié au maître des animaux ou à une divinité de la chasse?


D’après des cerfs coiffés de leurs bois, gravures rupestres, val Camonica, Italie, et des gravures de chasseurs, cervidé, région d’Oslo, Norvège ; âge du Bronze.(Marsailly/Blogostelle)
Dans certaines cultures anciennes, les populations organisent des repas rituels. Les participants consomment la chair du renne et son crâne est exposé au sommet d’un poteau cultuel, peut-être une offrande à un être divin. Les sacrifices par immersion se pratiquent de l’Europe du Nord jusqu’en Inde.
Objets rituels et culte des ancêtres
Des dessins néolithiques en quelques traits
À l’époque néolithique, le naturalisme et la vivacité des représentations paléolithiques laissent la place à un dessin simple et schématique. Le style des figurations anthropomorphes (formes humaines) ou thériomorphes (formes animales), surtout des bovins ou des cervidés, se résume à quelques traits.

Des galets aziliens (du nom du site du Mas-d’Azil, Ariège, France) du mésolithique aux images rupestres néolithiques, on remarque la présence de signes, comme des ondulations en rubans, des cercles, des points, des soleils… Les attelages de bovidés et les bateaux sont également fréquemment représentés au néolithique.
Les galets peints des chasseurs-cueilleurs
Si des signes énigmatiques existent déjà au paléolithique, les motifs peints des galets aziliens du mésolithique sont parfois interprétés comme des signes magiques, symboliques, ou comme les éléments d’une forme archaïque d’écriture. Une fonction rituelle ou spirituelle de ces galets est possible, même si la signification des soleils et autres signes géométriques reste mystérieuse.

Un lien spirituel avec les ancêtres…
Si la culture azilienne des derniers chasseurs-cueilleurs nous a laissé des séries de galets peints ou gravés, par ailleurs, en Australie, on rencontre des objets rituels comparables. En pierre, ils sont ornés de motifs peints et symbolisent pour les aborigènes le corps mystique de leurs aïeux.
Ces objets, cachés dans des grottes ou enterrés dans des lieux sacrés, sont dévoilés aux jeunes hommes à la fin de leur initiation. Ainsi, les galets aborigènes symbolisent un lien spirituel entre les vivants et leurs ancêtres…

Ancêtres mythiques et culte des aïeux
Par ailleurs, la tradition aborigène évoque des ancêtres mythiques qui vivent pendant l’âge d’or, dans un paradis terrestre avec du gibier en abondance. Un lieu où les questions du Bien et du Mal ne se posent pas. Les anciens australiens réactualisent ce monde paradisiaque en organisant des fêtes.
Les lois et les interdits sont à cette occasion suspendus. Comme d’autres peuples du Sud, les aborigènes croient que leurs ancêtres mythiques se sont métamorphosés en arbres ou bien qu’ils sont montés au Ciel pour habiter le soleil et les étoiles.


D’après des pierres peintes, falaises de Bandiagara, village de Songo ; objets sacrés et initiatiques, culture Dogon, Mali, art africain. (Marsailly/Blogostelle)
Défunts et lignages
En Afrique, les cultures traditionnelles se fondent sur un culte des ancêtres mythiques, des aïeux et des esprits. De nombreuses statues africaines en bois, masculines et féminines, évoquent des défunts et des lignages, des esprits de la nature et des déités.
Au Mali, des sculptures évoquent le couple ancestral, union des principes féminin et masculin, honoré pour apporter santé et fécondité aux vivants.

Chez les Dogons des signes rupestres et des pierres peintes représentent le mythe d’origine, les êtres et les règles cosmogoniques. Ces objets sacrés sont étudiés par les jeunes après leur circoncision lors de leur initiation. Ils découvrent ainsi les secrets de la “société des masques” (falaises de Bandiagara, village de Songo).
DU CHASSEUR AU GUERRIER
L’univers spirituel du lointain chasseur paléolithique va inspirer durant longtemps la symbolique de diverses activités cultuelles. Rites, cérémonies d’initiations, traditions guerrières et décors emblématiques pour les armes s’inspirent fréquemment du monde animal et de la chasse…

Chasser pour se nourrir…
Les plus importantes inventions du mésolithique sont l’arc et les flèches, les premières embarcations, la fabrication de cordes, de filets et d’hameçons. Mais la chasse reste un moyen de subsistance essentiel. Les valeurs culturelles et spirituelles des anciens chasseurs-cueilleurs perdurent…
De la chasse à la guerre
Au fil du temps, des chasseurs vont finalement devenir des combattants. En premier lieu, pour défendre les premiers villages, puis des territoires… Avec l’avènement de l’âge du Bronze, les qualités par excellence du chasseur deviennent aussi celle du guerrier : pour se défendre ou attaquer, dominer de nouveaux territoires et des réseaux d’échanges.



D’après des pointes de sagaies, bois de renne, Magdalénien, et des pointes de lance, silex taillé, vers 26 000 avjc, gravettien, paléolithique supérieur ; et une hache en silex poli, décor gravé, IIIe millénaires avjc, période chalcolithique, âge du cuivre. (Marsailly/Blogostelle)
Des attributs exclusivement masculins
Du néolithique aux âges de métaux, la chasse continue de jouer un rôle de subsistance à côté de l’élevage, de l’agriculture et de la pêche. Les vertus exemplaires du chasseur de la préhistoire, aux attributs exclusivement masculins, revivent dans les images des grands guerriers et conquérants antiques. De l’âge du Bronze à l’âge du Fer, des valeurs guerrières prédominent.

Voir aussi les articles : Âge du Fer : armes et parures en pays celtes – Les trésors d’une élite princière et L’unité culturelle de la civilisation celtique – La panoplie guerrière des chefs gaulois de La Tène
Une sacralisation de la chasse dès la préhistoire ?
En France, la scène du puits de la grotte de Lascaux, qui remonte au paléolithique, est communément interprétée comme un accident de chasse. Elle représente un bison blessé et un homme, à terre, à face d’oiseau (un masque ?), auprès d’un bâton surmonté d’un volatile.
L’oiseau symbolise-t-il un envol vers l’au-delà et la mort du chasseur ? Ou bien pourrait-il s’agir d’un rite de chasse ou d’une transe chamanique ?

Voir aussi les articles Histoire du sacré, le paléolithique et L’univers spirituel des chasseurs-cueilleurs
Le crâne, un objet de culte
Les peuples mésolithiques inhument leurs morts et enterrent aussi des crânes. Cette pratique déjà connue au paléolithique se prolonge au néolithique. Le plus souvent considérée comme le lieu de l’âme ou de l’esprit, la tête et le crâne possèdent une dimension magico-religieuse dans différentes civilisations anciennes.

Âme, souffle, esprit, énergie vitale…
Par ailleurs, dès la préhistoire, des rêves et des expériences extatiques ont pu suggérer aux individus paléolithique l’existence d’un élément spirituel indépendant du corps, mais présent en l’être humain.
Selon les peuples et les époques, les interprétations varient : âme, souffle, esprit, énergie vitale, « double »… Cela explique certains rites de consommation du cerveau ou du cœur de proies ou de victimes pour s’approprier leur puissance vitale et spirituelle.

Dans l’ancienne Égypte, le siège de l’âme est situé dans le cœur. Les dieux égyptiens, souvent thériomorphes (formes animales), et les êtres humains se manifestent par leur ba (âme) et leur ka (énergie vitale, double), deux concepts de nature spirituelle, qui perdurent au-delà de la disparition du corps…
Animaux, métamorphoses et conquêtes
Dans des rituels d’extases ou d’orgies, comme dans le culte antique de Dionysos, on réactualise le comportement ancestral des chasseurs paléolithiques en dévorant la viande crue du gibier.
Cerf et sanglier divins
Dans la mythologie celtique, une divinité coiffée de bois de cerf, souvent accompagnée d’animaux réels ou fantastiques, semble dominer le panthéon, tel un “maître des animaux”.



D’après un dieu coiffé de bois de cerf, avec serpent et divers animaux, chaudron de Gundestrup, or et argent, Ier siècle avjc, Danemark, art celte, âge du Fer ; le dieu gaulois d’Euffigneix, divinité au sanglier, Haute-Marne, et le dieu Cernunnos, bois de cerf et serpent, avec Apollon et Mercure, Ier-IIIe siècle ; Gaule Romaine. (Marsailly/Blogostelle)
Dans la tradition druidique, le grand dieu Lug peut se manifester sous la forme d’un sanglier. Dans l’art celte et gaulois, on retrouve le thème de la divinité associée au cerf et au sanglier.
Voir aussi les articles Les Dieux celtiques de L’Autre Monde. Sanglier, cerf, torque… et L’univers spirituel des Celtes et des Gaulois – L’Assemblée de Lug
Des conquêtes symbolisées par un animal de proie…
Au cours de l’âge des métaux, les valeurs masculines et guerrières montent en puissance et les techniques de guerre s’inspirent de celles de la chasse. Les grandes invasions des peuples indo-européens ou des turco-mongols sont vécues sous le signe de la chasse.

Certaines initiations indo-européennes comportent la transformation rituelle en loup. Le jeune guerrier s’approprie ainsi le comportement d’un carnassier.
Les conquêtes sont souvent symbolisées par un animal sauvage et carnassier, excellent chasseur, tels le lion et le loup. Ancêtre mythique de la dynastie mongole, le loup incarne ainsi l’excellence d’un chasseur et d’un guerrier redoutable…
Le loup, ancêtre mythique de la dynastie Mongole
Une boucle de ceinture ajourée provenant de Mongolie représente ainsi la marche en avant d’un loup. Le sujet est accompagné de motifs stylisés qui évoquent des faces de rapaces, un autre animal réputé pour sa grande habileté à la chasse…


D’après l’emblème du loup, détail, boucle de ceinture, bronze fondu à la cire perdue et dorure, entre 299 et 100 avjc, IIIe-IIe siècle avjc, Mongolie. (Marsailly/Blogostelle)
Le traitement stylisé du loup met en lumière une musculature impressionnante, puissante et une gueule menaçante.
La valorisation spirituelle des vertus masculines et guerrières prolonge les qualités spécifiques du chasseur. Beaucoup plus tard, au XIIe siècle, Gengis Khan prétend être le descendant du Loup, ancêtre mythique de la dynastie Mongole…

La poursuite et la mise à mort d’un fauve
Dans des cultures traditionnelles, l’animal sauvage – ours, loup, aigle, lion… incarne la chasse mais il peut également renvoyer à un ancêtre mythique thériomorphe auquel se rattache une tribu ou un clan. En outre, la poursuite et la mise à mort d’un fauve, modèle mythique, peut symboliser la conquête d’un territoire.


D’après La Chasse au lion, Alexandre le Grand, mosaïque, lames en terre cuite et galets, Pella, IVe siècle avjc, Macédoine, Grèce antique. (Marsailly/Blogostelle)
Une mosaïque antique de Pella, dite La Chasse au lion, représente le conquérant grec Alexandre le Grand prêt à abattre le fauve pris au piège. Ce chef-d’œuvre ornait la salle de banquet d’une luxueuse demeure.
Pendant longtemps, la chasse restera un privilège, une initiation à l’habileté et à l’excellence et le sport favori de l’aristocratie guerrière. Bien plus tard, la chasse deviendra une activité de prestige pour les seigneurs, les princes et les rois…

L’avènement de l’âge des métaux engendre l’émergence d’une nouvelle mythologie. Le métallurgiste et le forgeron, comme avant eux le potier, sont des maîtres du feu. La hache cérémonielle en métal supplante la hache votive néolithique en pierre polie. Armes et panoplies guerrières voient le jour…
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Sommaire néolithique-âge du Bronze
Un auteur ? Mircea Eliade (spécialiste de l’histoire des religions), Histoire des croyances et des idées religieuses – De l’âge de la pierre aux mystères d’Eleusis et Traité d’histoire des religions.