Figures de style au paléolithique
Au regard du soin et du talent donnés à l’interprétation plutôt naturaliste des animaux dans l’art paléolithique, on peut imaginer que le schématisme des représentations humaines est volontaire. Les images masculines sont rares, les figurations féminines prédominent. Contrairement au rendu très vivant des animaux, les traits de la figure humaine tendent à rejoindre une forme d’abstraction…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour novembre 2021 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Paléolithique supérieur : vers 40 000 – 35 000 avjc – 10 000 avjc. – L’Aurignacien : vers 35 000 – 20 000 avjc. – Le Gravettien : vers 26 000 – 20 000 avjc. – Le Solutréen : vers 20 000 -18 000 avjc. Chronologie Préhistoire
ODALISQUES PRÉHISTORIQUES
Si les artistes paléolithiques façonnent de nombreuses figurines féminines, dont les formes hypertrophiées évoquent la fertilité, la procréation, la maternité, telles les Vénus gravettiennes, il existe aussi des tentatives de représentations plus naturalistes, comme avec les Vénus dites impudiques ou odalisques.

Figures de style…
Au paléolithique, à la différence des « Vénus » gravettiennes très schématisées, aux formes hypertrophiées, quelques rares modèles féminins magdaléniens, dites Vénus impudiques ou Odalisques, présentent des lignes plus naturelles.
Les sculpteurs et les graveurs prouvent alors qu’ils savent respecter davantage le réalisme anatomique. Et il se dégage de ces figures une belle sensualité. Les attitudes du corps et les traits du visage sont traités avec attention et les détails ont leur importance…

La volupté des nudités dévoilées
Si la tentative d’exprimer la vie intérieure du sujet est perceptible pour La Dame de Brassempouy. Les silhouettes des Vénus impudiques et des odalisques paléolithiques révèlent une recherche de naturel dans les lignes des corps.
Les torses graciles, le déhanchement sensuel et nonchalant, et les longues jambes de ces nudités dévoilées se fondent en un modelé subtil et harmonieux. Les attitudes rayonnent d’une gracieuse sensualité. Bien longtemps avant celles du peintre Ingres, il semble que l’on appréciait déjà de séduisantes odalisques aux voluptueux charmes féminins…

Quelques représentations humaines
Art rupestre et sculpture
Les artistes paléolithiques ont ainsi esquissé quelques sujets humains dans l’art rupestre ou sous la forme de figurines féminines.
En France, un visage masculin de la grotte de La Marche, dans la Vienne, ou certaines représentations de Marsoulas, en Haute-Garonne, témoignent d’un désir de représenter plus naturellement l’être humain. Comme aussi la petite Vénus de Brassempouy, finement sculptée dans l’ivoire…



D’après une gravure sur bloc, visage, grotte de La Marche, Lussac-les-Châteaux, Vienne ; un portrait masculin, gravure rupestre, grotte de La Marche, Lussac-les-Châteaux, Vienne ; et la Dame de Brassempouy, figurine, ivoire sculpté, vers 22 000 avjc, gravettien, Landes ; France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Des esquisses stylisées
Cependant, en dehors de quelques exceptions à l’allure plus naturelle, les artistes paléolithiques tendent le plus souvent à styliser les corps humains – volontairement semble-t-il. Ces figurations humaines s’apparentent, in fine, à des silhouettes ou à des esquisses stylisées…


D’après un personnage masculin avec museau, rondelle, os gravé, Mas-d’Azil, Ariège, magdalénien ; et un personnage thériomorphe et cornu, grotte des Trois-Frères, Ariège ; France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle) , et
Par ailleurs, les artistes paléolithiques dessinent aussi d’étranges figures, mi-humaines mi-animales, évoquant peut-être un chaman ou un sorcier, une transformation surnaturelle ou encore une image du Maître des animaux…
L’ESPRIT CRÉATIF DES ARTISTES GRAVETTIENS
Si les Gravettiens, entre 26 000 et 20 000 avjc, sont célèbres pour leurs nombreuses « Vénus » paléolithiques, ils sont aussi les créateurs de parures, de gravures et de peintures. C’est une période où les communautés humaines semblent communiquer grâce à l’expression artistique…

Des statuettes gravettiennes jusqu’au bout de l’Europe
Beaucoup de « Vénus » paléolithiques appartiennent à la culture du gravettien, dont le nom se rattache, en France, au site de l’Abri de La Gravette, situé en Dordogne.
Ces œuvres se distinguent par leur unité stylistique, mais aussi par leur présence sur une aire géographique très vaste. On rencontre des statuettes gravettiennes sur l’ensemble du continent européen, en France, en Italie, de l’Autriche à l’Ukraine et jusqu’en Russie…



D’après la vénus de Willendorf, nue et parée, figurine sculptée, pierre tendre, Autriche ; et la Vénus de Grimaldi dite Le Losange, stéatite polie, vers 22000 -17000 avjc, Italie ; gravettien, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Des Vénus aux formes hypertrophiées
La Vénus de Lespugue, vers 20 000 avjc s’épanouit dans ses formes hypertrophiées. Sa ligne générale rappelle celle de certains coquillages de La Gravette, que les paléolithiques utilisent comme élément de parure pour des pendeloques.
La statuette autrichienne dite Vénus de Willendorf, toute ronde, toute nue et parée, porte des traces de pigments rouges, laissant penser qu’à l’origine le sculpteur l’avait colorée. Beaucoup de figures féminines sont sculptées en ronde bosse dans l’ivoire de mammouth ou dans la pierre tendre.



D’après la Vénus de Lespugue, vers 20 000 avjc, ivoire de mammouth, grotte des Rideaux, Haute-Garonne ; et un coquillage, élément de pendeloque, abri de la Gravette, Dordogne ; France, gravettien, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Voir aussi l’article : L’art paléolithique consacre la féminité et le monde animal
Tailleurs et sculpteurs façonnent la pierre, l’os et l’ivoire
Les artisans gravettiens fabriquent encore de nombreuses petites pointes de silex soigneusement retouchées, ainsi que des lames droites et fines de dimensions modestes. Les sagaies sont associées à des bâtons percés, et les artistes multiplient la production d’objets sculptés sur os.



D’après un poisson gravé, os, Lespugue, Haute-Garonne ; des pointes de La Gravette, silex taillé ; une pointe à emmanchement et burin, silex, vers 26 000 avjc ; gravettien, France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
La main humaine laisse son empreinte
La technique du pochoir
En France, les sites de Pech-Merle, dans le Lot, et de Gargas, dans les Hautes-Pyrénées, abritent des compositions picturales qui remontent à la période gravettienne. Les artistes gravettiens utilisent le principe du pochoir ou celui de l’impression pour apposer sur les parois rupestres la main humaine, en négatif ou en positif…

Les peintres exploitent différents pigments colorés pour les appliquer sur les parois, en soufflant dessus ou en utilisant divers pinceaux confectionnés à l’aide de poils.
Une main d’enfant
L’image de la main humaine peinte est un thème que l’on rencontre souvent dans l’art pariétal du paléolithique supérieur, en Espagne, en Argentine, en France… Dans la grotte de Fontanet, en Ariège, une main d’enfant subsiste sous la forme d’une empreinte.



D’après une main en négatif, peinture rupestre, grotte Chauvet, vers 36 000 avjc, aurignacien, Pont d’Arc, Ardèche ; une main sur fond noir, grottes de Gargas, vers 27 000 avjc, gravettien, Hautes-Pyrénées ; et l’empreinte d’une main d’enfant, grotte de Fontanet, magdalénien, Ariège ; France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle) ; et
SCULPTEURS ET TAILLEURS SOLUTRÉENS
L’art solutréen se distingue par la haute qualité du travail de ses tailleurs de pierre et annonce l’âge d’or de l’art paléolithique pariétal et mobilier. Les artistes solutréens taillent des lames de silex d’une finesse exceptionnelle…

Des chevaux, des bisons, des bouquetins…
Le site éponyme de la culture solutréenne, entre 20 000 et 18 000 avjc, se trouve, en France, au pied de la falaise de Solutré, en Saône-et-Loire. On a retrouvé là les ossements de plusieurs milliers de chevaux…
Sur le site préhistorique de Roc-de-Sers, en Charente, les Solutréens sculptent sur des blocs de pierre. Ils représentent des chevaux, des bisons et des bouquetins. On rencontre aussi quelques figures humaines, peut-être masquées. Un personnage semble être poursuivi par des chevaux, un autre donne l’impression de tenter d’échapper à un bison…


D’après un homme fuyant devant un bison, scène rupestre, abri du Roc-de-Sers, Charente, vers 18 000 avjc, France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Le rendu des animaux tend vers le naturalisme
Déjà, les sculpteurs interprètent des animaux aux lignes dorsales plus ou moins sinueuses, avec des ventres ronds et des membres inférieurs assez petits. Si le rendu et le modelé tendent vers le naturalisme, les attitudes des animaux évoquent souvent une puissance irréelle…
Les Solutréens créent les premières aiguilles à chas
Les artisans solutréens fabriquent des pointes de lance en forme de losange, parfois de très grandes dimensions. Pour armer les sagaies, ils façonnent aussi des pointes à cran qui permettent un emmanchement. Les Solutréens utilisent également l’os pour créer les premières aiguilles à chas et excellent dans l’art de la taille…



D’après une pointe denticulée, dite feuille de laurier ; une pointe à cran, vers 20 000-18 000 avjc, solutréen, silex taillé, ; et des aiguilles à chas, en os, 20 000-18 000 ans avjc ; solutréen, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Les lames « Feuilles de saule » et « Feuilles de laurier »
Les plus belles pièces des tailleurs de pierre solutréens sont de longues lames en silex soigneusement travaillées, parfois de très grandes dimensions. On les appelle « Feuille de saule » quand elles sont retouchées sur 1 face ou « Feuille de laurier » quand elles sont retouchées sur 2 faces.
Leur extrême finesse laisse imaginer que ces lames trop fragiles et délicates ne sont pas destinées à un usage utilitaire, mais qu’il s’agit plutôt d’objets d’art et de prestige…

Un degré de savoir-faire inégalé dans l’art de la taille…
Les artistes solutréens modèlent la pierre par pression et non plus par percussion. La taille du silex, extrêmement soignée et d’une parfaite régularité, atteint alors un degré de savoir-faire inégalé à l’époque de la préhistoire.
Parmi les modèles les plus exceptionnels, ceux de la cachette de Volgu, en Bourgogne, mesurent 35 centimètres de long environ pour moins d’un centimètre d’épaisseur…
Des Solutréens aux Magdaléniens, les artistes paléolithiques développent leurs talents de dessinateur, de peintre, de sculpteur, de graveur. Ils se plaisent aussi à diversifier leur outillage pour améliorer la vie quotidienne et réaliser de véritables objets d’art…
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De femme en femme, les vénus des chasseurs préhistoriques !
Musée de l’Homme : youtube.com/watch?v=iB4c4KML-84