Premières « Vénus » préhistoriques
Comme Néandertal, Homo sapiens inhume ses morts avec soin. Une expression artistique liée aux sépultures voit le jour. La maîtrise de la chasse, la place des animaux et le rôle de la femme sont peut-être associés à une pensée spirituelle, à la création de valeurs sacrées ou symboliques fondées sur un imaginaire…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour mai 2021 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Paléolithique supérieur : vers 40 000 – 35 000 avjc – 10 000 avjc. – L’Aurignacien : vers 35 000 – 20 000 avjc. – Le Gravettien : vers 26 000 – 20 000 avjc. – Le Solutréen : vers 20 000 -18 000 avjc. Chronologie Préhistoire
LA MONUMENTALITÉ DES STATUETTES PALÉOLITHIQUES
Le thème de prédilection des artistes du paléolithique supérieur, c’est le monde animal. Et parmi les rares images d’êtres humains que l’on peut voir, une grande majorité sont féminines. Le thème du nu féminin est très présent dans l’art paléolithique. Hommage ou consécration?…

La Vénus de Brassempouy, gracieuse Dame à la capuche
La Vénus de Brassempouy, dite aussi La Dame à la Capuche, datée vers 22 000 ans avjc, provient des Landes, en France. Ce célèbre portrait de femme sculpté dans l’ivoire de mammouth est magnifié par une coiffure en résille finement travaillée.
Sur le doux visage aux traits fins de La Dame à la capuche, on distingue les yeux et le nez, mais la bouche est absente. Ce détail, sans doute prémédité par l’artiste, confère au personnage une aura énigmatique. Cette figure semble habitée par une expression venant de l’intérieur…


D’après la Dame de Brassempouy, dite Dame à la Capuche, ivoire de mammouth, vers 22 000 avjc, Landes, France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
La figure de la Dame de Brassempouy est à ce jour le plus ancien visage humain connu. Cette statuette représente une exception parmi l’ensemble des figurations féminines préhistoriques, dans leur majorité très stylisées.



D’après la Vénus de Sireuil, calcite, vers 27 000 ans avjc, gravettien, Dordogne ; la Vénus de Tursac, calcite, Abri du Facteur, vers 25 000 avjc, gravettien, Dordogne, France ; et une vénus nue et parée, Russie, gravettien ; paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Une stylisation parfois poussée à l’extrême
Le plus souvent, les sculpteurs paléolithiques façonnent des statuettes à l’allure très stylisée et dépourvues de visage. Les corps sont souvent déformés par une hypertrophie calculée des détails anatomiques féminins.
Contrairement aux animaux, dont le rendu est plutôt naturaliste, les artistes paléolithiques interprètent les êtres humains avec une volonté de stylisation parfois poussée à l’extrême…


D’après une femme enceinte et parure, Russie, gravettien ; et une figuration féminine, gravure, grotte de Cussac, Dordogne, vers 29500-28000 ans avjc, gravettien ; France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Plantureuses Vénus et archétypes féminins
Si les représentations humaines sont rares à cette époque, le plus souvent ce sont des images féminines. Les plus anciennes sont réalisées par les artistes aurignaciens qui stylisent le sexe féminin peint ou gravé.
Les représentations féminines paléolithiques arborent des formes schématisées à l’extrême, minimalistes, qui mettent en lumière la nudité et quelquefois la parure… Ainsi, ces images s’apparentent à des archétypes féminins…

Ventres volumineux et seins lourds
Les plus connues sont les Vénus gravettiennes. Ces statuettes, d’à peine quelques centimètres de haut, affichent des formes très plantureuses.
L’absence de visage met l’accent sur le corps, dont les hanches, les fesses et le ventre sont volumineux. Souvent les bras sont à peine esquissés autour de seins lourds et imposants.
À l’image de déesses peut-être liées à un culte, les statuettes féminines paléolithiques nous ramènent à un symbolisme de la fertilité, de la fécondité, de la maternité et de l’abondance.


D’après une femme enceinte et un cervidé, gravure, magdalénien, Laugerie-Basse, Eyzies-de-Tayac ; et une évocation féminine, bison et lion, grotte Chauvet, vers 36 000 ans avjc, aurignacien, Ardèche, France, paléolithique. (Marsailly/Blogostelle)
Le thème de la femme associée au bison
Par ailleurs, dans l’art paléolithique, on rencontre à plusieurs reprises l’image de la femme associée à celle au bison…
Une gravure magdalénienne sur os, dite « contours découpés », associe une femme enceinte à un cervidé, une image rupestre associe une femme à une corne de bison, ou encore une peinture pariétale représente une évocation féminine auprès d’un bison et d’un félin…

Ainsi, La Vénus à la Corne de Bison de Laussel représente-t-elle une femme ou une déesse? Le sculpteur de cette « Vénus » utilise par ailleurs de l’ocre rouge, très présente dans l’art paléolithique, pour embellir son sujet. La figure porte haut, dans sa main droite, une grande corne de bison…
LES PLANTUREUSES BEAUTÉS GRAVETTIENNES
Selon le préhistorien Leroi- Gourhan, le style 2 se situe entre 26 000 et 18 000 ans avjc, au gravettien et au solutréen ancien. Au cours de cette période, les artistes s’essayent à la figure humaine et réalisent de nombreuses Vénus gravées ou sculptées en ronde bosse. Ces images semblent sacraliser l’essence de la féminité.

Des statuettes qui épousent un canon stylistique
Les « Vénus » de style gravettien se distinguent par une tête et des pieds très schématisés, voire à peine ébauchés. Les artistes insistent sur les volumes des formes du ventre, des seins, des hanches et des fesses.
Comme sur une statuette de style gravettien, sculptée en stéatite, pourvue d’une cupule au niveau des cuisses. Parfois, le canon stylistique s’inscrit dans un losange, une forme géométrique qui évoque le dessin du sexe féminin et accentue encore l’évocation de la procréation…
Face à ces images, le regard du spectateur se perd dans une impression d’enveloppement, comme happé au cœur de leurs formes généreuses…

Des petites sculptures célèbrent la procréation
Les modèles de Grimaldi en stéatite sont sculptés en ronde bosse et polis, comme la statuette dite Le Polichinelle, datée vers 27 000 avjc, ou la « Vénus » dite Le Losange, vers 22 000 -17 000 avjc.
Ces figurations sont très expressives malgré la géométrisation des formes et l’absence de visage. Parmi les statuettes de cette période, un exemplaire porte une cupule au niveau de ses cuisses.
La signification des cupules, que l’on rencontre dès l’époque aurignacienne, nous échappe. Mais les artistes s’attachent manifestement à mettre en valeur la sexualité féminine et la procréation…

On retrouve ce thème de la « Vénus », plus ou moins plantureuse et parée, avec les figures féminines néolithiques de l’Occident, de l’Inde ancienne, et les ancestrales déesses-mères orientales du Levant et de la Mésopotamie…
Ces images idéalisées de la Femme renvoient sans doute au principe féminin procréateur, symbole de sexualité, de fécondité et de maternité…
Voir aussi les articles Le néolithique, civilisation de la pierre polie ; Des peuples néolithiques du Levant… au génie de Sumer et Arts de l’Inde ancienne, le néolithique et les cités de la Vallée de l’Indus
Au regard du soin et du talent donnés à l’interprétation plutôt naturaliste des animaux dans l’art paléolithique, on peut imaginer que le schématisme des représentations humaines est volontaire. Les images masculines sont rares, les figurations féminines prédominent. Contrairement au rendu très vivant des animaux, les traits de la figure humaine tendent à rejoindre une forme d’abstraction…
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De femme en femme, les vénus des chasseurs préhistoriques !
Musée de l’Homme : youtube.com/watch?v=iB4c4KML-84