L’âge d’or de l’art paléolithique
À la fin du paléolithique supérieur, les arts rupestres et mobiliers atteignent leur apogée. Une création artistique spectaculaire s’inspire surtout des animaux, dont la présence mystérieuse et vivifiante habite les grottes et les cavernes. Parfois, quelques figurations humaines participent également à de grandioses mises en scène. Des signes énigmatiques complètent ces compositions poétiques…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour février 2021 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. – Le paléolithique supérieur : 40 000 – 35 000 avjc – 10 000 avjc. – Le Solutréen : vers 20 000 – 18 000 avjc. – Le Magdalénien : vers 18 000 -10 000 avjc. Chronologie L’Art de la Préhistoire
LA TOUCHE ARTISTIQUE MAGNIFIE LES ANIMAUX…
Selon le préhistorien Leroi-Gourhan, le style 3 consacre le monde animal. Ce profil stylistique se réfère à la période finale du solutréen et au magdalénien, entre 17 000 et 13 000 avjc. Le style 4, entre 13 000 et 10 000 avjc, correspond à une tendance plus réaliste et à la multiplication des compositions mobiles et des objets d’art…

Des arrondis et des lignes sinueuses
Les artistes paléolithiques interprètent le monde animal avec une grande vivacité, dans un esprit imaginatif qui nous emmène au-delà des normes naturelles. Les animaux semblent flotter en apesanteur…
Les peintres et les sculpteurs soignent le modelé des animaux. Ils dessinent des ventres très arrondis ou ballonnés, avec des lignes dorsales sinueuses. Souvent, les pattes sont petites ou à peine esquissées, et supportent le corps majestueux de l’animal.

Bisons, taureaux, bouquetins, chevaux…
Les peintres paléolithiques possèdent un sens réfléchi de la composition pour mettre en scène des troupeaux ou des animaux isolés. Les artistes affectionnent particulièrement les bisons, les taureaux, les bouquetins et les chevaux…
Entre 13 000 et 10 000 ans avjc, le style 4 marque une évolution. Les artistes cherchent à exprimer des rendus de plus en plus réalistes et la ligne dorsale sinueuse des animaux se redresse…


D’après un mammouth gravé, grotte de Cussac, vers 29500-28000 avjc, gravettien ; et un bison peint, grotte de Lascaux, vers 18 000 -10 000 avjc, magdalénien ; Dordogne, France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Des blocs sculptés mobiles et des objets décorés
80% des créations sont des blocs sculptés mobiles et des objets d’arts. Les sculpteurs travaillent sur des plaquettes ou sur des pierres que l’on peut déplacer, ce qui permet de varier les compositions.
Ces ensembles sculptés ou gravés sont peut-être destinés à des sanctuaires mobiles… Les sagaies, les propulseurs de sagaie et les omoplates de renne font l’objet de décors très élaborés.


D’après des bouquetins affrontés, grottes de Lascaux, Dordogne, vers 18 000 avjc ; et deux cervidés enlacés, propulseur, grotte d’Enlene, Ariège, vers 18 000 -10 000 avjc ; France, magdalénien, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Les mises en scène expriment dualité et affrontements
Les artistes réalisent de grandioses face-à-face
Mammouths, bisons, rennes, aurochs, grands félins, bœufs musqués, rhinocéros laineux…, ces animaux, aujourd’hui disparus de nos contrées européennes, animent les parois des grottes au moment des périodes froides.
Parmi les constantes de l’art pariétal, le thème du duel semble inspirer de nombreuses compositions. L’art de la mise en scène varie selon les tableaux. En groupe ou par deux, les animaux se livrent à d’impérieux et grandioses face-à-face…

Contraste entre touche naturelle et style abstrait
Deux animaux différents ou d’une même espèce s’affrontent, deux groupes d’animaux d’espèce différentes se toisent, un homme et un animal semblent s’opposer ou se combattre, ou encore un homme et un troupeau se retrouvent face-à-face. Ces mises en scène expriment une dualité.
La dualité s’exprime aussi dans le contraste entre une touche naturelle des rendus et un trait volontairement abstrait : l’expression plutôt naturaliste des animaux cohabite avec des images humaines très schématiques et des signes ou motifs géométriques.



D’après un bison gravé sur plaquette, grotte d’Isturitz, Pyrénées, magdalénien ; un hibou, grotte Chauvet, Pont d’Arc, Ardèche, 36 000 avjc, aurignacien ; et un canidé gravé, bois de renne, magdalénien ; France, style naturaliste, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Toute une faune en majesté
De nouvelles espèces animales apparaissent dans l’art pariétal ou mobilier quand le climat devient plus tempéré. Ainsi, à côté des mammouths, des bisons, des rennes, des aurochs…, on rencontre également de nombreux chevaux et taureaux, des loups, des canidés, des cerfs, des ours et des bouquetins.

Un trait réaliste et vivant
On peut les admirer sur les peintures et les gravures des parois rocheuses, moulés dans l’argile ou encore sculptés ou gravés sur des objets en corne, en os ou en ivoire.
Les artistes paléolithiques créent un trait réaliste et vivant pour représenter les animaux. Parfois le rendu semble empreint de surréalisme ou, au contraire, il surprend par son expression naturaliste.


D’après un cheval sculpté, bloc de pierre, vers 15 000 avjc ; et un cheval, os, contour découpé, Laugerie-Basse, vers 18 000 -10 000 avjc ; magdalénien, France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
DES ESQUISSES ÉVOQUENT L’ÊTRE HUMAIN
Le corps humain brossé en quelques traits
Le plus souvent, les représentations paléolithiques de la figure humaine sont très schématiques ou stylisées. Les artistes interprètent sommairement le corps humain, brossé en quelques traits.
Les images féminines, comme celles du Roc-aux-Sorciers, semblent insister sur le rôle sexuel et procréateur de la femme. Le détail naturaliste du sexe féminin apparaît comme une évidence sur des silhouettes à peine dessinée.

Des corps féminins aux formes naturelles
Assez rarement, les artistes paléolithiques s’essayent à créer des figures humaines davantage empreintes de réalisme. Comme on peut le voir sur certaines figurations féminines, surnommées Odalisques.
Les lignes de ces corps féminins aux formes naturelles respirent la sensualité. Ces quelques images plus réalistes cohabitent avec d’impressionnantes petites Vénus sculptées, au ventre et aux seins hypertrophiés.
Voir aussi l’article L’Art paléolithique consacre la féminité et le monde animal.



D’après un personnage masculin avec museau, os gravé, Mas-d’Azil, Ariège, magdalénien, France ; des silhouettes humaines, gravure sur plaquette de schiste, site de Gönnersdorf, Allemagne, magdalénien ; et un personnage dit « à la capuche », gravure, Sourzac, Dordogne, vers 25000-20 000 avjc, gravettien, France ; paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Des silhouettes mystérieuses…
Parfois encore, on rencontre un visage stylisé ou masqué, des êtres mystérieux au corps mi humain mi animal, ou encore d’étranges silhouettes à l’allure fantasmagorique, comme à Gönnersdorf, en Allemagne, ou en France sur une gravure de Sourzac avec un personnage dit « à la capuche ».
Voir aussi l’article L’univers spirituel des chasseurs-cueilleurs.
Les débuts de l’art du portrait ?
Une tête d’homme dans la grotte de La Marche, dans la Vienne, en France, offre au spectateur l’image d’un visage surprenant de vérité humaine… Ce portrait d’homme de La grotte de La Marche surprend le spectateur qui se retrouve face à un visage très humain.

LAMPES, POCHOIRS, PIGMENTS, PINCEAUX…
L’artiste paléolithique travaille avec les moyens simples dont il dispose pour graver, sculpter et peindre. La polychromie et la composition semblent répondre à des codes précis. Les peintres utilisent quatre couleurs : le noir, le rouge, le blanc et le jaune.

La palette paléolithique
Les artistes paléolithiques utilisent une palette simple. Le noir provient du manganèse et du charbon, le rouge de pigments d’ocre rouge ou d’oxyde de fer, le blanc de l’argile blanche et le jaune de l’argile jaune… Le savoir-faire artistique permet d’obtenir des dégradés en travaillant l’argile.
Les auteurs des peintures pariétales utilisent leurs doigts, leurs mains, des pinceaux – fabriqués à l’aide de crins et de poils – et des pochoirs. Pour s’éclairer dans les grottes, ils allument des lampes en grès grâce à une mèche végétale. La graisse animale sert de combustible…



D’après un taureau-auroch, un cheval rouge et une lampe en grès rose à décor de signes, grotte de Lascaux, vers 18 000 avjc, magdalénien, Dordogne, France, Paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Dramatisation et mise en scène
L’application des couleurs, le rendu de la lumière, le traitement de la perspective, le modelé de l’anatomie des animaux…, sont peut-être en relation avec une tradition millénaire de savoir-faire et d’inspiration.
Les artistes paléolithiques insufflent une puissante vitalité et une grande spontanéité à leurs œuvres. Ils cultivent un art de la dramatisation qui sublime la mise en scène de leurs compositions.

Même dans les représentations les plus naturalistes, les animaux semblent surgir d’un au-delà imaginaire voire sacré… et certaines silhouettes s’apparentent à des apparitions oniriques ou fantasmagoriques…
Une signification rituelle des représentations?
Gibier, mais aussi animaux sauvages…
Sur certaines compositions apparaissent des traces de frappes évoquant des coups de sagaies. Si un lien symbolique avec la chasse est possible, de nombreux animaux représentés ne sont pourtant pas du gibier.
Si on chasse les rennes et les bisons pour se nourrir beaucoup d’autres animaux sauvages sont également représentés.

Ces gestes de frappe renvoient peut-être à une fonction rituelle ou magique des images, comme à des cérémonies ou à des rites, initiatiques, sacrés ou religieux. Selon certains préhistoriens, les représentations pariétales ne sont pas dues au hasard.
Différentes espèces cohabitent dans les compositions
Par ailleurs, les artistes paléolithiques se plaisent à mettre en scène les animaux dans des situations qui ne sont pas celles de leur milieu naturel. Ainsi, ils représentent différentes espèces qu’ils associent ou opposent dans leurs compositions picturales ou sculptées.

Ces confrontations d’animaux – contrairement à ce qui se passe réellement dans la nature – peuvent être inspirées par l’imagination ou par des croyances, et possèdent peut-être une signification particulière…
Des combinaisons de signes abstraits
Les artistes paléolithiques élaborent aussi des combinaisons énigmatiques de signes abstraits. Que signifient ces points ou ces tracés géométriques variés qui ponctuent et complètent les tableaux de l’art pariétal? Des signes de reconnaissance? Des signes symboliques, sacrés, religieux ou magiques?
Le couple cheval-bison
Le préhistorien Leroi-Gourhan évoque une « religion » de la fertilité. Selon son analyse, le cheval et le motif du trait relèvent d’un symbolisme masculin.
Alors que le bison ainsi que les signes pleins se rattacheraient à des symboles féminins. L’auteur interprète différentes associations dans l’art paléolithique, parmi lesquelles le couple cheval-bison.


D’après des chevaux et signes, grotte de Lascaux, vers 18 000 avjc, magdalénien, Dordogne ; et un bison et cheval, grotte Chauvet, Pont d’Arc, Ardèche, vers 36 000 avjc, aurignacien ; France, Paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Les grottes, premiers sanctuaires de l’humanité?
La perpétuation d’un savoir ?
Le cheval, souvent associé au bison, le renne et le bouquetin semblent s’intégrer dans une mise en scène qui transforme les grottes en sanctuaire.
Les artistes investissent les lieux le plus loin possible en profondeur. Et les animaux les plus dangereux sont représentés dans les endroits les plus reculés, donc les plus difficiles d’accès…


D’après un cheval et bison, gravure, grotte de Cussac, Dordogne, gravettien ; et une vache rouge, grottes de Lascaux, Dordogne, magdalénien ; France, paléolithique supérieur. (Marsailly/Blogostelle)
Parmi les interprétations de l’art paléolithique, certaines proposent une signification symbolique du bestiaire préhistorique. Un savoir conceptuel et traditionnel pourrait ainsi être transmis et perpétué…
L’agencement manifestement volontaire des ensembles picturaux des grottes et des abris rocheux, et leurs signes mystérieux disséminés çà et là, laissent imaginer que ces lieux sont de possibles sanctuaires.

Une première mythologie?
L’art paléolithique serait-il aussi un moyen d’expression pour transmettre et enseigner des connaissances philosophiques, spirituelles ou initiatiques? Un art qui consacre la fertilité, la procréation, les principes féminin et masculin ? Un art qui témoigne d’une première mythologie?
Voir aussi l’article L’univers spirituel des chasseurs-cueilleurs.
L’art paléolithique serait-il encore un art qui relie le monde des vivants et le monde des morts? Un art qui exalte une relation spirituelle entre les êtres humains, les animaux et un au-delà divin, mythique ou sacré ?

À la fin du paléolithique, les artistes magdaléniens exploitent le bois de renne, l’os et des blocs de pierre pour créer leurs chefs-d’œuvre. Ils se distinguent encore dans l’art pictural, comme à Lascaux, grandiose manifeste artistique…
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Préhistoire. Bibliothèque publique d’information (Bpi) : Nouveaux regards sur les arts préhistoriques, Cycle dernières nouvelles de la préhistoire youtube.com/watch?v=xe-j9qMgvQc Un roman? La Guerre du Feu, de J.H. Rosny Aîné. Un film? La Guerre du Feu de Jean-Jacques Annaud.