Du feu rituel au feu spirituel
Garde du feu sacré, culte solaire et solstices, régénération, feu céleste, manifestation divine, révélation, feu infernal, feu terrestre…, le symbolisme du feu englobe une riche palette de significations. Sur le plan spirituel, le feu symbolise l’esprit divin, la puissance créatrice, l’efficience des rituels, la foi, la lumière céleste…
MINI-SOMMAIRE. Le symbolisme du Feu : 1. Les déités précolombiennes du feu et du soleil. 2. Culte du feu, culte solaire, manifestation divine… 3. Feu cosmique, rituel et spirituel, salamandre et phénix…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Décembre 2022 –

FEU PURIFICATEUR ET RÉGÉNÉRATEUR
L’usage rituel du feu apparaît dans nombre de traditions dans le monde. Le feu renouvelle le cosmos, régénère les terres ou l’être humain. C’est par le feu que l’on transmet des offrandes ou des prières aux dieux, aux défunts, aux ancêtres. Le feu sacré, entretenu en permanence, brûle dans les temples…

La garde du feu sacré
Chez les Étrusques, les Grecs et les Romains, le feu est l’agent prépondérant des rituels funéraires : du feu destructeur de la crémation aux représentations et aux torches ou lampes placées dans les tombeaux. Le feu symbolise alors la renaissance, la lumière, l’héroïsme…
Feu sacré dans temples grecs
La garde du feu sacré se pratique de l’ancienne Rome à Angkor… Les Grecs antiques allumaient des feux de joie et des torches aux fêtes de Prométhée, de Dionysos, de Déméter. Le feu sacré brûle dans les temples d’Apollon, à Athènes et à Delphes, dans les sanctuaires de Déméter, d’Athéna et même de Zeus.


D’après Zeus armé de son foudre, amphore, Grèce antique. (Marsailly/Blogostelle)
Le foudre de Zeus-Jupiter
Par ailleurs, le dieu gréco-romain Zeus tient en main son foudre, une arme héritée des anciens dieux de l’orage, du tonnerre, du feu de la foudre et de la pluie. L’aigle, symbole royal, est également l’un des attributs du dieu souverain du panthéon grec. Le foudre se compose d’un faisceau de dards, parfois en zigzag ou spiralé, pour évoquer la foudre et les éclairs…



D’après Zeus-Jupiter et son foudre, bronze, Benvenuto Cellini, 1545, Florence, XVIe siècle, Renaissance italienne ; Jupiter tonnant, dit Jupiter de Smyrne, marbre, IIe siècle apjc, restauration en 1686 de Pierre Granier, France, statue antique ; et Jupiter et son foudre, bronze, modèle de Benvenuto Cellini moulé par Pietro da Barga, fin XVIe siècle, Florence, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
Un feu perpétuel
Dans toutes les villes grecques, des édifices publics abritent le foyer où brûle le feu perpétuel (les prytanées) : des lampes restent allumées et entretenues en permanence. Comme les Grecs, les Romains adoptent ce culte du feu sacré dans les temples de Vesta…

Les vestales de Rome
Dans la Rome antique, les vestales sont les prêtresses, vierges et chastes, chargées de veiller au feu sacré de la déesse du foyer dans les temples de Vesta.
Une fois par an, au mois de mars, les vestales rallument le feu et veillent à ce qu’il brûle pour le reste de l’année. Ce feu sacré et protecteur ne doit pas s’éteindre, au risque de provoquer un malheur sur la cité de Rome…
Le culte de Zarathoustra
Dans l’Iran antique, au sommet du panthéon perse trône Ahura- Mazda, le “Seigneur sage”. Le feu est un symbole essentiel du mazdéisme, doctrine religieuse révélée par Zoroastre vers 660 avjc.

Le réforme zoroastrienne présente Ahura- Mazda comme le souverain unique de la création. Le mazdéisme se fonde sur la lutte entre deux principes opposés : la lumière et les ténèbres. La liturgie zoroastrienne repose sur le culte du Feu. Le feu est le fils d’Ahura-Mazda.
De nos jours encore, les communautés zoroastriennes, en Iran, et Parsi, en Inde, pratiquent encore ce culte du feu. Dans le culte de Zarathoustra (nommé mazdéisme ou zoroastrisme), les feux sacrés ne sont jamais éteints…

Le feu purificateur et régénérateur
Renouvellement du cycle annuel
Du monde occidental au monde oriental, extrême-oriental et sud-américain, on retrouve le symbolisme du feu purificateur et régénérateur dans des rites célébrant le renouvellement d’un cycle annuel ou temporel.
Dans les rituels précolombiens, les cultes du feu et du Soleil s’accompagnent de sacrifices humains pour “nourrir” le soleil et les dieux, et ainsi régénérer et préserver le monde. En Chine ancienne, le rituel d’intronisation royal s’accompagne de bains et de fumigations sous le signe de feux purificateurs.

Voir aussi l’article Le symbolisme du Feu (1). Les déités précolombiennes du feu et du soleil
Le feu nouveau dans la tradition Shintô
Au Japon, la tradition Shintô (“voie des dieux” ou “ voie du divin”) célèbre le nouvel an avec des feux purificateurs et des braises propitiatoires afin d’écarter les mauvaises influences de l’année passée. Le feu purificateur des rituels shinto (“kiri-b”i) est allumé traditionnellement en frottant deux morceaux de bois de hinoki (un type de cyprès).

Les feux celtiques de Beltaines
Dans la culture irlandaise celtique, le feu se rattache au symbolisme solaire. Les druides allument de grands feux le 1er mai à l’occasion des fêtes de Beltaines (“Feu de Bel”). Ce rituel annuel célèbre la fin de la saison sombre (automne-hiver) et l’avènement de la saison lumineuse (printemps-été), le renouveau de la végétation et de la vie.
Les feux de Beltaines protègent le cycle de l’année à venir et les troupeaux, en particulier des épidémies. On fait alors circuler le bétail entre les feux sacrés purificateurs…

Feu, culte solaire et solstices
Dans le culte antique de Mithra, le porteur de torche Cautopatès, flambeau vers le bas, évoque le Soleil Couchant. Cautès, torche vers le haut, symbolise le Soleil Levant.
Le culte de Mithra se rattache au cycle solaire et aux solstices d’hiver et d’été. Le sacrifice de Mithra, immolant le taureau, engendre la régénération de la Nature, des animaux et de la végétation…
Voir les articles : Le Sacré, les Mystères de Mithra dieu Salvateur (1) et Le Sacré, les Mystères de Mithra dieu Salvateur (2)

Par ailleurs, les feux de joie de la Saint-Jean, christianisés, trouvent leur origine dans les célébrations antiques et païennes des solstices (lumière montante et descendante), originellement en lien avec le culte du soleil et les feux rituels du renouveau.
FEU ET MANIFESTATION DIVINE
Sur le plan spirituel, le feu symbolise la puissance des rituels, la foi, la lumière et la connaissance. Le feu, comme le soleil, symbolise la clarté, la purification, la fécondité de l’esprit et l’illumination. Dans la Bible, le feu symbolise le jugement et la purification, mais il évoque aussi la présence de Dieu.

Lumières célestes
Dans le rituel chrétien, la célébration du “feu nouveau” a lieu pendant la nuit de Pâques. Le “feu nouveau” symbolise le Christ ressuscité, la lumière qui jaillit de la nuit. Dans la religion catholique, le feu de de la Pentecôte apparaît aux apôtres sous la forme de langues de feu.
Les Langues de Feu de la Pentecôte se rapportent au renouveau grâce à la Bonne Nouvelle qui doit se répandre dans le monde. Ces langues de feu évoquent également une inspiration céleste et fulgurante…

Le chariot de Feu de l’apothéose d’Élie renvoie au feu céleste et à la bénédiction divine. Selon Saint Martin, l’être humain est feu et il doit dissoudre son enveloppe pour s’unir à la source divine dont il est séparé.
Le feu de la foi et de l’épreuve
Le Christ et les saints de la religion chrétienne sont représentés avec une auréole ou un nimbe, symbole divin de rayonnement, de gloire et de lumière. Le feu de la foi consume, purifie… mais ne brûle pas.

Le feu symbolise le feu de la foi et le feu de l’épreuve… Selon saint Bonaventure (XIIIe siècle), François d’Assise propose “l’Épreuve du feu” au sultan d’Égypte et aux religieux sarrasins, qui eux fuient les flammes.
Comme l’illustre une scène peinte par Giotto di Bondone et par Domenico Ghirlandaio. L’épreuve du feu devient le symbole de la mission, de la foi et de la bravoure de saint François d’Assise en Égypte.

Par ailleurs au Moyen Âge, les ordalies font appel au jugement divin sous la forme d’épreuves par l’eau ou par le feu pour déterminer l’innocence ou la culpabilité des accusés au tribunal de justice…
Feu et Apocalypse
Le feu chrétien, c’est encore le feu dans L’Apocalypse. Dernier des livres du Nouveau Testament, L’Apocalypse de Jean (96-97 apjc) vise à soutenir la foi et l’espérance des chrétiens. Apocalypse vient du mot grec apocalypsis qui signifie « révélation”.

Ce récit visionnaire, poétique et énigmatique évoque des fléaux, une fin du monde, la lutte du Bien contre le Mal… Finalement, Dieu sauve l’humanité et Jésus revient : “Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre, car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus”.
Une conclusion faisant échos à Ésaïe (65:17) : “Car je vais créer de nouveaux cieux ; Et une nouvelle terre ; On ne se rappellera plus les choses passées ; Elles ne reviendront plus à l’esprit…”

… Et à Pierre (2 Pierre 3:13) : “Nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera”. Les théologiens interprètent davantage ces visions et écrits mystérieux comme un combat intérieur plutôt qu’un réel cataclysme annoncé…
Le feu chtonien, enfer et monde souterrain
Le feu infernal
Le feu possède des aspects dangereux quand il détruit, ravage tout sur son passage ou encore asphyxie par ses fumées. On rencontre dans diverses traditions le feu dévastateur de la guerre ou le feu dévorant des passions.

Le feu est aussi le feu du châtiment et de l’enfer… Ce feu destructeur s’oppose au feu spirituel, qui peut consumer pour purifier, renouveler, régénérer et illuminer Mais l’enfer brûle ses hôtes sans les consumer mais exclut toute régénération.
Des légendes chrétiennes racontent par ailleurs comment le Christ et les saints redonnent vie aux corps humains par le feu de la forge… Dans la Divine Comédie, le voyage de Dante le mène des glaciers et des flammes de l’enfer au Purgatoire et au Paradis…
Voir aussi l’article Divine Comédie (3 ) : Dante nous mène des tréfonds de l’Enfer aux plus hautes sphères célestes



D’après les flammes de l’Enfer, le mont du Purgatoire et le Paradis au sommet, Divine Comédie de Dante Alighieri, manuscrit de Frédéric de Montefeltro, 1478-1482, miniature ; et le chaudron de l’Enfer, Le Jugement dernier, Fra Angelico, fresque, 1431-1435, couvent San Marco, Florence ; XVe siècle, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
En outre, le feu terrestre renvoie aux entrailles du monde souterrain (chthonien), à la fois dangereux et porteur de fertilité. Ainsi, la maîtrise du feu s’associe parfois à une activité risquée, voire maléfique ou diabolique.

Forge et maîtres du feu…
Le feu de la forge, à la fois céleste et souterrain, est considéré aussi comme l’instrument du démiurge et des démons. On connaît l’image de Lucifer, le “porteur de lumière”, dont la chute s’achève dans les tréfonds de l’enfer.
Dans certaines cultures traditionnelles, par exemple en Afrique, les forgerons peuvent être craints et installés à l’écart des villages. Ces maîtres du feu sont à la fois respectés et redoutés…

Héphaïstos et Zeus
Dans la mythologie gréco-romaine, Héphaïstos-Vulcain, le maître du feu et de la forge, peut aider ou piéger les autres dieux de l’Olympe grâce à l’excellence de son savoir-faire. Par ailleurs, Zeus-Jupiter, souverain du panthéon gréco-romain, a pour attribut un Foudre, une arme qui se rapporte au feu et à l’orage…
Voir aussi l’article : Le Sacré. Forge et métallurgie, un labeur mythique

Prométhée dérobe le feu sacré…
Dans la mythologie gréco-romaine, Prométhée, créateur de l’humanité, dérobe le feu sacré de l’Olympe pour en faire don aux être humains. Furieux, Zeus punit Prométhée…
Le souverain de l’Olympe condamne le titan à être attaché à un rocher sur le mont Caucase. Chaque jour, un aigle dévore son foie, qui repousse durant la nuit. Prométhée est également celui qui enseigne la métallurgie et autres arts et techniques aux humains…

Divinités du Feu et de l’Orage dans l’Orient ancien
Le dieu-Soleil Shamash et Gibil le Feu
En Mésopotamie, à la fin du IIIe millénaire avjc, les graveurs d’Agadé mettent en scène diverses divinités. La grande Déesse aux Épis, le dieu des Eaux Douces Ea et le puissant Dieu-Soleil Shamash et ses flammes dominent le panthéon mésopotamien.
Toutes ces divinités manifestent leur pouvoir sur la végétation… Le feu se manifeste encore sous la forme de Nergal, Soleil brûlant de l’été, et de Gibil, personnification du Feu.

Voir aussi les articles Le Sacré en Mésopotamie : la grande déesse aux Épis et le puissant dieu-Soleil et Des divinités coiffées de tiares à cornes…
Déités du Feu, de la Lumière et de l’Orage…
À Babylone, sur la stèle du roi Meli-Shipak, le dieu du Feu et de la Lumière, Nushku, apparaît sous la forme d’un bélier et d’une lampe. Le fils de Nushku est Gibil, le feu.
Le dieu de l’Orage, de la pluie et de la fertilité, Adad, manifeste sa présence par le foudre et le taureau. Le foudre, symbolisant la puissance du dieu et de la foudre qui s’abat selon sa volonté, est l’attribut universel des dieux de l’orage, maîtres à la fois du feu et de l’eau…

Le dieu japonais Kagutsuchi, kami du feu
Par ailleurs au Japon, à une époque où les maisons sont en bois et en papier, des rites visent à apaiser Kagutsuchi, dieu du feu dans le shintoïsme, pour se prémunir d’incendies ravageurs…
Si le pouvoir de destruction de Kagutsuchi (“kami” du feu) est redouté, le feu est vénéré comme agent purificateur. Ainsi, au début de la nouvelle année, les fidèles ramènent dans leur foyer des torches du nouveau feu allumé par le prêtre du temple lors des « fêtes du feu » (Hi-matsuri)…

Izanami met au monde Kagutsuchi
Au Japon, deux livres sacrés, le Kojiki (rédigé vers 712) et le Nihongi (vers 720), relatent la cosmogonie shinto. Ainsi, le shintoïsme explique la création de l’Univers grâce à l’intervention de puissances supérieures pour ordonner peu à peu un immatériel chaos…
Selon le Kojiki (“Recueil des choses anciennes”), ouvrage sacré et mythique, Kagutsuchi est le fils d’Izanagi et d’Izanami, le couple primordial à l’origine de la création du monde et du Japon. Quand sa mère, Izanami, met au monde Kagutsuchi, elle meurt brûlée, envoyée au Yomi, le royaume des morts…

Kagutsuchi et la création des volcans
Dévasté par son chagrin, le père de Kagutsuchi, Izanagi, tue son fils et le découpe en huit morceaux qui deviennent huit volcans. Certaines légendes racontent aussi que du sang de Kagutsuchi naissent plusieurs kami, déités ou esprits supérieurs surnaturels. Dans le shintoïsme, les kami “peuplent tous les lieux et habitent toutes choses”…
La déesse japonaise du Soleil
La déesse du Soleil Amaterasu (“celle qui illumine le ciel ”), souveraine de l’univers, est la reine des kami. Dans la tradition japonaise, Amaterasu est considérée comme l’ancêtre des empereurs du japon. Amaterasu s’identifie au soleil levant et au pays. La déesse du Soleil apparaît sur le drapeau japonais sous la forme du disque solaire.

Ailleurs dans le monde, la tradition hindoue met en lumière le feu rituel, le feu cosmique et le feu de l’ascèse. Sur le plan spirituel, le symbolisme du feu se rapporte encore au cœur et à l’esprit, ainsi qu’à la subtilité du feu intérieur, un thème universel. La salamandre et le phénix symbolisent « le feu qui ne brûle pas » …
Article suivant : Le symbolisme du Feu (3). Feu cosmique et rituel, feu spirituel, salamandre et phénix…