Le “design” Brunelleschi
La Renaissance italienne au XVe siècle (4)… Filippo Brunelleschi élabore des plans réguliers et des espaces où brille la sobriété. L’architecte se distingue aussi par son utilisation de la « pietra serena », une pierre de couleur grise, pour créer un élégant contraste avec les enduits blancs des murs. Le “design” Brunelleschi devient une signature… Kaléidoscope…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour décembre 2020 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Trecento italien : XIVe siècle – Quattrocento : XVe siècle – Cinquecento : XVIe siècle. La cité de Florence au XVe siècle : à partir de 1434, les Médicis gouvernent la République de Florence – 1494-1498, dictature théocratique de Savonarole. 1498 – XVIe siècle : retour des Médicis appuyés par Charles Quint – 1555 conquête de Sienne – Chronologie Renaissance
BRUNELLESCHI CONÇOIT L’HÔPITAL DES INNOCENTS
À Florence, place Santissima Annunziata, Filippo Brunelleschi obtient le chantier du Spedale degli Innocenti, que lui confie la Corporation des Soyeux. Cet Hôpital des Innocents est un hospice pour les enfants trouvés ou abandonnés. Le chantier débute en 1419…

Brunelleschi élabore un plan ordonné et rigoureux
Brunelleschi élève la façade de l’Hôpital des Innocents, entre 1421 et 1428. Cet asile pour enfant (comme il en existe aussi à Paris, dans l’île de la Cité, jusqu’au XIXe siècle) reçoit ses premiers pensionnaires en 1445.
Derrière la façade se trouvent bâtiments et une série de portiques autour d’une cour centrale. Tout en élaborant un plan ordonné et rigoureux, Brunelleschi tente de s’adapter aux nécessités de la circulation des lieux.


D’après l’Hôpital des Innocents, Filippo Brunelleschi, arcades, et loggia, 1419-1428, Florence, XVe siècle, Quattrocento, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
Les cours des garçons et des filles
La distribution de l’Hôpital des Innocents englobe les logements des religieux, les salles pour les malades, l’infirmerie… À l’intérieur, l’hospice possède une distribution claire et deux cloîtres-cours.
La Cour des hommes, réservée aux jeunes garçons, donne accès à l’église Santa Maria degli Innocenti, dont la porte est surmontée par une Annonciation en terre émaillée d’Andrea della Robbia. Par ailleurs, la Cour des femmes, dédiée aux jeunes filles, possède une loggia au premier étage.

Des arcades en plein cintre en façade
Rationnel, Brunelleschi fonde son langage architectural sur des plans réguliers et sur la figure géométrique du carré, comme sur la façade de l’Hôpital des Innocents.
Si la finesse des supports et une prédominance du jeu des vides et des pleins rappellent encore l’esprit gothique, la réutilisation du plein cintre (de tradition antique et médiévale) pour les arcades en façade prend une dimension novatrice…

Architecture romaine et ordre toscan
Brunelleschi trouve son inspiration à la fois dans les monuments romains et dans les édifices toscans, tel le baptistère médiéval de la cathédrale Santa Maria del Fiore ou l’église romane de San Miniato al Monte, à Florence. Ainsi Brunelleschi exploite des éléments de l’architecture antique et les combine à sa manière dans l’esprit de l’ordre toscan…


D’après l’église de de San Miniato, arcades en façade, XIe-XIIIe siècle, époque médiévale, Toscane ; et une étude de Filippo Brunelleschi, perspective du baptistère médiéval de Santa Maria del Fiore ; Florence, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
L’église de San Miniato (XIe-XIIIe siècle) et ses arcades est un édifice de style roman élevé en l’honneur du martyre saint Miniato. À l’origine, Charlemagne, en 783, concède des biens pour ériger un sanctuaire devant abriter le corps du saint. Comme pour le Baptistère de Florence, la façade s’anime par le contraste chromatique entre le marbre blanc et le marbre vert de Prato.
La régularité parfaite des arcades
En façade, Brunelleschi habille l’Hôpital des Innocents d’un portique de neuf arcades à la régularité parfaite. Il exploite des formes géométriques simples, notamment le demi-cercle et le carré pour structurer et rythmer son architecture. Le diamètre du demi-cercle correspondant au côté du carré…

Architrave, frise et moulures…
Les arcades de l’Hôpital des Innocents sont portées par de fines colonnes corinthiennes, et deux pilastres cannelés encadrent le tout. Au-dessus de son portique, l’architecte innove en plaçant un entablement composé d’une architrave moulurée et d’une frise lisse, enrichie par une corniche à moulures saillantes.
L’entablement, qui dans l’architecture antique est beaucoup plus travaillé, forme ici un long bandeau horizontal. L’architrave correspond à la partie inférieure de l’entablement, supportant directement les chapiteaux des colonnes ou des pilastres (l’entablement correspond à la partie supérieure surmontant colonnes ou pilastres, englobant architrave, frise et corniche).



D’après l’Hôpital des Innocents, la cour des hommes, Annonciation d’Andrea della Robbia, 1487, et la cour des femmes ; Filippo Brunelleschi, 1419-1428, Florence, XVe siècle, Quattrocento, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
Brunelleschi met en lumière des éléments d’architecture
Le style rigoureux de Brunelleschi
L’art de Brunelleschi se distingue par la volonté de l’architecte de réduire le décor essentiellement à des éléments d’architecture. À l’étage de l’Hôpital des Innocents, l’architecte place des fenêtres rectangulaires surmontées d’un fronton (reprise d’un élément architectural antique), à l’aplomb des arcs du portique, renforçant ainsi l’harmonie et la rigoureuse régularité de son ouvrage…

Les médaillons émaillés d’Andrea della Robbia
Dans les écoinçons des arcades, Brunelleschi place des tondi (reprise d’un motif antique circulaire) en terre cuite émaillée. Ces médaillons sur lesquels apparaissent des petits enfants parfois emmaillotés, traités en blancs sur fond bleu, sont réalisés en 1487 par le sculpteur Andrea della Robbia (vers 1399/1400-1482).
Andrea della Robbia figure parmi les premiers artistes à utiliser la technique de la faïence (appliquée aux céramiques), pour réaliser des tondi. Ainsi, il couvre le disque circulaire en terre cuite d’émail blanc ou d’émail coloré. La faïence, plus résistante que la céramique, est en outre moins coûteuse que la pierre. Une vive émulation pousse architecte et sculpteur à innover…


D’après les tondi d’Andrea della Robbia, faïence, enfants emmaillotés, façade de l’Hôpital des Innocents, XVe siècle, Florence, Quattrocento, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
Brunelleschi inaugure une esthétique nouvelle
Brunelleschi relie les parties au tout
La belle ordonnance imaginée par Brunelleschi s’appuie sur un système organique clair, dans lequel tout se résout en rapports mesurables et rationnels. Les volumes sont traités comme une articulation de surfaces, et les surfaces comme les expressions de lignes maîtresses.
Cette conception d’ensemble crée une esthétique nouvelle pour laquelle chaque partie est harmonieusement coordonnée et proportionnée au tout.

Si Filippo Brunelleschi réalise un chef-d’œuvre avec l’Hôpital des Innocents, il expérimente ses recherches artistiques sur d’autres monuments de Florence : chapelle Pazzi de Santa Croce, rénovation de l’église San Lorenzo et de sa Vieille Sacristie, chapelle des Médicis…
BRUNELLESCHI À SAN LORENZO
Brunelleschi rénove l’église et la chapelle San Lorenzo
Les Médicis décident, à leur frais, de rénover l’église San Lorenzo, à Florence, une collégiale médiévale préromane et de style gothique. Pour les travaux de reconstruction et d’expansion de l’église, comme pour la rénovation de la Vieille Sacristie, chapelle des Médicis, ils font appel à Filippo Brunelleschi, qui là encore exprime sa conception très rationnelle de l’architecture.

Brunelleschi s’appuie sur un état préexistant
Si Brunelleschi ne suit pas lui-même les travaux de l’église San Lorenzo, il en dessine les plans. Le chantier est lancé en 1419. L’architecte reprend le plan basilical en T (inspiré du bas empire, à plafond en charpente) avec une nef pourvue de bas-côtés et de chapelles ouvertes.
Le transept forme un vaisseau transversal séparant la nef principale du chœur et donnant à l’édifice une forme de croix. S’y ajoute le sanctuaire. Le traitement du chœur et celui du transept est dû à d’autres architectes…



D’après l’église San Lorenzo, reconstruction de Filippo Brunelleschi, plafond à caissons et blason des Médicis, 1419, Florence, XVe siècle, Quattrocento, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
Pour assurer la régularité des proportions dans l’édifice, Brunelleschi conçoit une profondeur des bas-côtés correspondant à la moitié de la largeur du vaisseau central (la nef). Par ailleurs, supports et colonnes sont décalés pour s’adapter à l’état préexistant de l’église San Lorenzo, auquel la rigueur du plan doit s’y adapter.
Colonnes corinthiennes et arcs en plein cintre
Brunelleschi choisit de délimiter la nef de San Lorenzo par des colonnes corinthiennes et de la couvrir d’un plafond à caissons. Il utilise aussi des arcs en plein cintre et couvre les bas-côtés à l’aide de voûtes sur pendentifs.
Le style corinthien et les motifs de caissons s’inspirent de l’art antique. La série d’arcades rappelle le style de la façade de l’Hôpital des Innocents.



D’après l’église San Lorenzo, reconstruction de Filippo Brunelleschi, nef et bas-côtés, pietra serena et murs blancs, 1419, Florence, XVe siècle, Quattrocento, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
Brunelleschi exploite des espaces cubiques
Architrave continue et pilastres
Brunelleschi étudie avec soin les rapports de proportions entre les éléments architecturaux. Comme dans la Vieille Sacristie, l’architecte fait courir une architrave continue, ici au niveau des ouvertures des chapelles, au-dessus des pilastres…
… mais il lui faut stabiliser les voûtes des bas-côtés. Brunelleschi innove en élaborant un espace cubique permettant de restituer la hauteur que les voûtes des bas-côtés trouvent au niveau des murs des chapelles.

Brunelleschi pense un ensemble ordonné
L’architrave continue qui court au-dessus des colonnes de la nef suggère un long entablement, comme posé sur les supports grâce à l’ajout de dais travaillés et moulurés, telle la partie supérieure d’un réel entablement. Chaque travée s’anime ainsi d’un double jeu d’harmonie fondé sur les proportions d’un rectangle.
On retrouve cette même harmonie visuelle dans les bas-côtés, avec des pilastres soutenant un entablement. Et les voûtes sur pendentifs des collatéraux forment des arcs dont la section est identique à celle de l’arc de la nef, dont le vaisseau central est pourvu d’oculi qui éclairent l’édifice…

Pour parfaire le décor fondé sur les harmonies architecturales, Brunelleschi utilise le contraste du gris de la pietra serena et du blanc des murs. Comme aussi dans la Vieille sacristie de San Lorenzo.
Les recherches architecturales de cet architecte créateur s’accordent avec le rôle d’une église, devant apporter lumière et circulation, permettre la célébration du culte, offrir la présence de chapelles. Le tout en soignant les proportions et les rythmes d’un ensemble ordonné, comme aussi dans la Vieille sacristie…
LA RÉNOVATION DE LA CHAPELLE MÉDICIS
Brunelleschi magnifie La Vieille Sacristie San Lorenzo
Pour rénover la Vieille Sacristie, entre 1420 et 1428, Brunelleschi travaille sur un plan carré se développant en cube, et dans lequel s’inscrit le cercle de la coupole. La transition du plan carré au plan circulaire se fait grâce à un système de pendentifs appareillés, ornés de l’écusson des Médicis.

La Vieille Sacristie San Lorenzo ne doit pas être confondue avec la Nouvelle Sacristie de Michel-Ange (Michelangelo di Lodovico) réalisée en 1510 au XVIe siècle.
La Vieille Sacristie englobe deux coupoles
Pour rénover la Vieille Sacristie Brunelleschi réfléchi un projet comprenant une chapelle et une petite église. Il remet le plan carré à l’honneur, comme dans l’Antiquité et à l’époque du Bas-Empire. Tout rayonne du centre.
L’architecte se fonde sur un savant calcul des proportions pour réaliser un carré comprenant un cercle à l’intérieur, le carré pouvant lui-même s’intégrer dans un cercle…

Ainsi, Brunelleschi applique aussi le principe du carré et du cercle emboîtés de la chapelle pour le petit chœur du sanctuaire, lui aussi magnifié par une petite coupole.
Voir aussi l’article XVe siècle. Florence, florissante cité artistique sous l’égide des Médicis – Brunelleschi, architecte de la Renaissance
Contraste entre pietra serena grise et blancheur des murs
Brunelleschi marie le carré et le cercle
On retrouve la signature de Filippo Brunelleschi dans la chapelle Pazzi de Santa Croce, avec une élévation cubique et le contraste entre le gris de la pietra serena et la blancheur des murs…

Brunelleschi crée un ensemble harmonieux
À l’intérieur de la Vieille sacristie San Lorenzo, Brunelleschi rythme les murs grâce à des pilastres cannelés qui soulignent les principales articulations de l’édifice. Et d’imposants pilastres supportent une architrave en continu englobant aussi le sanctuaire.
Au-dessus de l’entablement l’architecte installe des baies aveugles et éclairées, dont l’esprit rappelle celui de l’Hôpital des Innocents…
Pour les pilastres à chapiteaux l’architecte utilise la pietra serena de couleur grise, comme aussi pour souligner les lignes de force de son architecture… Entablement et architrave accentuent une puissante ligne horizontale.

Une coupole en ombrelle
Le cercle détermine les nervures de la voûte, plus large en partie inférieure et plus étroites en partie supérieure. Les arcs ouvrent sur le chœur et les portes et les pendentifs sont ornés de l’écusson des Médicis. Le tout crée une harmonieuse unité, englobant un petit volume et un grand volume…
Par ailleurs, la coupole de la Vieille sacristie n’a rien d’antique. En ombrelle, elle est constituée d’ogives rayonnantes dans un esprit gothique et percée d’oculi (singulier oculus), qui sont des petites ouvertures de forme circulaire, disposée ici entre les ogives. Ses nervures rappellent celle du Duomo de Santa Maria del Fiore.


D’après la Vieille sacristie, église San Lorenzo, écusson des Médicis et soulignements en pietra serena, architecte Brunelleschi, 1420-1428, Florence, Quattrocento, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
Les stucs polychromes de Donatello
Là encore, Brunelleschi laisse sa signature en misant sur l’art qui le caractérise d’ordonner et de valoriser rationnellement les éléments de l’architecture. Il réduit le décor au contraste entre la teinte grise de la “pietra serena” et la blancheur des murs enduits.
Mais l’architecte n’apprécie pas le style des ornements en fort relief alors en vogue à son époque. Il critique notamment les stucs polychromes de Donatello qui ne correspondent pas à son dessin, ni à son “design”.


D’après un tondo en stuc, de Donatello, L’Ascension de saint Jean, vers 1435, coupole ; et les saints Stefano et Lorenzo, Donatello, 1434-1443 ; Vieille sacristie, San Lorenzo, Florence, Quattrocento, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
Donatello réalise des tondi colorés
Le sculpteur florentin Donatello (1383 ou 1386-1466) réalise, à partir de 1435, huit tondi (singulier tondo) en stuc coloré ornant la coupole. Le sculpteur représente les Évangélistes et des épisodes de la vie de saint Jean. Il sculpte aussi deux reliefs en terre cuite de saints en duo et des heurtoirs en bronze pour les portes.

L’élévation de la chapelle Médicis sera modifiée…
Par ailleurs, la petite coupole de la chapelle, au-dessus de l’autel, est magnifiée par la peinture d’un ciel étoilé bleu et or, attribuée à Giuliano Pesello, dont la position des astres correspond au ciel observé à Florence le 4 juillet 1442…
Avec l’introduction d’éléments colorés, l’élévation de la chapelle Médicis sera modifiée après la mort de Brunelleschi, avec notamment l’ajout d’une frise de terres cuites.


D’après La Vieille sacristie, San Lorenzo, entablement continu, Filippo Brunelleschi, 1420-1428 et ajout d’une frise de terres cuites, chapelle Médicis ; et un portrait de Brunelleschi, sculpteur Andrea di Lazzaro Cavalcanti, dit le Buggiano, son fils adoptif, 1446, Santa Maria del Fiore ; XVe siècle, Florence, Quattrocento, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
La Vieille sacristie San Lorenzo possède aussi une vocation funéraire, ainsi Pierre Ier de Médicis, dit Pierre le Goutteux (1416-1469) y est enseveli…



D’après la voûte astronomique, attribuée à Giuliano Pesello, sanctuaire et coupole, Vieille sacristie, San Lorenzo, chapelle Médicis, Filippo Brunelleschi, 1420-1428, Florence, Quattrocento, Renaissance italienne. (Marsailly/Blogostelle)
La Renaissance italienne naît à Florence, où cohabitent dans un premier temps tradition gothique et nouveau style Renaissance. Puis grâce à une féconde émulation, les arts de l’architecture, de la sculpture et de la peinture s’enrichissent mutuellement. Comme Brunelleschi, Michelozzo et Alberti innovent et imposent leur style…
Article suivant : Brunelleschi le rationaliste, Michelozzo le décorateur, Alberti le théoricien
Sommaire Arts de la Renaissance
Littérature ? La Comédie, de Dante Alighieri (1265-1321) éditée une première fois en 1472, puis en 1555 sous le titre de Divine Comédie. Le traité politique de Machiavel, Le Prince, écrit en 1513, publié en 1532 (Nicolas Machiavel, 1469-1527). Giorgio Vasari (1511-1574) publie La Vie des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes en 1550, et en 1568. Découvertes? En 1492 le navigateur génois Christophe Colomb (1451-1506) découvre un Nouveau Monde, l’Amérique. L’imprimeur allemand Gutenberg (vers 1397-1400- 1468) invente la typographie…