L’universel feu sacré
Dès l’aube de l’humanité, les vertus du feu fascinent. Au fil des temps, le feu acquiert une dimension sacrée et rituelle. Le feu et la fumée sont le véhicule des offrandes aux dieux. Dans les civilisations précolombiennes, les divinités du feu président à la régénération périodique du monde. Le dieu Soleil représente une source cosmique de chaleur qu’il faut “nourrir”. Le feu renouvelle le cosmos, régénère les terres ou l’être humain…
MINI-SOMMAIRE. Le symbolisme du Feu : 1. Les déités précolombiennes du feu et du soleil. 2. Culte du feu, culte solaire, manifestation divine… 3. Feu cosmique, rituel et spirituel, salamandre et phénix…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Nouvelle version 23 novembre 2022 –

FEU SACRÉ, DE LA TERRE AU CIEL
Dans les civilisations précolombiennes, Huehueteotl, “Dieu ancien” du feu, Xiuhtecuhtli, maître du feu et de la guerre et Tlaloc, dieu du tonnerre, de la foudre, de la pluie et des semailles, sont l’objet de cultes et de sacrifices pour nourrir les dieux et préserver le monde…
Le feu et la pluie proviennent du Ciel…
Le feu de la foudre et des éclairs semble avoir inspiré très tôt l’humanité. Dès la préhistoire, parfois dévastateur, le feu bienfaiteur apporte lumière, chaleur et protection contre les animaux sauvages.

Le feu originel provient du Ciel : le feu se rapporte à la foudre de l’orage et au rayonnement du soleil. La pluie fertilisante produite par les nuages provient du ciel. Ces deux principes atmosphériques et célestes nourrissent ainsi la vie culturelle et spirituelle des premiers peuples.
Le jaillissement de l’étincelle
La symbolique sexuelle du feu apparaît comme universelle. On peut la relier au principe originel du frottement répétitif qui permet de faire jaillir l’étincelle pour allumer le feu. Cette activité de va-et-vient et de chauffe se rattache à l’acte sexuel.

Sur un plan spirituel, la symbolique du feu se réfère également à l’activité de percussion : l’étincelle produite par une frappe s’apparente à l’éclair ou à la flèche qui atteint son but, engendrant purification ou illumination…
Associé à la pluie salvatrice de l’orage, le feu devient fécondant. La terre et l’être humain se nourrissent de cette complémentarité vitale.
Huehueteotl, “Dieu Ancien” du feu
Dans les civilisations précolombiennes, le dieu du feu Xiuhtecuhtli s’identifie au “Dieu Ancien” de Teotihuacan, Huehueteotl, avec qui il partage nombre d’attributs.

Huehueteotl possède un panache surmonté d’un oiseau turquoise, symbole de chaleur, un pectoral en forme de papillon, un chien.
Sur son bandeau frontal s’imbriquent parfois deux triangles, l’un à pointe montante, emblème de royauté et glyphe de la force évolutive, l’autre à pointe descendante, évocation de Tlaloc, dieu du tonnerre, de la foudre et de la pluie.

L’union des contraires, le feu et l’eau.
Le feu terrestre permet l’union des contraires : la sublimation de l’eau en nuages et la transformation de l’eau terrestre en eau céleste. Le glyphe associé à Huehueteotl « eau brûlée”, évoque l’union des contraires, le feu et l’eau.
Autre déité du feu, Huracan est le dieu maya du feu et de la tempête. Il préside à la puissance de l’ouragan et du vent. Des son côté, Huracan réunit l’air et le feu…
Le dieu du feu, Xiuhtecuhtli
Xiuhtecuhtli, dont le nom signifie “Seigneur turquoise”, toujours présenté comme un jeune dieu, préside au temps et au calendrier et s’associe aux souverains et aux guerriers.

Dans les codex, Xiuhtecuhtli est représenté le visage peint de pigments noirs et rouges. Parmi ses emblèmes figurent un pectoral turquoise, le serpent de feu (“Xiuhcoatl”), le papillon et une parure évoquant un foyer (“Tlecuilli”).
Sur le codex Borbonicus, calendrier des rituels et des cycles temporels, le dieu du feu Xiuhtecuhtli porte un oiseau turquoise (“Xiuhtototl”) sur le front. Sur le dos de Xiuhtecuhtli apparaît le serpent de feu (“Xiuhcoatl”), son “double animal” et spécialiste rituel (“Nahualli”), sorte d’enveloppe ou de déguisement du dieu.

Transformation par le feu
Sur un masque en mosaïque turquoise du British Museum, le visage de Xiuhtecuhtli porte des nodules en relief faits de cabochons. En raison de ces nodules, il a été proposé que ce masque représente plutôt le dieu Nanahuatzin qui se transforme en Tonatiuh, dieu Soleil.
À l’origine des temps, les dieux se réunissent à Teotihuacán pour éclairer le monde. Ils allument un grand feu et demandent deux volontaires pour se jeter dans le brasier et devenir la Lune et le Soleil.
Nanahuatzin, petit dieu, bossu et pustuleux, se précipite sans hésiter dans le feu et devient le Soleil (Tonatiuh). Après avoir d’abord hésité, Teccuciztecatl se jette à son tour dans les flammes et devient la Lune.

Le sacrifice des dieux par le feu
Xiuhtecuhtli est le maître du feu et de la guerre. Il brûle, enflamme et consume… Chez les Maya, Xiuhtecuhtli prend la forme de “l’Ara de feu au visage de Soleil”. Par ailleurs, qualifié de “Flamme ardente”, des sacrifices humains lui sont consacrés :
Le Soleil et la Lune nés d’un brasier originel sont cependant inertes et sans vie. Pour animer le monde, les dieux décident alors de se sacrifier eux-aussi et se jettent dans le feu. Les sacrifices humains, destinés à nourrir et à maintenir en mouvement et en vie le Soleil et la Lune, réactualisent ce premier sacrifice.

Feu et régénération du monde
Le feu apparaît comme l’agent actif d’une régénération périodique du monde et de la végétation. Le rite du Feu Nouveau, Xiuhmolpilli (“ligature des années”), comme l’illustre le codex Borbonicus, se déroule une fois tous les 52 ans. Dans la civilisation aztèque, ce rituel permet d’assurer la transition d’un cycle de 52 ans à un autre.
Si le prêtre officiant de l’allumage du feu ne remplit pas son sacerdoce, le soleil ne se lèvera jamais plus, laissant la place à une nuit éternelle et à d’effrayantes créatures (“tzitzimime”) descendues des cieux pour dévorer les êtres humains…

Tlaloc, dieu du tonnerre et de la pluie
Tlaloc, dieu du tonnerre, de la foudre, de la pluie et des semailles, possède des crocs terrifiants et le regard ceint de motifs évoquant des serpents. Le pouvoir de Tlaloc, “prince magicien” des Aztèques, réside dans sa maîtrise des éléments. “Celui qui fait tomber la pluie” appelle les nuages en agitant sa sonnaille (cloches ou clochettes).
Ainsi, le dieu déclenche la tombée de l’eau bienfaisante, indispensable à la survie de la terre, des animaux et des êtres humains, dont le sort dépend de lui. Généreux, Tlaloc peut également se montrer courroucé. Le culte de Tlaloc repose sur des rituels associés à la terre, à l’orage et à la foudre, à l’eau et à la fertilité…

Tlaloc se rattache au feu et à l’eau
Tlaloc dirige ses auxiliaires, les Tlaloques, qui vivent au sommet des montagnes. Ce dieu est associé à l’Est, à la couleur rouge et à l’oiseau quetzal, comme Xipe Totec dont il est le double. Par ailleurs, Tlaloc permet aux défunts d’accéder au Tlalocan, le jardin toujours luxuriant.
La parèdre de Tlaloc est Chalchiuhtlicue, “celle qui porte une robe de jade”, déesse des eaux douces : fleuves, rivières et lacs. C’est la déesse Huixtocihuatl, “la dame de sel”, qui règne sur l’eau salée des mers.


D’après Tlaloc, dieu du tonnerre, de la pluie et des semailles, statuette, roche sculptée, 1350-1521 ; et la déesse de l’eau Chalchiuhtlicue, parèdre de Tlaloc, codex Borbonicus, fin XVe-début XVIe siècle ; civilisation aztèque. (Marsailly/Blogostelle)
Le dieu Tlaloc possède à la fois le pouvoir du feu et celui de l’eau. Pour les précolombiens, les pierres semi-précieuses de turquoise et de jade se rattachent respectivement au feu et à l’eau.
LE FEU PURIFIE ET RÉGÉNÈRE
La symbolique universelle du feu est intimement liée à l’univers cosmique et solaire, à la puissance de l’orage qui marie le feu et l’eau, à la fertilité des terres, aux rites de passage célébrant le renouveau de la végétation et de la vie. Les déités du feu et les rituels jouent un rôle important dans les civilisations précolombiennes…

Feu, rites de purification et de passage
Les rites de purification par le feu, souvent rites de passage, sont nombreux dans les sociétés agraires. Le feu brûle les champs pour renouveler leur fertilité et revigorer les cultures. Dans certaines cultures, le rite du feu nouveau à lieu au moment du brûlage des terres.
Renaissance de la végétation
Dans les mythologies précolombiennes, des divinités meurent sur le bûcher, puis leurs cendres sont jetées dans la rivière avant de renaître sous la forme de de nouvelles pousses végétales, tel le maïs. Il s’agit de réactualiser par le feu et par l’eau la mort et la renaissance d’un dieu ou d’un être mythique qui incarne la végétation…

Les dieux du maïs renaissent par le feu et par l’eau
Le Popol-vuh (“Livre de la natte”), recueil sacré des Mayas-Quichés, concentre la cosmologie, la mythologie et les traditions des Mayas-Quichés. Censé être rédigé au XVIe siècle, le Popol-vuh est issu de la tradition orale et écrite. Pour les Mayas-Quichés, qui vivent alors sur les hautes terres du Guatemala, “la natte » symbolise le siège du pouvoir dirigeant.
Un épisode relate l’histoire des héros jumeaux, dieux du maïs, qui meurent sur le bûcher. Leurs cendres sont jetées dans la rivière d’où ils renaissent sous la forme de pousses vertes de maïs. Dans les rites initiatiques de mort et de renaissance, le symbolisme du feu est intimement lié à celui de l’eau, son principe contraire.


D’après le jeune dieu du maïs émergeant d’un épis, terre cuite et pigments de couleur, VIIe-IXe siècle, civilisation Maya, île de Jaina ; et le dieu du Maïs, masque, argile peinte, mythologie maya et aztèque, artisanat ; Mexique. (Marsailly/Blogostelle)
Purification par le feu et par l’eau
Les Indiens Maya Chortis perpétue le mythe des dieux du maïs en célébrant le feu nouveau au moment de l’équinoxe. Ce feu nouveau correspond au brûlage des champs avant les semailles. Les Chortis allument un bûcher pour y brûler des cœurs d’oiseaux et d’autres animaux.
Esprits divins, les cœurs d’oiseaux symbolisent les héros Jumeaux incinérés. Leurs cendres sont jetées à l’eau dans la rivière pour accomplir une renaissance. Ils deviennent le nouveau Soleil et la nouvelle Lune. Ainsi, la purification par le feu et la purification par l’eau se complètent…

Xipe Totec, dieu du renouveau de la végétation
Dans la mythologie aztèque, Xipe Totec (“notre seigneur l’écorché”) est le dieu du printemps et du renouveau de la végétation. Huehueteotl, son double, s’identifie au dieu du feu Xiuhtecuhtli.
Comme Tlaloc, dieu du Tonnerre et de la pluie, Xipe Totec est associé à l’Est, à la couleur rouge et à l’oiseau quetzal. Xipe Totec s’écorche lui-même pour nourrir l’humanité, tel le grain de maïs perdant son enveloppe avant de germer…

LE SOLEIL, DIEU VORACE
Le symbolisme du feu se rattache encore au feu solaire. Dans les civilisations précolombiennes, le culte du Soleil se rapporte à la dynamique cosmique, à un mouvement et à un concept d’énergie métaphysique sous la forme de chaleur.

Des sacrifices pour “Nourrir le Soleil”
Mais cette chaleur cosmique symbolisée par le soleil correspond aussi à une puissance susceptible de déperdition et de dissipation. La peur de l’épuisement de cette chaleur, source tarissable, a amené les précolombiens à pratiquer des sacrifices humains pour “nourrir” le Soleil.
Ces sacrifices rituels visent à restaurer l’énergie cosmique, à régénérer et à préserver la force vitale. Ainsi le Soleil apparaît comme un brasier qui sans cesse doit être entretenu pour ne pas s’éteindre afin de préserver le monde et les humains.

Vorace, le soleil “dévore le cœur” des sacrifiés et “s’abreuve de leur sang”. Le feu et la fumée sont les véhicules des offrandes aux dieux dans les rituels de sacrifices.
Bien avant les Aztèques, d’autres cultures précolombiennes pratiquent déjà des sacrifices humains. Comme au Ier millénaire avjc (période préclassique), chez les Olmèques, les Zapotèques et à Izapa. Des sacrifices humains perdurent avec les Mayas, à l’époque classique (IIIe-Xe siècle)…



D’après la Pierre du Soleil, dieu Tonatiuh, autel monolithe sculpté, colorée à l’origine, 1479, basalte, environ 24 tonnes, XIVe-XVIe siècle, Mexico ; la face de Tonatiuh, détail ; et peinture, musée anthropologique de Chapultepec ; Mexique, civilisation aztèque. (Marsailly/Blogostelle)
Les sacrifiés, qui parfois incarnent une divinité ou se métamorphosent en des entités surnaturelles, bénéficient cependant d’un statut honorifique et de tous les égards de la communauté avant leur passage sur la pierre du sacrifice…
Tonatiuh, dieu Soleil des Nahuas
Pour les Nahuas, le dieu Soleil est Tonatiuh en langue nahuatl. Cette déité, surnommée “Flèche ardente” est également, dans les textes anciens, qualifiée d’”Aigle embrasé” et de “Prince de turquoise”.

Chez les Nahuas, la mère, en coupant le cordon ombilical de son fils nouveau-né, prononce ces mots : “Ta propre terre, ton patrimoine, c’est la maison du soleil, dans les cieux, où il te faut vénérer et réjouir notre seigneur Tonatiuh qui s’appelle Totonamitl”…
La turquoise et le jade
La turquoise, « xihuitl », pierre semi-précieuse, symbolise la chaleur du feu et la chaleur du soleil, le monde céleste sec et chaud. Le jade évoque le monde chthonien (terrestre, l’intérieur de la terre), aquatique et froid. Le nom du dieu du feu Xiuhtecuhtli signifie “Seigneur Turquoise”, ce qui relie cette divinité à la chaleur cosmique solaire…

Garde du feu sacré, feu rituel, culte solaire et solstices, régénération, manifestation divine, révélation, feu terrestre et feu céleste, feu alchimique, feu spirituel, salamandre, phénix…, le symbolisme du feu englobe une riche palette de significations. Sur le plan spirituel, le feu symbolise la puissance des rituels, la foi, la transmutation…
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Le nahualli : homme-dieu et double animal au Mexique, Roberto MARTÍNEZ GONZÁLEZ, pdf (https://) sciencepress.mnhn.fr/sites/default/files/articles/pdf/az2004n1a25.pdf ; Le Popol Vuh et les prophéties du Chilam Balam – l’obsession du passage du temps dans les textes fondateurs mayas, Sophie Normandin : (https://) docs.google.com/document/d/1vKizhJBbahxQuc8UesYgE_WsS8BTE0a7iq22nefgNK8/edit#
Merci beaucoup pour ce focus riche de contenu et de lien
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