L’ascension de Dante et Béatrice
C’est au sommet de la Montagne du Purgatoire que l’on peut rejoindre le Paradis de la Divine Comédie, ultime palier circulaire du jardin d’Éden. De là, Béatrice prend le relais de Virgile. Commence alors une ascension vers le monde céleste. La femme aimée et sublimée permet au poète de s’approcher au plus près du plus lumineux des mystères…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour septembre 2021 –
MINI-SOMMAIRE. 1 1 Vie d’Artiste : Qui êtes-vous Dante Alighieri? – 2 Divine Comédie : Dante marie sa cathédrale poétique à une odyssée initiatique – 3 Divine Comédie : Dante nous mène des tréfonds de l’Enfer aux plus hautes sphères célestes – 4 Divine Comédie : “Sondez l’enseignement qui se dérobe ici, sous le voile tissu de vers mystérieux !”

DANTE AU PURGATOIRE
Le Purgatoire permet aux âmes pénitentes d’être sauvées?
(Dante insiste…) Oui… Dans chaque cercle du Purgatoire, les êtres expérimentent successivement l’expiation de leurs fautes et la purification graduelle de leur âme… Les âmes qui séjournent au royaume de la pénitence contemplent des exemples de la vertu opposée au vice qui les a poussées à chuter dans l’erreur.
Mais la difficile ascension des paliers successifs du Purgatoire, bordés d’abruptes falaises, n’est pas sans périls… Par exemple, les prodigues comme les avares perdent leur temps à se lancer des insultes… et se retrouvent sous les éboulis…

On peut atteindre une porte étroite du Purgatoire qui s’ouvre uniquement pour ceux qui se sont assez purifiés pour poursuivre encore des épreuves rituelles. La porte, précédée de trois marches de pierres, ouvre une brèche dans la roche gardée par un ange de lumière…
L’entrée de chaque corniche du Purgatoire et donc de chaque étape de la purification est gardée par un ange… Comme l’Enfer, j’ai organisé Le Purgatoire en 9 niveaux, la plage, la pente du Mont et 7 corniches bordées de falaises …
C’est au sommet de la Montagne du Purgatoire que l’on peut rejoindre le Paradis terrestre, dixième palier circulaire, qui accueille le jardin d’Éden…


D’après la Divine Comédie, Purgatoire : Dante et Virgile, détail, de Luca Signorelli, fresque, San Brizio, Orvieto 1499-1502, début XVIe siècle ; et Char fantastique, Sandro Botticelli, 1480-1495, XVe siècle, Renaissance. (Marsailly/Blogostelle)
Comment se passe votre rencontre avec l’ange du Purgatoire?
(Dante prend un air à la fois humble et inspiré…) Toujours guidé par Virgile, je me présente devant l’Ange du Purgatoire… L’ange grave 7 P sur mon front.
Cette lettre P signifie les 7 péchés capitaux dont les âmes se purifient sur les 7 corniches du Purgatoire… Une lettre disparaît de mon front au fur et à mesure que je progresse…
Selon Saint Grégoire (repris ensuite par Saint Thomas d’Aquin), les 7 péchés capitaux sont la vaine gloire, l’envie, la colère, l’avarice, la tristesse, la gourmandise et la luxure… Le chiffre 7 renvoie à l’idée de perfectibilité graduelle de l’être humain… Mais il évoque aussi l’union de la Terre (4) et du Ciel (3)…

Vous affectionnez les chiffres, les nombres et les symboles…
(Dante acquiesce…) Oui, bien sûr… Mais vous savez, dans toutes les anciennes traditions du monde certains chiffres ou nombres possèdent une valeur sacrée…
Ainsi, le chiffre 7 se rattache encore aux 7 métaux alchimiques et à la transmutation du plomb en or, dont le labeur spirituel passe par l’Eau et par le Feu… L’Eau et le Feu sont d’ailleurs omniprésents dans ma Comédie, dans la cité de l’Enfer comme au Purgatoire…
(Le poète précise…) Rivières ou marais troubles et glacés au royaume de Lucifer, l’Eau rédemptrice des mers qui entourent le Mont du Purgatoire, semblable à une île… L’Eau symbolise le baptême, la purification et la renaissance…
Par ailleurs, les chiffres 9 et 3 construisent les 99 chants et les 3 prologues de ma Comédie… Le 9 renvoie à la naissance et à la renaissance et le 3 au mystère de la Trinité…

Le Feu qui ne brûle pas, comme disent les alchimistes, évoque les brûlures infernales comme l’échauffement spirituel… Ainsi, en quittant le Purgatoire, je me sens prêt à monter aux étoiles…
Ainsi, Je m’en revins de l’onde sacro – sainte, Régénéré comme une jeune plante, Que rafraîchit un feuillage nouveau, Pur et tout prêt à monter aux étoiles (Le Purgatoire, chant XXXIIIe).
DANTE AU PARADIS
Au sommet du Purgatoire, vous retrouvez l’Éden…
(Le poète, enthousiaste, poursuit son récit…) Oui… En son point le plus haut, la montagne du Purgatoire mène au verdoyant Jardin de l’Éden, qui abrite l’Arbre de Vie et l’arbre de la Connaissance, voir aussi l’article L’Arbre cosmique, l’Essence de la Réflexion... Retrouver le Paradis terrestre s’apparente à réintégrer le jardin perdu d’Adam et Ève…

De là, avec Béatrice, commence l’ascension vers le monde céleste…. Nous quittons la Terre et notre point de vue change… Le Paradis terrestre mène d’abord à la sphère de la Lune, d’où il est possible ensuite, comme sur une échelle, de s’élever plus haut vers le Ciel…
Que se passe-t-il quand vous arrivez dans le jardin du Paradis? Béatrice remplace Virgile pour vous guider?
(Le visage de Dante s’illumine…) Oui… Au seuil du Paradis, Béatrice remplace Virgile et m’accompagne dans mon voyage céleste, musical et lumineux… Le matin du mercredi de Pâques, Virgile et moi sortons de la septième corniche, au faîte du Purgatoire… Là, je vois une merveilleuse forêt… Je suis dans le jardin du Paradis terrestre…

Purifié, régénéré, en pleine possession de mon libre-arbitre, je rencontre Mathilde, la nymphe du jardin, symbole de la vertu qui prépare l’âme à la contemplation… Puis apparaît Béatrice, Virgile s’en est allé…
Sur les bords du Léthé, fleuve de l’oubli, Ma Dame me fait d’abord des reproches avant de m’absoudre d’un amour à la fois humain et spirituel. Puis je m’abreuve à l’Eunoé, fleuve de Mémoire et je me sens prêt à suivre Béatrice, ma muse, vers les sphères célestes…



D’après la Divine Comédie, L’Aigle de la Justice, les saints et bienheureux, le Christ, de Giovanni di Paolo, 1450, Le Paradis, Toscane, XVe siècle, Renaissance. (Marsailly/Blogostelle)
Pouvez-vous nous présenter votre Paradis ?
Dans ma Comédie, j’ai organisé Le Paradis en neuf Cercles… De sphère en sphère, plus l’être s’élève, plus les Vertus sont pures, plus la félicité est grande en ce royaume de béatitude et de douce musique.
L’âme se rapproche des chœurs des anges et de la lumière divine… C’est au plus haut des Cieux que demeurent la Trinité et le mystère chrétien…

L’EMPYRÉE
Pouvez-vous nous en dire plus sur les sphères du Paradis?
Les trois premières sphères, de la Lune, de Mercure et de Vénus, forment une sorte d’anté-paradis, une antichambre qui répond à « l’antinferno » et à l’anté-purgatoire dans les deux premiers cantiques.
Là demeurent les âmes des bienheureux qui ne participent pas complètement au monde divin dans la Totalité de sa lumière…
(Dante ferme les yeux et sourit…) Guidé par ma muse bienfaitrice, j’atteins finalement l’Empyrée, demeure du Divin, où résident les Anges, et que les Bienheureux peuvent contempler…


D’après la Divine Comédie, Dante et Béatrice, des saints personnages et des bienheureux, de Giovanni di Paolo, 1450, Toscane, XVe siècle, Renaissance. (Marsailly/Blogostelle)
Les sphères célestes
Puis Béatrice s’en va rejoindre son trône céleste… apparaît Bernard de Clairvaux, intercesseur auprès de la Vierge, qui me prépare à la sublime contemplation… Ma poésie s’achève et s’accomplit en une vision éblouissante, emplie de la splendeur divine…
Dans la tradition chrétienne, les Bienheureux sont tous réunis dans le royaume divin, mais dans votre Comédie, ils savourent la béatitude dans différentes sphères célestes ?
(Dante, très tranquille, s’explique…) Oui… mais les dix Cieux de mon voyage poétique répondent à l’harmonie d’ensemble de mes cantiques, une harmonie symbolique et mystique…



D’après La Divine Comédie, La Lumineuse Vision de la Vierge, de Gustave Doré, 1861, Empyrée, XIXe siècle ; Dante, Béatrice et Saint Bernard, détail, Empyrée, de Philipp Veit, 1819-1824, fresque, Villa Casino Massimo, Rome, XIXe siècle ; et Saint François d’Assise, de Jusepe de Ribera, 1642, XVIIe siècle, période Baroque. (Marsailly/Blogostelle)
Ainsi, dans le Ciel de la Lune, je rencontre les âmes qui n’ont pas réussi à accomplir complètement leurs vœux spirituels. Je perçois alors encore une vague apparence humaine.
Saints et bienheureux
Vous rencontrez les bienheureux ?
(Le poète prend un air rêveur…) Oui… je peux m’entretenir avec les âmes lumineuses de diverses personnalités, comme saint Thomas d’Aquin ou saint François d’Assise… Dans les premiers Cieux, demeurent des saints…
Quand je visite le Ciel de Mercure, qui accueille les âmes de ceux qui ont réalisé de grandes choses, je perçois alors les bienheureux comme des clartés, des entités lumineuses… Dans le Ciel de Vénus rayonnent les âmes aimantes.



D’après la Divine Comédie, L’Empyrée, Paradis, la Sphère de Saturne, la Croix du Ciel de Mars, de Giovanni di Paolo, 1450, Toscane ; et le Ciel du Soleil, de Sandro Botticelli, 1480-1495 ; XVe siècle, Renaissance. (Marsailly/Blogostelle) (Marsailly/Blogostelle)
Des esprits sages au contemplatifs
Les esprits sages et éclairés des philosophes et des théologiens illuminent le Ciel du Soleil. Dans le Ciel de Mars, sous la forme d’une croix, je vois les âmes enflammées de ceux qui ont combattu et sont morts pour leur foi. Cette croix animée porte en son cœur l’image du Christ.
C’est dans le Ciel de Mars que je rencontre mon trisaïeul Cacciaguida, qui me prédit les épreuves de ma destinée… Ensuite, dans le Ciel de Jupiter, demeurent les princes sages qui ont œuvré pour la Justice… Groupés en essaim, ils apparaissent sous la forme d’une aigle impériale, douée d’une voix céleste…
Plus haut encore, dans la sphère de Saturne, je vois la procession des âmes des contemplatifs qui s’élèvent vers l’infini, telle une échelle d’or…


D’après La Divine Comédie, L’échelle d’Or du Paradis, miniature, vers 1330, Bologne, XIVe siècle, époque médiévale ; et Citation. L’échelle d’Or du Paradis, Salvador Dalí, 1950, aquarelle, XXe siècle. (Marsailly/Blogostelle)
LA ROSE MYSTIQUE
L’apothéose de la Vierge…
Que voyez-vous encore, plus haut dans votre ascension céleste?
(Le visage du poète rayonne…) Le Ciel des Étoiles fixes et ses constellations. Mais là, je ne rencontre plus d’élus bienheureux… J’admire le Christ en gloire et l’apothéose de la Vierge…
Je rencontre saint Pierre, saint Jacques et saint Jean, qui m’interpellent sur le sens profond de la Foi, de l’Espérance et de la Charité… C’est au huitième Ciel des Étoiles que triomphent le Christ et la Vierge… Ma Béatrice me quitte et retrouve sa place dans la Rose…

Mon nouveau guide, Saint Bernard, me prépare à la grâce de la contemplation suprême… Il en demande d’abord la grâce à la Vierge, Fille de son fils. Le Saint m’invite à admirer le visage de Marie avant de pouvoir contempler celui du Christ, le Verbe incarné.
Parlez-nous de la Rose céleste…
(Dante, ému, poursuit…) Je vois la Rose… Le parfum des lys suggère le juste chemin… La rose, c’est Marie. La vision du Christ et de sa mère me plonge alors dans cet océan de lumière, que j’ai déjà évoqué… Puis, au neuvième Ciel, agit le Premier Mobile régi par la hiérarchie Angélique, là demeure le mystère de la Trinité…
Au Ciel du Premier Mobile, j’aperçois les neuf Chœurs des Anges qui tournent autour de l’éblouissante présence divine… Cette vision m’emporte, enfin, hors du temps et de l’espace… dans l’Empyrée, au cœur de la cour céleste…



D’après la Divine Comédie, Dante et Béatrice atteignant l’Empyrée, Gustave Doré, 1861, XIXe siècle ; et Paradis, Dante et Béatrice, Saint Pierre et roue d’êtres lumineux, de Giovanni di Paolo, 1450, Toscane, XVe siècle, Renaissance. (Marsailly/Blogostelle)
Je vois un fleuve de Lumière… puis la Rose Mystique où le Divin rayonne au zénith, avec autour de lui les gradins des élus de l’ancienne et de la nouvelle loi… et qui sont les pétales de la Rose Mystique…
En extase, je vois le Divin… et en lui l’union de toutes les Idées… l’unité des trois Personnes divines… la fusion de la nature humaine et divine… Au revenir de mon extase, je ressens et je comprends l’Amour, qui meut le Soleil et toutes les étoiles…
Citation : le Paradis, chant XXXIIIe… Ici ma fantaisie succomba sous l’extase ; Mais déjà commandait aux rouages dociles ; De mon désir, de mon vouloir, l’Amour ; Qui meut et le Soleil et les autres étoiles…



D’après Dante (en rouge), fresque du Paradis, chapelle du Bargello, de Giotto di Bondone, 1335, Florence, XIVe siècle, fin époque Médiévale ; et L’Extase de Dante, de Jean Delville, 1932, XXe siècle, citation. (Marsailly/Blogostelle)
« Sondez l’enseignement qui se dérobe ici »
Votre Comédie a fait couler beaucoup d’encre…
(Le poète rit…) Je suis impressionné par les multiples interprétations, thèses, discussions et polémiques motivées par mon œuvre. Au XXe siècle encore, ma Divine Comédie inspire les érudits…
Certains voient en moi un poète catholique et perçoivent ma Comédie comme une déclaration de foi, avec comme toile de fond mon époque… D’autres pensent y rencontrer un appel à la spiritualité, nourri par diverses influences…

Moi, je vous livre mon petit commentaire : je pense qu’un intellectualisme trop forcené, ou une forme d’orgueil intellectuel si vous préférez, peut aveugler et obstruer l’accès à la simplicité et à la clarté, qui seules permettent l’ouverture de l’esprit à la poésie et au mystère des choses…
« Testament spirituel » du Moyen Âge…
René Guénon vous a consacré un livre, qu’en pensez-vous ?
(Dante, l’air pensif…) Oui, cet auteur très érudit présente ma personnalité et mon ouvrage du point de vue de l’initiation. Il qualifie ma Divine Comédie de Testament spirituel du Moyen Âge…
Il est vrai que les écrits sacrés, mais pas seulement, peuvent s’appréhender selon quatre sens : le sens littéral du récit, le sens social et politique, le sens philosophique et (ou) théologique… que René Guénon propose de compléter par le sens métaphysique et initiatique.


D’après la Divine Comédie, le Paradis, Dante et Béatrice, fontaine et cité céleste, de Giovanni di Paolo, 1450, Toscane; et le Ciel de l’Empyrée, Dante et Béatrice, Sandro Botticelli, 1480-1495 ; XVe siècle, Renaissance. (Marsailly/Blogostelle)
Pour cet auteur, la métaphysique pure relève de l’Universel, et ne peut se laisser enfermer par une pratique religieuse ou spirituelle particulière… Par ailleurs, les différentes significations d’un récit (ou d’un symbole) ne se détruisent pas l’une l’autre, elles ne s’opposent pas, mais se complètent et s’harmonisent comme les parties d’un même Tout…

UN SENS CACHÉ
Ne dites-vous pas vous-même que votre œuvre voile un sens caché ?
(Le poète sourit, les yeux lumineux) : Vous qui avez saine l’intelligence ; Sondez l’enseignement qui se dérobe ici ; Sous le voile tissu de vers mystérieux !… (O voi che avete gl’intelletti sani, Mirate la dottrina che s’asconde Sotto il velame delli versi strani ! (Inferno, IX, 61-63)
Oui, je vous le dis, il y a dans mon œuvre un sens caché… Mais je n’en dirai pas plus… Je préfère laisser à chacun, érudit ou non, la liberté d’apprécier ma Divine Comédie selon son propre esprit et son propre cœur…


D’après la Divine Comédie, scènes du Paradis, Dante, Béatrice et des saints, les Rois, de Giovanni di Paolo, 1450, Toscane, XVe siècle, Renaissance. (Marsailly/Blogostelle)
Un conseil?
Lisez ou relisez encore la Divine Comédie… et rendez-vous au Paradis, chant X… :
Maintenant, si tu veux un plaisir qui surpasse ; Ta peine, ô mon lecteur, reste assis sur ton banc ; À songer par toi-même à ce qu’ici j’effleure ; Je t’ai servi : mange à présent tout seul…
Merci à vous Dante Alighieri…
Citation : « Le rôle des symboles est d’être le support de conceptions dont les possibilités d’extension sont véritablement illimitées, et toute expression n’est elle-même qu’un symbole ; il faut donc toujours réserver la part de l’inexprimable, qui est même, dans l’ordre de la métaphysique pure, ce qui importe le plus… » (L’ésotérisme de Dante, de René Guénon)

MINI-SOMMAIRE. 1 1 Vie d’Artiste : Qui êtes-vous Dante Alighieri? – 2 Divine Comédie : Dante marie sa cathédrale poétique à une odyssée initiatique – 3 Divine Comédie : Dante nous mène des tréfonds de l’Enfer aux plus hautes sphères célestes – 4 Divine Comédie : “Sondez l’enseignement qui se dérobe ici, sous le voile tissu de vers mystérieux !”