L’art religieux au siècle des Lumières
L’art au XVIIIe siècle (huitième volet) : les artistes continuent d’illustrer l’expression du sacré. Dans l’ensemble de l’Europe, le souffle baroque hérité du XVIIe siècle se perpétue. Cependant, l’art sacré peut varier selon les contrées, le contexte social, la nature des projets et le style des artistes – baroque, rocaille ou néoclassique. En France, la peinture d’histoire, y compris religieuse, demeure au sommet de la hiérarchie des genres de l’Académie Royale… Morceaux choisis…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière révision mai 2021 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES
Le XVIIIe siècle, en France : Louis XIV : 1638 – 1715. Régence de Philippe II, duc d’Orléans : 1715-1723 (minorité de Louis XV) – Louis XV : 1715 – 1774 – Louis XVI : 1774-1792 – Révolution Française 1789 – Première République. Convention : 1792-1795 (Robespierre, La Terreur 5 septembre 1793 – 28 juillet 1794) – Directoire : 1795 – 1799 – Consulat : 1799-1804 – Premier Empire : Napoléon Ier : 1804-1814.
L’ART RELIGIEUX RELÈVE DE LA PEINTURE D’HISTOIRE
Même si le portrait, le paysage et la nature morte prennent de plus en plus d’importance au cours du XVIIIe siècle, l’art religieux, qui relève de la peinture d’histoire, permet aux artistes d’accéder à une carrière officielle.

David peint quelques œuvres d’art religieux
En France, la peinture d’histoire, y compris religieuse, demeure au sommet de la hiérarchie des genres de l’Académie Royale. À la fin du siècle des Lumières, la Révolution française instaure et diffuse un fort sentiment anticlérical. De nombreuses œuvres disparaissent, d’autres sont sauvées et éparpillées…
Figure de proue de l’art Néoclassique, Jacques-Louis David peint toutefois quelques rares œuvres d’art religieux, comme Saint Roch intercédant la Vierge pour la guérison des pestiférés. Ce tableau, destiné à la chapelle du Lazaret, à Marseille, évoque les ravages de la peste dans la cité phocéenne en 1720…


D’après L’Adoration des Mages, de Jean-Baptiste Oudry, 1717, huile sur toile, pour le prieuré de Saint-Martin-des-Champs, Villeneuve-Saint-Georges ; et Le Christ et les enfants, de Noël Hallé, vers 1775, huile sur toile, maître-autel, chapelle du collège des Grassins, église Saint-Nicolas-des-Champs, Paris ; France, XVIIIe siècle, art religieux. (Marsailly/Blogostelle)
Les artistes honorent des contrats
Au XVIIIe siècle, les artistes reçoivent diverses commandes émanant de particuliers et d’institutions religieuses. Les nefs, les alcôves et les maîtres-autels des églises et les réfectoires des communautés de moines ou moniales sont magnifiés par des œuvres d’art, dont les thèmes relèvent du sacré…
Le plus souvent, les artistes et leurs commanditaires s’engagent devant un notaire par un contrat. Par ailleurs, de riches privilégiés font orner leur chapelle personnelle dans leur propriété. D’autres particuliers aménagent leur chapelle privée dans des églises, parmi les différentes chapelles annexes le long des nefs ou des déambulatoires.

Des grandes toiles habillent les églises
Au cours du XVIIIe siècle, les commandes de tableaux destinés à des retables restent importantes jusqu’à la Révolution. À Paris, les congrégations religieuses sont des commanditaires importants et actifs, qui font appel à de nombreux peintres pour renouveler le décor de leurs édifices.
Des toiles de maître et parfois d’anonymes renouvellent les décors des églises pendant le siècle des Lumières. Ces œuvres d’art sacré se distinguent par de grandes dimensions, des coloris clairs et une composition recherchée… Certains artistes perpétuent une touche baroque et décorative, comme Noël Hallé, Jean-Baptiste Oudry, Jean Restout…

Certains décors religieux sont revus au XVIIIe siècle
Certains tableaux sont peints pour des maîtres-autels d’églises élevées au XVIIe siècle, dont des décors sont revus au XVIIIe siècle. D’autres toiles habillent des autels de chapelles anciennes réaménagées ou prennent place dans des chapelles plus récentes, consacrées notamment à l’enseignement du catéchisme, aux baptêmes, à la célébration de mariages…
Les artistes respectent un cahier des charges
En outre, les artistes doivent respecter un cahier des charges qui, le plus souvent, précise le sujet du tableau, sa taille et l’emplacement prévu par le commanditaire.
Les peintres préparent leurs compositions à l’aide de dessins et d’esquisses détaillées. Ils présentent ensuite leur projet le plus achevé au commanditaire avant de réaliser l’œuvre finale…

La Nativité en majesté de Delvaux
Laurent Delvaux sculpte une Nativité en terre cuite, de composition pyramidale, et dont l’esprit baroque semble s’assagir… Ce modèle de médaillon en marbre, inspiré de l’Antique, est destiné au décor de la cuve de la chaire de la cathédrale Saint-Bavon, à Gand…
Ce sculpteur d’origine flamande s’expatrie à Londres, puis à Rome, avant de s’installer à Bruxelles où il travaille pour la Cour. Artiste de formation baroque, Delvaux assimile rapidement l’esthétique antique dans ses œuvres profanes et religieuses.
Son art illustre les mutations artistiques du siècle des Lumières, quand l’Église perd son monopole d’inspiratrice des arts… et que le rationalisme s’impose contre les « désordres de l’imagination » (Falconnet, la Grande Encyclopédie). Un retour à une sobriété classique s’impose alors dans les arts…

CHAPELLES PARTICULIÈRES ET DÉVOTION
À côté de l’enrichissement décoratif des églises et chapelles paroissiales, dont les commandes relèvent de l’autorité sacerdotale, les artistes travaillent également pour de riches particuliers, qui souhaitent orner leurs chapelles familiales et personnelles…
Le Christ en croix, de Jacques-Louis David
Le Christ en croix, de Jacques-Louis David, est une commande du maréchal Louis de Noailles et de son épouse Catherine de Cossé-Brissac pour leur chapelle familiale de l’église des Capucins, à Paris…
Le peintre David adopte une esthétique néoclassique, avec architecture romaine, drapé et musculature à l’antique, idéalisation de l’expression (davantage apaisée que souffrante)… Voir aussi l’article Jacques-Louis David, Antonio Canova et la palette néoclassique…


D’après Le Christ en croix, de Jacques-Louis David, et détail architectures, 1782, pour le Maréchal de Noailles, huile sur toile, cathédrale Saint-Vincent, Mâcon, style néoclassique, France, XVIIIe siècle. (Marsailly/Blogostelle)
Comme Jacques-Louis David, d’autres artistes néoclassiques affectionnent les architectures romaines dans les paysages de leurs toiles, dont la composition s’inspire souvent des frises des bas-reliefs antiques.
Baroque, rocaille et néoclassique dans l’art sacré…
Le Christ en croix, de David, montre que l’art religieux également fait sa révolution au cours du XVIIIe siècle. Le style baroque, hérité du XVIIe siècle, le style décoratif Rocaille (dit aussi rococo) et le style Néoclassique, sobre et fondé sur l’antique, cohabitent dans les sanctuaires…
Alors que le Saint Jean-Baptiste de François Lemoine s’inscrit dans un esprit baroque, un bénitier sculpté par Jean-Baptiste Pigalle, avec ses formes sinueuses, son décor marin et ses coquillages, forme un bel exemple décoratif de style Rocaille…

Un souffle héroïque renouvelle l’art religieux
Le goût pour les modèles antiques gréco-romains – notamment les architectures, le traitement des drapés et les compositions en frises – s’accompagnent d’une palette plus sobre des coloris, de couleurs plus sombres, plus restreintes et plus contrastée… Ainsi, la touche néoclassique s’invite dans l’art religieux…
Si le Nouveau Testament reste une référence importante pour les sujets de la peinture religieuse, de nombreux thèmes sont également puisés dans l’Ancien Testament. Et, inspirés par la culture antique, les artistes néoclassiques créent un souffle héroïque dans leurs compositions. Au cours du XVIIIe siècle, la peinture et la sculpture dans l’art du sacré se renouvellent…

Des œuvres destinées à la dévotion personnelle
Comme au XVIIe siècle, à l’époque de l’apogée de l’art Baroque, de nombreuses œuvres d’art Sacré du XVIIIe siècle répondent à des commandes privées, destinées à la dévotion personnelle.
Ainsi chez les particuliers, on installe des petits tableaux et des objets religieux dans les oratoires ou les chapelles des demeures, dans les chambres à coucher…
L’orfèvre parisien Séverin Parisy réalise, en 1789, un calice et sa patène – ciselés, ajourés et travaillés au repoussé – dans un style néoclassique très apprécié à la fin du XVIIIe siècle.



D’après un calice et patène, de l’orfèvre Séverin Parisy, 1789, argent doré, Paris ; un encensoir en argent, 1778 ou 1784 Alsace, atelier d’orfèvrerie des Schrick de Colmar ; et un livre liturgique de dévotion, en langue bretonne, Quimper ; France, XVIIIe siècle. (Marsailly/Blogostelle)
Des ouvrages liturgiques et des objets rituels
À l’époque, l’ordre janséniste, qui prône la simplicité et une sobriété sévère dans le domaine de l’art, s’oppose au riche et puissant ordre Jésuite. La collection de reliquaires des Jésuites de Paris est alors particulièrement célèbre…
Par ailleurs, les fidèles, dont la dévotion personnelle repose sur des lectures, des prières et des chants, font appel aux artistes pour s’offrir des ouvrages liturgiques et des objets cultuels qui, pour les plus aisés, sont de véritables objets d’art.

Dans les livres sacrés chrétiens, les textes, les ornements et les images se combinent pour transmettre un message d’ordre spirituel et symbolique, notamment la Parole divine. En ouvrant un livre sacré, le lecteur quitte le monde profane pour pénétrer dans une sphère spirituelle. Grâce à l’imprimerie et à la gravure, on diffuse des livres de dévotion et des bibles…
La chapelle privée du duc de Bourgogne
Au XVIIe et XVIIIe siècle, on élève de nombreuse chapelles privées – mais peu se sont conservées intactes jusqu’à nos jours. Le musée du Louvre possède certains éléments de la chapelle du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XV. Cet ouvrage est réalisé par François-Thomas Germain, orfèvre du roi.

À l’origine à Versailles, la chapelle du duc de Bourgogne regroupe deux flambeaux (chandeliers), un crucifix, une cuvette, deux burettes (flacons) et une clochette. Le bénitier, le calice et la patène ont disparu. Le style de cet ensemble s’inscrit dans l’esprit conservateur de l’orfèvrerie religieuse.
La figure du Christ, orfèvrerie, sculpture, peinture…
Quand l’art Rocaille s’impose par ailleurs, on tend à conserver des formes plutôt classiques et sobres dans l’art religieux. Pour les objets de dévotion du duc de Bourgogne, François-Thomas Germain – qui hérite des modèles de son père, Thomas Germain – réalise des décors ciselés.
L’orfèvre interprète le Christ du crucifix avec réalisme. Des motifs de fleurs de lys rappellent qu’il s’agit là d’une commande royale. Elle est destinée au premier fils du Dauphin (frère du futur Louis XVI).

Sous l’Ancien Régime, la tradition monarchique veut qu’à l’âge de sept ans, le jeune prince quitte l’enfance. Il reçoit alors un gouverneur et un précepteur chargés de pourvoir à son éducation…
Le prince se voit aussi remettre son orfèvrerie de chapelle, de table et de chambre. Si le jeune garçon meurt avant sa majorité, son orfèvrerie est partagée parmi les gens à son service.
Quand le duc de Bourgogne meurt à l’âge de 10 ans, son orfèvrerie est transmise à son précepteur, monseigneur du Coetlosquet, puis à sa descendance.


D’après Jésus-Christ appuyé sur la Croix, marbre d’Edme Bouchardon, marbre, 1745, style néoclassique ; le crucifix, orfèvrerie, chapelle du duc de Bourgogne, argent doré, de François-Thomas Germain, 1757 – 1758 ; France, XVIIIe siècle. (Marsailly/Blogostelle)
Le Christ sculpté par Edme Bouchardon illustre le retour à un idéal antique au milieu du XVIIIe siècle, et qui touche aussi l’art religieux…
LES FIGURES DE LA VIERGE ET DES SAINTS
Au XVIIIe siècle, on représente la Vierge et des saints personnages. Les peintres réalisent des toiles souvent en grandes dimensions. Les décorateurs élaborent des compositions en trompe-l’œil. Et les sculpteurs participent eux aussi à la mise en scène du Sacré…

La Vierge de Bouchardon
Au XVIIIe siècle, la piété s’exprime notamment par un engouement particulier pour la figure de la Vierge, de l’Enfant Jésus et du rosaire (formé de quatre chapelets dont les prières sont dédiées à Marie)…
Edme Bouchardon sculpte une Vierge de douleur pour le chœur de l’Église Saint-Sulpice… L’artiste se forme à l’Académie royale de peinture et de sculpture à Paris. Il séjourne ensuite à l’Académie de France à Rome (1723-1732), où il étudie les modèles antiques et les grands maîtres de la Renaissance, dont Raphaël.
Bouchardon et le Pape Clément XII Corsini
En 1731, Bouchardon sculpte aussi un buste du Pape Clément XII Corsini (Lorenzo Corsini, pape entre 1730 et 1740), en plâtre et terre cuite et en marbre. Ses projets pour le pape et son élection à l’Académie de Saint-Luc le rendent réputé…


D’après Le pape Clément XII Corsini, marbre, 1731, Palazzo Corsini, Florence ; et plâtre teinté et terre cuite, vers 1730, bustes d’Edme Bouchardon, néoclassique, XVIIIe siècle. (Marsailly/Blogostelle)
Ce virtuose de l’art néoclassique est alors rappelé en France par le directeur des Bâtiments du roi et s’installe Louvre. Agréé à l’Académie en 1735, Bouchardon devient le sculpteur du roi.
Parmi ses oeuvres sculptées qui suscitent l’admiration de ses contemporains figure le décor du choeur de l’église Saint-Sulpice, à Paris… Bouchardon allie le classicisme des modèles antiques et de la Renaissance à un trait réaliste qui le distingue…

Saint François de Paule et saint Augustin
Au tournant du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle, le culte des reliques prend un nouvel essor… On publie alors de nombreuses vies des saints. Une transformation profonde voit le jour au cours du XVIIIe siècle dans le choix des sujets religieux. On tend à délaisser les images de saints légendaires non canonisés ni béatifiés.
Les institutions sacerdotales préfèrent les représentations de saints reconnus par l’Église, comme saint Augustin (docteur de l’Église du IVe siècle, auteur de La Cité de Dieu) ou saint François de Paule (moine ermite, fondateur de l’ordre des Minimes). On commande aussi aux artistes peintres des cycles qui relatent la vie d’un saint en particulier.

Le Moine en prière de Jean Restout
Les artistes peignent ou sculptent la Vierge, des saintes et des saints, ainsi que des personnages d’église considérés comme exemplaires, en particulier dans les obédiences jansénistes, dont la doctrine religieuse se fonde sur une pieuse austérité et sur un grand rigorisme moral, comme l’évoque le Moine en prière, de Jean Restout, dont le tableau exprime un esprit d’austérité et de sobriété…
Au siècle des Lumières, les autorités religieuses développent, semble-t-il, une prédilection pour les saints actifs dans le monde et la société, comme les missionnaires et les fondateurs de communautés, plutôt que pour les saints dits contemplatifs.


D’après L’Agonie de saint Augustin, vers 1754, huile sur toile, choeur Notre-Dame-des-Victoires, Paris, et Saint Augustin, esquisse, vers 1754, huiles sur toile de Carle Van Loo, Paris, XVIIIe siècle. (Marsailly/Blogostelle)
En France, depuis l’époque de la Régence et jusque la Révolution, des artistes reconnus ou non exécutent des commandes d’art religieux. Des peintres et des sculpteurs de l’Académie profitent des églises ouvertes à tous pour rendre visibles leurs œuvres… À la fin du siècle, la période révolutionnaire repense le religieux..
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