L’originalité des terres cuites chinoises
La civilisation de la Chine ancienne se déploie dans un immense pays, entre la région du fleuve jaune Huang-He, au Nord, et dans la vallée du fleuve Bleu Yangzi (ou Yang-Tseu), au Sud. Dès l’époque néolithique, les potiers de la civilisation de Yangshao, de Dawenkou et de Longshan créent des céramiques peintes ornées de motifs complexes… Tour d’horizon…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière révision février 2021 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Période néolithique en Chine : entre 8000-7000 et 1700 avjc – Civilisation de Yangshao : 5000-2500 avjc – Culture de Majiayao : 3300-2000 avjc – Fin néolithique : culture de Longshan : 4500-3000 avjc/2000 – 1600 avjc- culture de Liangzhou : 3300-2000 avjc. Âge du Bronze : vers 2100-2000 avjc – IIIe siècle avjc. Chronologie générale Chine ancienne
DES POTIERS NÉOLITHIQUES CRÉATIFS
Les potiers des cultures néolithiques de Yangshao, de Dawenkou et de Longshan se distinguent par la qualité de leurs créations en terre cuite. Ils réalisent de nombreuses poteries à usage ordinaire, mais aussi des céramiques plus luxueuses…

Agriculture, riziculture, ver à soie…
Dans la Chine néolithique, l’implantation de villages, le travail de la terre, l’élevage, la construction de rizières – dans les terroirs inondés de la vallée du fleuve Bleu Yangzi -, l’adduction d’eau, la cueillette et la récolte supposent déjà un travail collectif très organisé.
Dès l’époque néolithique, on pratique en Chine diverses formes d’agriculture. Vers 8000-7000 ans avjc, les premiers cultivateurs produisent des céréales – comme le millet, le mil – en Chine du Nord.

Dans le Sud, s’y ajoute la pratique de la riziculture dans les terres inondées, attestée vers 5000 avjc. Par ailleurs, vers 3000 ans avant notre ère, les Chinois pratiquent la sériciculture en cultivant le ver à soie.
Chaudron-marmite et trépied
On façonne des poteries en Chine dès 13000 avjc (vers 6000 avjc au Proche-Orient)… Dans la culture de Yangshao, on rencontre déjà le principe du chaudron-marmite accompagné de son trépied, que l’on retrouvera à l’époque des bronzes…


D’après une marmite et un trépied (support de marmite), terre cuite, culture de Yangshao, 5000- 2500 avjc, Henan, néolithique, Chine ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
Une boisson alcoolisée…
Très tôt par ailleurs, vers 7000-6600 avjc, les Chinois du néolithique consomment une boisson alcoolisée, très fermentée, à base de raisins sauvages, d’aubépine, de riz et de miel. Des traces chimiques ont été découvertes dans des poteries à Jiahu, dans la province du Henan de la vallée du fleuve Jaune…
Les cultures de Yangshao, Dawenkou, Majiayao, Longshan…
Des céramiques et des objets en jade
La culture de Dawenkou, vers 4500 – 2000 avjc, se développe dans la province du Shandong et dans l’Anhui, le Jiangsu et le Henan, à l’Est.

La culture de Dawenkou va favoriser l’émergence de la culture de Longshan du Shandong. Les artisans de Dawenkou pratiquent l’art de la poterie et utilisent le jade, comme aussi les cultures de Longshan et de Liangzhu…
La culture Longshan s’épanouit entre 2400 et 2000 avjc. Le premier site découvert se situe à Longshan, près de Zhangqiu, non loin de Jinan.
À plus de 300 km de Jinan, se trouve aussi le site de Liangchengzhen dans le Shandong. Ses vestiges d’habitations et ses tombes témoignent de la civilisation de Longshan qui pratique l’élevage et l’agriculture, notamment le millet…

Des conceptions célestes et cosmogoniques…
Un disque percé de la période de Dawenkou, taillé dans le jade, évoque un mouvement tourbillonnant qui rappelle celui de triskèle et du swastika. En Chine traditionnelle, le jade s’associe à l’immortalité et le disque percé, objet sacré, symbolise le Ciel…
Par ailleurs, les décors néolithiques chinois des poteries contiennent de nombreux motifs spiralés, des svastikas ou encore des lignes ondulées qui évoquent un mouvement tournoyant. Il peut s’agir de représentations évoquant des conceptions célestes ou cosmogoniques…


D’après une jarre, terre cuite peinte, motif svastika, culture Majiayao, vers 2600-2300 avjc ; et une jarre, céramique peinte, motifs spiralés, culture de Majiayao, province du Gansu, vers 2800-2500 avjc, néolithique, Chine ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
Voir aussi les l’articles Le Sacré : le symbolisme du triskèle, du svastika et du labyrinthe et Le Sacré : la Spirale, symbole cosmique et initiatique
L’excellence du travail des potiers
Les mobiliers funéraires de Longshan
Les principaux vestiges de la période de Longshan sont des tombes, renfermant de nombreux objets funéraires : poteries claires et noires, outils en pierres polis – haches, ciseaux, couteaux, ustensiles de travail… – et aussi des objets de parures en jade et en ivoire.
Le mobilier funéraire suggère l’existence d’une forme de hiérarchie sociale. À la fin de la période de Longshan, les artisans maîtrisent déjà les techniques de la fonte du bronze, annonçant la civilisation du bronze sous la dynastie Shang.

Les potiers, de leur côté, excellent dans la réalisation de poteries noires et de céramiques très fines dites « coquilles d’œufs », soigneusement décorées, comme des gobelets, des coupes et des plats. Certaines formes préfigurent déjà les lignes de l’art du métal.
Suivra ensuite la culture Yueshi (1900 – 1500 avjc), de la fin du néolithique tardif au début de l’âge du bronze, dans la région du Shandong, à l’Est de la Chine. Elle sera supplantée par la première culture Shang.
LA CIVILISATION NÉOLITHIQUE DE YANGSHAO
Les potiers de la culture de Yangshao, au Nord de la Chine, dans la région du fleuve Jaune Huang-He, inaugurent l’art savant de la céramique. Le village circulaire de Banpo remonte à environ 5000 ans avjc…

PREMIÈRES HABITATIONS
Le village de Yangshao
La culture chinoise de Yangshao, dont le nom provient du site éponyme de Yangshao, village situé dans le comté de Mianchi, dans le Henan, se développe principalement dans le Henan, le Shaanxi, le Shanxi, le Sud du Hebei et, à l’Est, dans les provinces du Gansu.
La civilisation de Yangshao s’épanouit le long du cours moyen du fleuve Jaune Huang-He, au Nord, sur des terres à sec. Au néolithique en Chine, comme dans d’autres contrées du monde, les habitants se sédentarisent dans des villages…

La culture de Yangshao témoigne d’un mode de vie néolithique déjà bien implanté. Au cours de cette période, l’agriculture, l’élevage et l’architecture villageoise prennent leur essor…
Pisé, piliers en bois et branchages
Le site de Banpo, par exemple, abrite un village circulaire, dont les premières activités remontent à environ 5000 ans avant notre ère.
Les bâtisseurs de la culture de Yangshao – Ve et IVe millénaire avjc – construisent de grandes maisons à l’aide de pisé (terre crue) et d’un système de piliers en bois et de branchages.



D’après une maquette du village de Banpo, province du Shaanxi ; une tombe et les vestiges d’une maison circulaire ; site de Banpo, Ve-IVe millénaire avjc, culture de Yangshao, néolithique, Chine ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
Des habitations surélevées
Les habitations de Banpo, dont les fondations sont creusées à quelques mètres de profondeur dans le sol, sont surélevées pour se protéger de la montée des eaux…, mais aussi des « mauvais esprits ».
Le principe de la maison chinoise, dont le seuil est très rehaussé, remonte à l’époque néolithique. Autour du village se trouve un lieu dédié aux sépultures et un fossé défensif.

Les principes de l’architecture chinoise
Même si les constructions peuvent varier d’une contrée à l’autre, selon le terrain et la culture régionale, les grands principes de l’architecture chinoise s’inspirent de l’habitat néolithique. Ainsi, les demeures, les édifices officiels et cultuels en particulier présentent des constantes.
Les constructeurs se fondent sur quelques principes simples : ils réalisent une base de terre damée, revêtue ou non de galets (pour le palais impérial de Pékin, élevé au début du XVe siècle par l’empereur Ming Zhu Di, on utilisera du marbre…).


D’après une carte des principaux sites néolithiques, Chine ancienne (source cnrs) ; et un feuillet de l’album Paysages, peinture de Jiao Bingzhen (1689-1726), encre sur papier, détail, époque dynastie Qing, Chine ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
Ensuite, les architectes installent des colonnes reposant sur des socles en pierre, entre lesquels ils montent des pierres ou des briques. Pour les maisons modestes, on se contente de pisé et de branchages.
Toutes les constructions sont couvertes par un toit en escalier et entourées d’une véranda, ouverte sur la nature. La maison se trouve ainsi protégée. Par ailleurs, la maison traditionnelle chinoise, de plan rectangulaire, est modulable et on peut l’agrandir à souhait en multipliant simplement les modules.

Des poteries rouges montées au colombin
Le village circulaire de Banpo se situe à Xi’an. Entre 4800 et 3600 avjc, il se déploie sur plus d’un hectare et comprend 45 maisons, semi-souterraines ou de plain-pied, rondes ou quadrangulaires. Ce village possède trois secteurs avec, à l’Est, quelques fours de potiers.
Les potiers fabriquent des céramiques rouges, montées au colombin avant d’être cuites à assez haute température, de 700 à 800 degrés. Les villageois utilisent des jarres avec parfois des décors réalisés à l’aide de cordelettes de chanvre.

Au nord du village se trouve un cimetière de 250 tombes. Les adultes sont enterrés individuellement, par deux ou par trois. Les hommes sont séparés des femmes. Quant aux enfants, ils sont inhumés à l’intérieur de jarres funéraires. Le troisième secteur du village est résidentiel. Certains espaces sont dédiés au stockage.
Des terres cuites peintes et des décors stylisés
Pierre polie, os, poterie, pictogrammes…
La culture néolithique de Yangshao se déploie sur plus de mille sites, parmi lesquels celui de Banpo, à Xi’an, et celui de Jiangzhai non loin de Xi’an. La majorité des villages de la culture de Yangshao se trouvent dans le Shaanxi.
Les céramiques peintes de pigments rouges et noirs portent des décors élaborés et des pictogrammes font leurs apparitions sur des fragments de poteries…



D’après un vase, terre cuite peinte, blanc, noir et rouge, vers 3385-3070 avjc ; une bouteille, terre cuite peinte, masque-oiseau stylisé ; et une amphore, terre cuite peinte, motif végétal, fin Yangshao-Majiayao, IVe millénaire avjc ; culture de Yangshao, néolithique, Chine ancienne (Marsailly/Blogostelle)
On consomme surtout du mil et des châtaignes. Les principaux outils sont des meules en grès, des haches, des couteaux, des ciseaux, des pointes de flèches en pierre polie, des harpons en os…
Les villageois pratiquent l’agriculture, la pêche, la chasse et la cueillette, et l’élevage de porcs et de chiens. Les potiers façonnent et décorent des jarres, des vases, des bouteilles, des plats…

Des jarres, des vases pansus, des bassins…
Dans leurs ateliers, les potiers de la culture de Yangshao façonnent des plats, des bassins, des jarres et de grands vases pansus destinés au stockage des denrées et aux dépôts funéraires.
Ces pièces encore fragiles, montées au colombin avant d’être lissées, sont cuites à basse température (500-600 degrés). Les artistes utilisent des pigments minéraux ou végétaux pour peindre leurs terres cuites.


20 D’après un bassin, thème floral, terre cuite peinte, culture de Yangshao, 5000- 2500 avjc, Shaanxian, Henan ; et des pictogrammes, sites de Banpo et de Jiangzhai, relevés du paléographe Y Shengwu ; néolithique, Chine ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
Des céramiques cuites à 700-800 degrés
Puis apparaissent des céramiques de meilleure qualité et plus résistantes, cuites dans des fours à 700-800 degrés. Les décors variés présentent des motifs circulaires, des volutes, des méandres, des éléments géométriques, des motifs réticulés qui évoquent les filets de pêche, les nasses, le tressage des vanneries…

Un motif essentiel représente un tout
Des thèmes à la fois décoratifs et signifiants
Les artistes chinois du néolithique élaborent diverses combinaisons d’éléments, tels des figures géométriques, des lignes courbes et souples évoquant un mouvement, des ondulations, des tourbillons – possibles évocations stellaires ou cosmogoniques…
Le tout peut être associé à des thèmes stylisés, à la fois décoratifs et signifiants : des zigzags, des cercles, des croix, des croisillons, des motifs aquatiques et des dessins plus ou moins figuratifs ou abstraits, des batraciens, des oiseaux, des cigales…

Une stylisation de plus en plus abstraite
Les formes peuvent se réduire à un élément essentiel pour représenter un tout, comme l’œil de l’oiseau qui symbolise à lui seul un volatile, ou ailleurs, certains motifs triangulaires sont interprétés par des textes comme des cigales, symbole en Chine de résurrection et de longue vie (la cigale mue…).
Ainsi, le motif stylisé est isolé et simplifié, et devient finalement quasi abstrait, tel celui de l’oiseau huppé – doté de « pouvoirs magiques » – réduit à sa huppe… Et aussi celui du poisson, de l’œil ou des yeux, du masque humain ou de la face de « glouton », animal fantastique ou mythique …

Une iconographie que l’on retrouve sur des pièces de jade, et plus tard dans les décors des bronzes archaïques, notamment le motif du masque…
Des graphismes conceptuels
Très tôt, la pensée chinoise crée des graphismes « conceptuels » : simples et décoratifs à première vue, certains motifs renferment une riche signification, à la fois complexe, subtile et synthétique. Le motif simplifié peut aussi se transformer et se répéter pour former une frise.
L’évolution traditionnelle des graphismes chinois débute par une stylisation, de plus en plus abstraite, puis par une multiplication du motif par 2 ou par 3, aboutissant à une fragmentation des formes.



D’après un bassin, céramique peinte, masques sorciers et poissons, et détails, Banpo, culture de Yangshao, 5000- 2500 avjc, néolithique, Chine ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
Masques sorciers et poissons-filets
Des bassins en terre cuite de Banpo et de la culture de Yangshao portent des figurations de masque, évoquant un sorcier ou un chaman maquillé ou masqué. Le personnage est accompagné de motifs de poissons ou de doubles-poissons, symbole aquatique de vie et de nourriture. Être humain et nourriture sont liés…

Les lignes très stylisées des poissons suggèrent les formes de l’œil, de la nageoire, de la queue… ou celles de deux poissons face à face, réduits à leurs corps et à leur queue. Traités en motifs réticulés, les dessins des poissons évoquent à la fois les écailles de l’animal et le filet de pêche…
Simplification et recomposition
L’art décoratif des céramiques chinoises néolithiques repose sur un principe de simplification et de recomposition, constant dans l’art chinois jusqu’au XXe siècle.
Et qui a pu nourrir certains développements de l’écriture. Ainsi, sur certaines céramiques le traitement de la silhouette humaine rappelle le graphisme de ce que sera le caractère chinois qui désigne l’être humain.


D’après une jarre, personnage stylisé, céramique peinte, vers 2300 avjc, culture de Majiayao, période Machang ; et un bassin, ronde de danseurs, céramique peinte, culture de Majiayao, vers 2800 – 2500 avjc, Qinghai ; néolithique, Chine ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
Les décors des premières poteries chinoises possèdent déjà certains des principes de l’art Chinois. L’importance du graphisme, dès le néolithique, participe au fondement culturel de la civilisation chinoise. Après celle de Yangshao, les cultures de Majiayao, de Dawenkou et de Longshan poursuivent l’art de la céramique et du trait…
Article suivant : Les sources de l’art chinois remontent à la période néolithique – L’ancestral trait chinois
Sommaire Arts de la Chine ancienne
Un livre traditionnel ? Le Yi Jing ou Yi King, le Livre des Mutations, ouvrage divinatoire et initiatique fondé sur le Yin-Yang (taì jí tú) et huit trigrammes. Son avènement remonterait au premier millénaire avjc, à l’époque des Zhou (1027 avjc -256 avjc).
Des sages ? Le penseur et mystique chinois Lao-tseu (ou Laozi, VIe-Ve siècle avjc), auteur selon la tradition du Tao-Tö-King (La Voie et sa Vertu). Lao-tseu, à l’origine du taoïsme, est contemporain du philosophe Kongzi ou Kongfuzi dit Confucius (vers 551-479 avjc), qui prône la bienveillance et la loyauté dans la gouvernance et les relations sociales et familiales.
PDF. « Archéologie du geste graphique, genèse, évolution et systématisation de la pensée pictographique en Chine, du néolithique à la dynastie des Tang », par HU JIAXING (PDF) f-origin.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2951/files/2019/12/HU-Jiaxing-Arche%CC%81ologie-du-geste-graphique.pdf
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Merci beaucoup 🙂
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