Le temple de la déesse à Mari, l’art du métal à Alaça Hûyûk
Au milieu du troisième millénaire avjc, le temple d’Ishtar à Mari abrite de nombreuses œuvres d’art… Ishtar, déesse de l’Amour, de la Fécondité et de la Guerre s’identifie à Inanna, ancestrale déesse sumérienne. La prospère cité de Mari profite des nombreux échanges commerciaux… À la même époque, au-delà des limites de l’aire mésopotamienne, on dépose aussi des trésors dans les tombes d’Alaça Hûyûk, en Anatolie…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour novembre 2018 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES
La période des dynasties archaïques sumériennes, vers 2900 avjc – 2340 avjc. – Ur-Nanshe fonde la première dynastie de Lagash, vers 2500 avjc. – Troisième période des dynasties archaïques vers 2600 -2340 avjc. – Fin du IIIe millénaire avjc : empires d’Agadé et de Lagash, dynastie d’Akkad fondée par le roi Sargon : 2340 avjc – 2200 avjc. – Ur-Nammu, fonde la IIIe dynastie d’Ur vers 2100 avjc. Chronologie Proche et Moyen Orient antiques
LES TRÉSORS DE LA DÉESSE ISHTAR
C’est dans le temple d’Ishtar, à Mari, et dans son environnement proche que l’on découvre les premiers sceaux-cylindres de Mari. Parmi la cinquantaine de modèles retrouvés, 19 proviennent du sanctuaire lui-même. Deux empreintes de sceaux sont au nom du roi Ishqi-Mari… Le trésor de la déesse Ishtar comporte aussi, en plus des statues en abondance, des vases en chlorite, des objets en métal, des parures en lapis-lazuli, des dépôts de fondation…

Des vases en chlorite dans le temple d’Ishtar
Parmi les trésors de la déesse Ishtar, figure en abondance de la vaisselle taillée dans la chlorite… Ces pièces de chlorite confirment le rôle de Mari dans un vaste réseau d’échanges et de contacts culturels entre les différentes cités sumériennes et akkadiennes au IIIe millénaire avjc…
La chlorite est une pierre verte, tendre et facile à travailler, qui provient de la région de Kerman, en Iran… Durant un temps, on imagine que ces objets de luxe sont mésopotamiens. Certains modèles sont retrouvés à Tello et à Ur (actuel Irak) ou encore à Mari (actuelle Syrie)… Les vases de chlorite, d’albâtre, de cuivre, d’argent ou de fer, arrivent à Mari contre des céréales par bateaux depuis le Golfe Persique.
D’après un vase en pierre, chlorite, l’aigle du dieu guerrier de l’Orage Ningirsu, Imdugud, vers 2500 2400, temple d’Ishtar, Mari, Tell Hariri, actuelle Syrie ; et l’aigle Imdugud, divinité des nuées de l’orage, pierre sculptée, vers 2450-2400 avjc, Enannatum de Lagash, Girsu-Tello, actuel Irak, Mésopotamie. (Marsailly/Blogostelle)
Certains décors et traitements stylistiques laissent imaginer une influence artistique et culturelle dans l’ensemble des régions mésopotamiennes, jusqu’en Syrie et sur le plateau iranien…
En fait, les modèles en chlorite serait des pièces d’importation, dont certaines sont peut-être finalisées par des artistes mésopotamiens sur leur lieu de destination… On sait aussi que des sculpteurs iraniens semi-nomades établissent des ateliers à Tépé Yahya et dans la région de Jiroft (vallée de l’Halil Roud), des régions riches en carrières de chlorite, au Sud-Est de l’Iran…

Le style des sculpteurs élamites-iraniens
Un vase en pierre verte à décor de vannerie et d’éléments d’architecture illustre le style des sculpteurs élamites-iraniens du IIIe millénaire avjc qui travaillent la chlorite… Le répertoire de motifs s’enrichit encore de motifs de nattes, de boucles, d’écailles ou encore de torsades…
Les artistes iraniens créent des pièces traditionnelles au décor très couvrant et en léger relief … Sur un double vase du musée du Louvre, chaque partie possède son décor spécifique.
Un autre vase de style élamite-iranien provient de Khafadjé (actuel Irak), une importante cité la région mésopotamienne de la vallée de la Diyala, affluent du Tigre. Khafadjé, à l’époque des dynasties archaïques, se situe sur le chemin entre la Mésopotamie et le plateau Iranien…
D’après un vase en pierre, chlorite, motifs de vannerie et architecture, style élamite-iranien, Khafadjé, vers 2600 avjc, Mésopotamie ; et des clous de fondation, droits et anneaux, vers 2500-2300 avjc, Mari, Tell Hariri, actuelle Syrie ; Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
De précieux objets d’art en métal et en lapis-lazuli
Le temple d’Ishtar de Mari abrite aussi une collection d’objets en métal, regroupés en dépôts de fondation… Parmi ces pièces en cuivre ou en bronze, se trouve un clou de fondation de grande taille que l’on fiche dans un autre clou en forme d’anneau…
Les clous et les dépôts de fondation possèdent une signification rituelle lors de la construction des sanctuaires qui ainsi sont placés sous la protection du dieu propriétaire des lieux…
Les dépôts de Mari comportent aussi des tablettes dépourvues d’inscription (anépigraphes) en lapis-lazuli, en albâtre ou encore en argent… Vers 2500 ans avjc, il semble que la puissance et le prestige des souverains de Mari sont liés à la maîtrise et au contrôle des routes par lesquelles circulent alors les matières premières et les matériaux précieux qui proviennent parfois de très loin…

Mari profite des échanges à longues distances…
Les gens de Mari entretiennent des échanges à longues distances, des contrées de l’Iran à la Bactriane, une région au croisement des actuels Afghanistan, Tadjikistan et Ouzbékistan… jusqu’aux abords de l’Indus… Une perle en lapis-lazuli du trésor d’Ur porte une inscription en cunéiforme sumérien qui précise : Mésannipadda, roi d’Ur, a offert cette perle au dieu GAL, Gansud étant roi de Méra (Mari)… Au milieu du IIIe millénaire avjc, il apparaît que le roi de Mari (Syrie) et le souverain, d’Ur (Irak) entretiennent alors de cordiales relations…
LA BEAUTÉ CÉLESTE DE LA DÉESSE ISHTAR
Regroupant les attributs de la déesse sumérienne Inanna et de la déesse akkadienne (époque d’Agadé) dite aux Épis, parfois guerrière, Ishtar est la grande déesse de l’Amour, de la Sexualité, de la Fertilité et de la Guerre. Ses emblèmes sont l’Étoile de Vénus et le Lion… Comme Inanna, Ishtar protège aussi les troupeaux…
L’étoile et la Lune
Sur une plaque de coquille, un artiste graveur de Mari dessine une figure d’Ishtar finement incisée, qui porte une coiffe en croissant de lune associée à une étoile… La position du croissant de Lune rappelle la paire de cornes des dieux mésopotamiens… En Mésopotamie, les cornes symbolisent le statut de divinité, la puissance des dieux…

Nue, la céleste déesse porte une sorte de cape-kaunakès qui laisse entrevoir son pubis, une évocation de l’amour, de la sexualité et de la fertilité auxquels préside cette divinité… Ishtar se dévoile… L’image de la nudité d’Ishtar évoque peut-être aussi un épisode de la mythologie mésopotamienne, quand la déesse descend aux Enfers où règne sa sœur Ereshkigal…
Au cours de sa descente, Ishtar se dépouille progressivement de ses parures pour franchir, une à une, les sept portes du Pays-sans-retour… La déesse finit ainsi par perdre complètement ses pouvoirs, prisonnière du monde d’En-bas… La disparition de la déesse de la fertilité menace la survie sur la Terre…

La régénération de la végétation et de la vie
Pour sauver le monde, les dieux accordent le retour d’Ishtar en échange de son amant et parèdre Dumuzi, qu’elle n’hésite pas à sacrifier, qui reste définitivement captif aux Enfers. Mais Dumuzi, dieu de la végétation, remonte sur terre au printemps…
Ainsi, le séjour infernal de la déesse Ishtar permet la création du cycle annuel de la régénération de la végétation et de la vie… On retrouvera ce thème mythique dans le monde gréco-romain avec l’histoire de Perséphone (Proserpine), épouse du dieu des Enfers Hadès (Pluton), fille de Déméter (Cérès) et de Zeus (Jupiter)…
DES SCÈNES CULTUELLES À MARI
Le célèbre Étendard de Mari provenant du temple d’Ishtar représente peut-être une composition votive, qui remonte à 2500-2300 ans avjc… Voir aussi l’article Mésopotamie, la quête de la figure idéale à Mari
Une autre composition mosaïque faite de coquille, de schiste, de calcaire, de bitume et de bois, rehaussé d’ivoire et de lapis, provient du centre administratif dit du Grand Prêtre, identifié selon les sources à des vestiges du temple de Dagân. L’ensemble illustre des scènes de culte… Vers 2000 ans avjc, le grand dieu amorrite Dagân se trouvera assimilé à Enlil dans les régions syriennes…

Dagân, un équivalent du dieu Enlil
Parmi les vestiges de Mari, on a retrouvé quelques vestiges d’un temple consacré au Roi du pays, identifié par certains au dieu Dagân. Le Roi ou Seigneur du pays peut aussi qualifier Enlil, dieu suprême du panthéon mésopotamien qui, selon la tradition mésopotamienne, confère la royauté…
Dans les contrées syriennes, en particulier à Mari, Dagân apparaît comme un équivalent du dieu Enlil, dieu de l’Atmosphère, maître du Cosmos et chef suprême du panthéon… D’origine inconnue le dieu Dagân (ou Dagon) semble étranger à la culture sumérienne. Il ferait partie du panthéon des anciens sémites.
Dagân protège la royauté
Vers 2000 ans avjc, le Dagân des Amorrites s’identifie à Enlil comme divinité suprême en Syrie du Nord et de l’Est. Son nom, qui pourrait signifier grain, évoque une divinité du blé, de l’agriculture, de la végétation et de la fertilité…
À la fin du IIIe millénaire avjc, en Babylonie, à l’époque d’Agadé sous la dynastie d’Akkad, on rencontre le vocable Dagân dans les noms propres… À Mari, centre de son culte, Dagân protège la royauté et préside à la prophétie. Des prêtresses particulières lui sont attachées… Plusieurs figures féminines à hautes coiffes s’activent dans le temple au côté de prêtres torses et têtes nues : libations, offrandes, prières…
D’après l’Étendard aux scènes cultuelles, libations et offrandes, coquille, temple dit de Dagân ou centre administratif dit du Grand Prêtre, fin IIIe millénaire avjc, Mari et des clous de fondation, vers 2500-2300 avjc, Mari ; Tell Hariri, actuelle Syrie, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Une combinaison de petits losanges de coquille
Le panneau de mosaïque de coquille du temple dit de Dagân ou du centre administratif dit du Grand Prêtre, illustre la créativité des graveurs de Mari… Sur trois registres superposés l’artiste compose trois scènes cultuelles, avec offrandes, libations et prières…
L’artiste délimite chaque registre par un encadrement de lignes et une combinaison de petits losanges de coquille. Entre les personnages, les creux sont remplis de schiste fixé sur le fond de bitume… En haut, des personnages évoluent autour d’un autel… Au centre, des femmes qui participent au rituel ou des prêtresses, à hautes coiffes (polos), s’affairent autour d’un autel imposant… En bas, des personnages semblent prier…

Ce tableau de mosaïque incomplet, dont les éléments ont été retrouvés dispersés, mesure un peu plus de 54 centimètres de large sur 27 centimètres de haut… et remonte à la deuxième moitié du troisième millénaire avjc…
LES ARTISTES D’ANATOLIE, DES VIRTUOSES DANS L’ART DE LA MÉTALLURGIE
Au même moment, à l’époque des dynasties archaïques sumériennes, mais au-delà des limites de la Mésopotamie, on dépose aussi de précieux trésors dans les tombes d’Alaça Hûyûk, en Anatolie (actuelle Turquie)…
Les trésors des tombes d’Alaça Hûyûk
À l’époque des dynasties archaïques, les tombes royales d’Alaça Hûyûk en Anatolie (actuelle Turquie), recèlent des trésors artistiques qui remontent au IIIe millénaire avjc, vers 2300 avjc … Située en dehors de la civilisation sumérienne mais intégrée dans un vaste réseau d’échanges, la cité antique d’Alaça Hûyûk se situe sur le plateau de l’Anatolie centrale.

Des objets d’art énigmatiques…
Vers 2300-2200 avjc en Anatolie, des chefs guerriers sont inhumés avec leur trésor…
Parmi le mobilier funéraire des tombes dites royales d’Alaça Hûyûk, on rencontre des objets circulaires et énigmatiques, dits étendards, dont la signification se rattache peut-être à une symbolique solaire…
La fonction et la destination de ces étendards sont énigmatiques… Il s’agit sans doute des objets rituels ou cérémoniels… Les artistes d’Alaça Hûyûk possèdent une très grande maîtrise technique. Ils créent des œuvres en métal complexes, décorées d’incrustations d’électrum (un alliage d’or et d’argent)…
Les virtuoses anatoliens du métal créent aussi des sculptures en bronze, de la vaisselle en or, en argent, en électrum, et des armes en bronze et or. En Anatolie, on affiche alors une prédilection pour le thème iconographique du cerf et du taureau, dont la silhouette et le rendu sont stylisés…
D’après un étendard taureau, vers 2350 avjc ; et un cerf en bronze, vers 2300 avjc, tombes royales d’Alaça Hûyûk, Anatolie, actuelle Turquie, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Des créations particulièrement originales
Les ouvrages d’art des tombes royales d’Alaça Hûyûk remontent à la deuxième moitié du IIIe millénaire avjc, avant la période hittite. Il s’agit peut-être de la culture des Hattis. Les artistes façonnent des créations originales en or, en électrum, en cuivre ou en bronze, notamment des plaques semi-circulaire et ajourées au décor géométrique. On a retrouvé aussi l’une des plus anciennes armes forgées en Fer.
Les ornements des étendards, des idoles, des amulettes et des bijoux (diadèmes, bracelets, colliers, boucles de ceintures…) s’inspirent d’un répertoire animalier et de motifs abstraits comme les cercles, les rayons, les svastikas…
C’est dans les contrées anatoliennes que va naître la future civilisation hittite vers 2000-1800 avjc… Les Hittites fondent alors un empire puissant au IIe millénaire avjc… Au Sud, se trouve le fleuve Kızılırmak (l’Halys des Anciens) et au Nord la chaîne des Alpes pontiques…






D’après un étendard au cerf, bronze, vers 2200-2000 avjc ; un étendard en bronze (biche?), vers 2350 avjc ; un étendard-taureau alliage cuivreux, vers 2350 avjc, et un étendard-cerf, bronze, tombes royales d’Alaça Hûyûk, vers 2200-2000 avjc ; de la vaisselle en électrum (alliage d’or et d’argent) et argent, et un vase en et un vase en électrum, vers 2300–2000 avjc ; Anatolie, actuelle Turquie, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Le Taureau et le Cerf…
Si les thèmes iconographiques du bovidé et du cervidé remontent à la Préhistoire, on rencontre surtout l’image du Taureau dans le monde oriental, dès le néolithique dans les régions du Levant, et dans les contrées méditerranéennes, comme en Crête ou en Grèce. L’évocation du Cerf, par contre, est plus présente dans le monde ancestral de l’Indus et en Occident, au néolithique, dans les représentations celtiques de l’Âge du Fer et jusque dans le panthéon Gaulois… Les mystérieux étendards anatoliens réunissent les deux thèmes…
Voir aussi les articles
Des peuples néolithiques du Levant… au génie de Sumer
Les sculpteurs et graveurs des cités de l’Indus
Les Eaux, la forêt, la nature… nourrissent l’âme celte
Un panthéon gaulois et romain en Gaule (1)
DE LA CITÉ DE MARI AU ROYAUME D’UR…
L’influence culturelle et artistique sumérienne que l’on rencontre à Mari (actuelle Syrie) trouve sa source au cœur de la Mésopotamie (actuel Irak), dans un monde morcelé par une multitude de cités-royaumes à l’époque des dynasties archaïques… La statuaire mésopotamienne se fait plus discrète à la toute fin des dynasties archaïques… avant de renaître plus tard à l’époque d’Agadé…
Les artistes mettent en lumière la piété royale et les triomphes guerriers des souverains sur leurs rivaux… Ils expriment aussi une grande créativité dans l’art des sceaux, gravés dans divers matériaux dont le précieux lapis-lazuli… Le trésor d’Ur de Mari recèle aussi un pectoral en lapis… encore un chef-d’œuvre…

Imdugud, l’aigle léontocéphale (à tête de lion), symbolise la Nuée de l’Orage. Il est à la fois l’assistant et l’attribut emblématique du grand dieu de l’Orage, Ningirsu, divinité principale des cités-royaumes de Lagash et d’Ur… Voir aussi l’article La puissance orageuse de Ningirsu, dieu sumérien de Lagash
Au cours de la dernière période des dynasties archaïques sumériennes, les artistes d’Ur, comme ceux de Mari, composent des mosaïques raffinées. On exploite des matériaux précieux, et on affiche une prédilection pour la mise en scène fabuleuse des animaux…
Article suivant La civilisation de Sumer : les brillants artistes de la cité d’Ur
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