Du védisme à l’hindouisme
Poursuivons notre promenade céleste au panthéon de l’Inde ancienne… Mircea Eliade nous explique comment, honoré par 120 hymnes et un livre du Rig-Veda, Soma apparaît comme la troisième divinité du panthéon védique. Soma est à la fois une déité, le breuvage divin et la plante utilisée pour obtenir cette boisson d’immortalité… Si Varuna, Indra, Agni et Soma monopolisent les hommages, Vishnu, et Rudra-Shiva, plutôt discrets dans les Veda, se réservent un avenir au premier plan dans l’hindouisme…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour novembre 2016 –

Ces anciennes déités védiques seront réunies par la suite dans l’Hindouisme pour former Hari-Hara : Vishnu-Hari et Shiva-Hara. Hari-Hara symbolise les deux principes complémentaires du Divin sous un nom composé.
TEXTES SACRÉS DE L’INDE ANCIENNE
Le Rig-Veda (1028 hymnes en sanskrit) : entre 1500 ans avjc et 800 ans avjc. Les Brahmana (commentaires en prose des Veda) : entre les Xe siècle et VIIe siècle avjc. Les Upanishad védiques (textes sacrés en sanskrit) : entre le VIe siècles avjc et le IIIe siècle avjc. Le Vedanta (en sanskrit la fin des Veda) : entre 700 ans et 300 ans avjc pour les écrits les plus anciens. La Bhagavad-Gîtâ : IVe siècle avjc. Les Upanishad moyennes : entre 500 et 200 ans avjc.
LE SACRIFICE DE SOMA CONFÈRE L’IMMORTALITÉ
Breuvage d’immortalité, Soma accède au rang de divinité… Il est l’ami et le protecteur des autres dieux, en particulier du dieu de l’Orage Indra. Soma joue un grand rôle dans les sacrifices et les rituels et cristallise une importante valeur mystique. Plus tardivement, il sera identifié avec la Lune…
C’est quoi le Soma?
C’est le nom du jus extrait de la plante Soma. Ce breuvage est divinisé en Inde où les textes sacrés lui consacrent des hymnes. Et des sacrifices sont offerts au dieu Soma… C’est la sève ou le miel d’immortalité apporté aux mortels par un aigle… Consommé par les êtres humains en communion avec les dieux, le Soma confère l’ivresse sacrée…
« Nous avons bu le Soma, nous sommes devenus immortels… Arrivés à la Lumière, nous avons trouvé les Dieux… Enflamme-moi comme le Feu, qui naît de la friction… Illumine-nous, fais-nous plus fortunés… Boisson qui a pénétré nos âmes, immortelle en nous mortel, ce Soma…«

Soma, à la fois divinité védique du sacrifice, plante et breuvage d’immortalité…
L’origine céleste de la plante Soma
Les mythes racontent comment un aigle s’envole jusqu’au Ciel pour s’emparer de la plante divine, le soma, et la rapporter sur Terre. Par ailleurs, certains textes nous disent que cette plante sacrée pousse dans les montagnes…
De son côté, la tradition iranienne évoque Haoma qui croît aussi dans les montagnes. En général, les cimes sont assimilées au Ciel et symbolisent le monde divin et transcendant. D’autres textes affirment que le soma pousse au nombril de la Terre… La Montagne comme le Nombril de la Terre sont des images du Centre du Monde…
Le sacrifice de Soma par les dieux pour créer le breuvage d’immortalité
Dans de nombreuses cultures, les centres du monde sont des espaces sacrés, des lieux de communication entre la Terre et le Ciel. Il s’agit d’un passage du monde profane au monde divin… La doctrine hindoue évoque aussi le sacrifice de Soma par les dieux pour créer le breuvage d’immortalité.
Le pressurage rituel de cette plante réactualise alors ce sacrifice primordial… Élevé au rang de divinité, Soma bénéficie des mêmes qualités que celles attribuées aux dieux en général. Il possède l’intelligence, la clairvoyance, la sagesse, la générosité, la victoire…

Le breuvage d’immortalité, un thème indo-européen
La plante inconnue utilisée par les indo-européens des temps anciens perdure sous la forme de diverses plantes… Le Soma de l’Inde ancienne comme le Haoma iranien désignent le breuvage d’immortalité…
L’Amrta également, un mot sanskrit signifiant non-mort, et le Madhu, sorte de miel… Il s’agit souvent de substances enivrantes associées à une ivresse spirituelle et à l’obtention de l’immortalité… Ses boissons sont comparables à l’Hydromel et à l’Ambroisie des dieux gréco-romains…
La boisson sacrée ouvre sur le monde divin
Dans l’Inde ancienne, les pratiquants demandent au Soma de prolonger le temps qu’ils ont à vivre, et de les protéger contre les maladies physiques ou psychiques… Le Soma possède de nombreuses vertus…
Le Soma stimule la pensée, il favorise la vigueur sexuelle, il renforce le courage des guerriers et il peut apporter la guérison… La boisson sacrée provoque aussi une ivresse mystique… Soma permet au pratiquant de participer au monde divin et d’accéder à la béatitude…
Le Soma rapproche le Ciel de la Terre…
Le Soma se rattache à l’ivresse spirituelle et à l’extase mystique… Il permet d’accéder à l’expérience de la lumière et au monde des dieux. L’officiant expérimente également la certitude intérieure de l’immortalité…
Les textes expliquent que lorsque le Soma est partagé par les prêtres et les dieux, il rapproche le Ciel de la Terre… Cette consommation commune prolonge aussi la vie et assure la fécondité… L’extase provoquée par le Soma mène à une complète plénitude vitale et à une totale liberté. Les forces physiques et psychiques sont accrues ou renouvelées grâce au soma…

La consommation du breuvage Soma mène le pratiquant à l’extase mystique…
Le pressurage rituel du soma
Le dieu Soma est parfois nommé le Roi Soma pour exprimer sa grande importance rituelle. Au cours du pressurage de la plante soma, le bruit de la meule est associé au Tonnerre. La laine qui permet le filtrage du liquide est assimilée aux nuages et le jus extrait de la plante est identifié à la pluie…
Le pressurage est également interprété comme une union sexuelle bienfaisante pour la fertilité… Les textes védiques mentionnent les cérémonies qui entourent l’achat de la plante et la préparation du breuvage. Le Rig-Veda cite le Soma comme l’âme et le centre du sacrifice.
Du sacrifice à la métaphysique
Les textes védiques s’adressent surtout à une élite sacerdotale de prêtres et aux officiants des sacrifices…. Mais les hymnes des Vedas forment également une source abondante pour alimenter les réflexions, les recherches et les évolutions de la pensée spirituelle de l’Inde…
L’ancestral breuvage soma va disparaître… Mais les orgies, l’ascèse, la méditation, les techniques du Yoga ou la dévotion mystique vont prendre le relais… Ces différentes pratiques visent à l’obtention d’une expérience spirituelle, à l’illumination, à l’assurance de l’immortalité…
Au-delà de l’époque védique, l’Inde des temps anciens se nourrit des textes et des mythes pour renouveler et recréer son univers spirituel… La mythologie cosmogonique et le principe essentiel du sacrifice, en étroite relation avec les dieux, aboutissent à l’épanouissement de la pensée philosophique, théologique et métaphysique qui font la richesse de la culture de l’Inde…
VISHNU DIVINITÉ BIENVEILLANTE, RUDRA-SHIVA DIEU TERRIBLE
Les textes védiques foisonnent de divinités… Mais au fil du temps, beaucoup d’entre-elles vont finir dans l’oubli… Certaines déités pourtant, dont le rôle apparaît comme secondaire dans les Veda, vont prendre de l’ampleur… Vishnu et Rudra-Shiva, notamment, évoluent jusqu’à devenir les plus grands dieux de l’Hindouisme, associés à Brâhma, le principe divin suprême…

Le dieu Vishnu entouré de ses avatars (ses incarnations-manifestations), est muni de ses attributs la massue, le chakra et la conque.
À l’origine, Dyaus, Usas, Vâyu et les autres…
Dyaus, le dieu du Ciel et sa fille Usas, déesse de l’Aurore, figurent parmi les plus anciennes divinités que l’on rencontre dans l’Inde védique. Vâyu, le dieu du Vent, est également dieu du Souffle et de l’Âme cosmique . La divinité de l’Orage et de la saison des pluies se nomme Parjanya. Savir et Sûrya sont des divinités solaires. Voir aussi l’article L’époque védique, la poésie sacrée des hymnes
Le culte de Sûrya va perdurer longtemps dans la vie religieuse hindoue… Gardien des routes et guide des morts, comme le dieu grec Hermès ou le Mercure romain, Pûsan disparaît assez vite du panthéon de l’Inde.
Les jumeaux Açvins, appelés aussi Nâsatya, sont les fils du dieu du Ciel Dyaus. On les retrouve dans beaucoup de mythes et de légendes. La tradition védique évoque aussi les Marûts. Ces fils du redoutable Rudra ont peut-être inspiré la formation de groupes guerriers dans la culture indo-européenne.
Vishnu étend l’espace entre le Ciel et la Terre
Dans le Rig-Veda, Vishnu est dépeint comme un dieu bienveillant avec les êtres humains. Il est aussi l’ami et l’allié d’Indra, dieu du Tonnerre et de l’Orage. Comme Varuna, Vishnu aide Indra à vaincre le dragon-serpent primordial Vrtra et à libérer ainsi les Eaux prisonnières des montagnes… Les textes nous racontent aussi comment le dieu Vishnu étend l’espace entre le Ciel et la Terre….
Ainsi, la Vie et le Monde peuvent émerger des Eaux… Si Vishnu exprime l’énergie bénéfique de la Vie, il symbolise également l’étendue spatiale illimitée en relation avec l’organisation du Cosmos. Vishnu s’identifie encore à l’axe cosmique qui soutient le Monde. Le Rig-Veda précise que ce dieu salvateur soutient la partie supérieure de l’Univers…
Le grand dieu hindou, maître de l’Étendue, atteint les Cieux en Trois Enjambées…
Les Trois Enjambées cosmiques de Vishnu
Le dieu Vishnu traverse l’espace en Trois enjambées… Son troisième pas le mène jusqu’au Ciel des Dieux… On retrouve ce mythe de Vishnu dans un rituel mentionné dans les Brâhmanas où l’officiant du sacrifice répète rituellement les trois enjambées du dieu pour atteindre le Ciel…
Le poteau du sacrifice, Yûpa, une réplique de l’axe du monde, relève aussi du dieu Vishnu. Les Brâhmanas mettent en correspondance Vishnu et Prajâpati, Seigneur des créatures et dieu primordial sacrifié…
Un culte de Vishnu presque monothéiste… Par la suite, dans les Upanishads, à l’époque de la Bhagavad Gîtâ vers le IVe siècle avjc, Vishnu est honoré comme un dieu suprême. La pratique de son culte se rapproche beaucoup de la pratique cultuelle dédiée à un dieu unique…
Cette tendance au monothéisme semble distinguer la création spirituelle de l’Inde… Plus tard encore, le développement et l’épanouissement de l’hindouisme mèneront Vishnu et Çiva sur la plus haute marche du panthéon divin de l’Inde. Associés à Brâhma, ils forment une déité tripartite, la Trimurti…

Rudra, le destructeur solitaire et démoniaque
Le dieu Rudra, divinité redoutable et redoutée, apparaît comme l’antithèse de Vishnu, son contraire. Rudra n’a pas d’amis parmi les dieux. Son caractère maléfique l’associe à de nombreux êtres démoniaques. Rudra terrorise les êtres humains qu’il n’aime pas et qui craignent sa fureur…
On assimile Rudra à un démon puissant et destructeur qui provoque les maladies et les désastres. En général, ce dieu védique est représenté avec une couleur sombre, un ventre noir, un dos rouge et des cheveux tressés.
Le Seigneur des Bêtes Sauvages
Vêtu de peaux d’animaux, Rudra est armé d’arc et de flèches. Ses environnements naturels privilégiés sont la montagne, la jungle et la forêt… Rudra est associé au monde sauvage… Au-delà de l’époque védique, les terribles facettes de Rudra s’accentuent encore…
On le nomme le Seigneur des Bêtes Sauvages et on dit que Rudra protège ceux qui restent à l’écart de la nouvelle société des envahisseurs aryens… On raconte aussi que les Dieux séjournent à l’Est alors que Rudra réside au Nord, du côté de l’Himalaya…
Rudra est exclu du sacrifice du Soma et doit se contenter de quelques offrandes de nourriture jetées à terre… Parfois, on lui dédie les restes des oblations (ce qui est offert aux dieux) ou des offrandes sacrificielles endommagées… Mais Rudra est appelé à devenir un grand dieu cosmique et transformateur…

Le dieu védique Rudra-Shiva se transforme en une divinité majeure de l’Hindouisme.
Çiva-Rudra, du chaos à la suprématie
Dans la littérature védique et dans les Brahmana, Rudra-Shiva reste une divinité associée à des puissances maléfiques ou ambivalentes. Sa puissance démoniaque habite les lieux sauvages et déserts… Rudra-Shiva symbolise le chaos, le désordre, l’imprévisible et le danger…
Pourtant, ce dieu redouté peut mettre sa mystérieuse magie au service de buts bénéfiques. Rudra est aussi Le Médecin des Médecins… Rudra-Shiva a été également assimilé au dieu de la Mort mais aussi au dieu de la Fertilité, Arbman, ou encore à une déité appartenant à la classe des ascètes, Vrâtya…
Shiva, Le Gracieux, Hara Le Destructeur…
Le destin mythique et religieux de Rudra évolue… Différentes épithètes apparaissent pour le qualifier. On le nomme Shiva (ou Çiva), Le Gracieux, Hara Le Destructeur, Shamkara Le Salutaire ou encore Mahâdeva Le Grand Dieu… La transformation mystérieuse de Rudra-Shiva aboutit même, dans la Svetâsvatara-Upanishad, à reconnaître en lui le Dieu Suprême…
Au cours du temps, Rudra-Shiva, comme d’autres dieux, a sans doute intégré en lui des éléments de croyance liés aux invasions aryennes associés à des notions spirituelles provenant d’autres cultures… Ce que les Veda nous apprennent sur lui ne présente sans doute pas la véritable ampleur de sa qualité première…

Voir aussi les articles Varuna, dieu magicien du panthéon védique et Les dieux Indra et Agni illuminent le Ciel Védique
La transformation de Shiva…
Les croyances et les pratiques religieuses des gens du peuple n’apparaissent pas dans les hymnes védiques ni dans les traités brahmaniques… Ces écrits sont accessibles à la seule aristocratie et à l’élite des prêtres. Toute la partie populaire de la vie culturelle et spirituelle des peuples indo-européens demeure inconnue…
Mais avec l’avènement de l’Hindouisme, Rudra-Shiva conquiert la position de Dieu Suprême. Cette transformation de Shiva met en lumière la réinterprétation et la revalorisation des mythes, des rites et des images divines dans l’univers culturel de l’Inde… quand la réflexion spirituelle se renouvelle sans cesse…
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