Chapelles et culte funéraire
Accolés aux pyramides du plateau de Gizeh, les architectes de l’Ancien Empire élèvent des temples funéraires et des mastabas destinés aux membres de la famille royale, puis aussi à des dignitaires. Installées dans le temple du culte royal ou dans une chapelle privée, les statues des défunts profitent des offrandes… Par ailleurs, l’historien grec Hérodote mentionne la pyramide de Khéops qui “coûta vingt années de travail”…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière révision mars 2024 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Époque Thinite vers 3400-2980 avjc. Ancien Empire 2980-2475 avjc. Moyen Empire 2160-1788 avjc. Nouvel Empire 1580-1090 avjc. Chronologie Égypte Ancienne
HÉRODOTE DÉCRIT LA PYRAMIDE DE KHÉOPS
L’historien grec Hérodote, auteur du Ve siècle avjc, mentionne la pyramide de Khéops qui fut bâtie en forme de degrés et nous explique l’infamie de Khéops… Hérodote présente le roi Khéops davantage comme un tyran que comme un grand pharaon…

« Khéops fit travailler tous les Égyptiens »
Hérodote raconte (Histoires, II, 124 – 127)… : « On ajoute que jusqu’au roi Rhampsinite, on avait vu fleurir la justice et régner l’abondance dans toute l’Égypte ; mais qu’il n’y eut point de méchanceté où ne se portât Chéops, son successeur… »
« Khéops fit travailler tous (les Égyptiens) pour lui. Les uns furent occupés à fouiller les carrières de la montagne d’Arabie, à traîner de là jusqu’au Nil les pierres qu’on en tirait, et à passer ces pierres sur des bateaux de l’autre côté du fleuve”… On employait cent mille hommes à ce travail, renouvelés tous les trois mois… »

Des pierres polies, parfaitement bien jointes ensembles
Hérodote poursuit… « Quant au temps pendant lequel le peuple fut ainsi tourmenté, on passa dix années à construire la chaussée par où on devait traîner les pierres… sans compter le temps qu’on employa aux ouvrages de la colline sur laquelle sont élevées les pyramides, et aux édifices souterrains qu’il fit faire, pour lui (Khéops) servir de sépulture, dans une île formée par les eaux du Nil, qu’il y introduisit par un canal…

« … La pyramide même coûta vingt années de travail : elle est carrée ; chacune de ses faces a huit plèthres (mesure de longueur antique = 30 mètres) de largeur sur autant de hauteur ; elle est en grande partie de pierres polies, parfaitement bien jointes ensembles…
« … Chéops en vint au point d’infamie de prostituer sa fille…. et de lui ordonner de tirer de ses amants une certaine somme d’argent” pour financer encore son “ouvrage considérable”…


D’après une statue de Khéphren trônant, protégé par le faucon, diorite, 2930-2750 avjc, temple bas de la pyramide de Khéphren, IVe dynastie, Gizeh, Ancien Empire, Égypte Ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
Khéphren, fils de Khéops, et le faucon royal
Comme son père Khéops, Khéphren porte le faucon sur sa coiffe royale, emblème du dieu Horus protecteur de la royauté. La tradition du dieu Faucon comme celle du cobra-uræus remonte à l’époque prédynastique…
Voir aussi l’article Sous les premières dynasties, le dieu faucon confère la royauté…

Le sphinx de Gizeh veille dans les sables…
Sur le plateau de Gizeh, le grand sphinx se distingue… Cette autre réalisation gigantesque interroge encore les chercheurs, notamment sur la date de son élévation…
Une créature mythique coiffée du némès royal
Taillée dans le calcaire, l’effigie de cette créature mythique à corps de lion affiche un visage humain coiffé du némès royal. Cette sculpture monumentale se trouve non loin du temple et de la pyramide de Khéphren, roi de la IVe dynastie, fils de Khéops et frère de Didoufri.


D’après le grand sphinx de Gizeh auprès de la pyramide de Khéphren, roi de la IVe dynastie sous l’Ancien Empire ; et Didoufri, frère de Khéphren, coiffé du némès royal, grès, Abou Roach ; Égypte Ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
MASTABA, CHAPELLE ET STATUE
Les mastabas destinés à l’entourage proche du pharaon abritent une chambre pour le sarcophage et le mobilier destiné à la survie dans l’au-delà. Dans la partie supérieure des mastabas, on installe une chapelle avec la statue du défunt…

Auprès des pyramides, les architectes construisent aussi des mastabas. Ces monuments funéraires apparaissent dès les premières dynasties Thinites, puis leur construction perdure sous l’Ancien et le Moyen Empire…
Le ka du défunt habite sa statue
Le ka du défunt se nourrit des offrandes du culte funéraire. Quand ce culte tombe dans l’oubli ou que les rituels ne sont plus effectués correctement, les images vivantes sont là, immuables, pour assurer une nourriture éternelle. Le ka incarne le double vivant de la personne, son énergie vitale au sens métaphysique du terme…

Le ka et le ba du défunt
Les dieux et les êtres humains se manifestent par leur ka, immatérielle énergie vitale, de nature divine. Dès l’enfance, le ka grandit avec l’individu et ne le quitte jamais…
Dans la chapelle funéraire, le ka du défunt habite sa statue. Par ailleurs, le ba du défunt, représenté sous la forme d’un oiseau, circule dans la tombe et visite sa momie. De nature spirituelle, le ba symbolise l’âme de l’individu.

Les artistes donnent vie aux images
Dans les tombeaux et les chapelles, les artistes de l’Ancien Empire composent des décors peints et des bas-reliefs colorés qui représentent les activités de la vie quotidienne. Les artistes donnent vie aux images dans les mastabas. La finalité de ces scènes peintes et sculptées est d’assurer la survie et le service des défunts dans l’au-delà…
Les reliefs du mastaba d’Akhethetep représentent le transport de la statue du défunt et des scènes d’offrandes d’encens de Ptahhotep à son père d’Akhethetep…

Une demeure d’éternité
Dans un premier temps, les mastabas sont destinés à des membres de la famille royale. Puis dès l’Ancien Empire, les personnages proches de pharaon, comme des grands dignitaires ou des hauts fonctionnaires peuvent occuper leur demeure d’éternité-mastaba, et obtenir ainsi le privilège de reposer non loin de pharaon…
Pour protéger les chambres funéraires des mastabas, les architectes comblent le puits qui relie la chapelle, accessible aux visiteurs, à la salle du sarcophage qui devient en principe inaccessible. Les familles des défunts se réunissent dans les chapelles des mastabas pour effectuer leur devoir cultuel.

Des offrandes de nourriture et de boisson
Un prêtre chargé du culte funéraire dépose les offrandes de nourriture et de boisson destinées au défunt sur la table prévue à cet effet. Il prononce aussi les formules rituelles qui garantissent sa destinée pour l’éternité…
La fausse porte, symbole de passage…
Une fausse porte sculptée dans la paroi de la chapelle symbolise le passage entre le monde des vivants et celui des morts. Par ailleurs, les artistes représentent la table chargée d’offrandes, un repas éternel de nourriture et de boissons conféré par la puissance spirituelle des images vivantes…

Voir aussi l’article Les images et les hiéroglyphes perpétuent l’essence de l’éternel
DES VESTIGES ARTISTIQUES ET DES ÉCRITS
C’est surtout grâce aux artistes que nous connaissons les activités et les croyances des anciens égyptiens sous l’Ancien Empire. Des bas-reliefs historiés, des peintures, des statues et les nombreux objets de la vie quotidienne déposés dans les tombeaux témoignent de leur façon de vivre…

La vie des anciens égyptiens traverse le temps…
Le panthéon égyptien est abondamment illustré. Mais aux vestiges artistiques s’ajoutent des écrits mythologiques ou commémoratifs. Des inscriptions hiéroglyphiques immortalisent des couronnements, des jubilés (fête-Djed), des épisodes de guerre, des expéditions commerciales…
Ainsi, deux vases à onguent en albâtre, l’un au musée du Louvre à Paris, l’autre au Metropolitan Museum of Art à New York, commémorent, par exemple, le trentième anniversaire du couronnement de Pepi Ier, un roi de la VIe dynastie…

Les textes des Pyramides
Dans le domaine du sacré, Les textes des Pyramides témoignent des conceptions spirituelles des anciens égyptiens.
Les Textes des Pyramides dans le tombeau du roi Ounas
Le roi Ounas, dernier pharaon de la Ve dynastie (vers 2750-2625 avjc), fait graver le premier les Textes des Pyramides, emplis de formules ancestrales dans son tombeau à Saqqara (ou Sakkara). Sous la VIe dynastie, les rois et les reines perpétuent cette tradition rituelle…


D’après les Textes des Pyramides, hiéroglyphes, chambre funéraire du roi Ounas, 2750-2625 avjc, Ve dynastie ; Ancien Empire, Saqqara, Égypte Ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
Les textes de la pyramide du roi Ounas mentionnent la légende d’Osiris et la mythologie de Rê. Des récits mythiques sont élaborés par les théologiens du temple d’Héliopolis (du grec hélios, soleil, et polis, ville). Héliopolis est la capitale du culte du dieu solaire Rê.
LES DÉBUTS D’UNE STATUAIRE MONUMENTALE
Sous l’Ancien Empire, les artistes réalisent de nombreuses statues destinées aux chapelles des tombeaux. Différentes effigies de personnages, parfois en couple, témoignent des commencements d’une statuaire monumentale et sobre, souvent taillée dans le calcaire ou dans le bois …

Des statues « vivantes »
Les statues des chapelles des tombes deviennent vivantes grâce au rite de l’ouverture de la bouche qui anime les cinq sens vitaux.
Les statues perpétuent la mémoire des défunts
Ainsi, les statues perpétuent la mémoire et la présence physique du défunt, dont le ka (le double immatériel) peut profiter des offrandes apportées par ses proches lors des rites funéraires. La nourriture, en particulier, assure au défunt sa survie pour l’éternité…
Ainsi, les statues de Sepa et Nesa, taillées dans la pierre calcaire, symbolisent l’image et l’identification de deux défunts, un homme et une femme…

Une statuaire empreinte de monumentalité et de sobriété
La monumentalité et la sobriété de ces figures illustrent le style pharaonique de l’Ancien Empire. Le personnage masculin doté d’une canne et d’un sceptre, ici dans l’attitude de la marche, rappelle la représentation du hiéroglyphe de l’Homme…
Une inscription gravée sur le socle précise les titres et les fonctions du défunt, que vient compléter l’image sculptée. Le personnage féminin porte des anneaux au poignet et un fard vert souligne et protège ses yeux. Le fard vert est un soin très ancien. Il est remplacé par la suite par un fard noir…

Le Nil et la nature
Les artistes du Nil s’inspirent de leur milieu naturel…
L’art égyptien s’inspire profondément de son environnement naturel, dans un monde où la crue du Nil rythme le temps, immuable. Le cours du fleuve favorise aussi l’agriculture et l’épanouissement de la flore et de la faune. Le Nil traverse une mince bande de terres où se déploient des champs verdoyants, grâce à l’irrigation et au limon nourricier déposé par la crue…
Un environnement grandiose et lumineux
Au-delà des terres cultivables inondées de lumière, on rencontre les dunes de deux vastes déserts, baignés aussi par l’écrasante chaleur du soleil. Ainsi, le style pharaonique s’inspire d’un environnement empreint de stabilité, de tranquillité, de grandiosité et de luminosité…

Des scènes de chasse aux oiseaux et de pêche dans les marais sont fréquemment représentées par les artistes de Égypte antique…
Le Nil apporte la vie…
Les monticules de terre qui émergent ça et là du fleuve ont peut-être inspiré la cosmogonie égyptienne qui fait émerger le Soleil de la colline primordiale, elle-même issue du Noun, le marécage originel…
L’art colossal sous l’Ancien Empire exprime alors le goût de l’éternité et consacre les bienfaits du Nil. Les sculpteurs composent des reliefs très légers, en méplat, et exploitent ainsi en douceur des jeux d’ombre et de lumière. Les peintres s’inspirent des plantes et des animaux des marais. Les artistes façonnent alors des chefs – œuvre intemporels…

Vers le 15 juin, chaque année, le Nil déborde…
Les égyptiens vivent sous un climat désertique, seules les eaux du Nil permettent la vie pour les êtres humains, les animaux et les plantes. C’est vers le 15 juin, chaque année, que le Nil déborde, qu’il apporte aux terres inondées son limon fertile, un engrais naturel, et son eau bienfaitrice. Les artistes immortalisent les dons du fleuve sur des stèles… Il est dit :
C’est le fleuve qui fait vivre le pays : mets et aliments n’existent qu’après qu’il s’est gonflé
Parfois, le Nil se montre capricieux…
Mais le fleuve fécond peut aussi parfois se montrer capricieux… Docile, le Nil apporte à tous une bonne année de récoltes et de prospérité. Mais quand il devient trop impétueux, ses eaux détruisent tout sur leur passage, ou bien encore, trop paresseux, un Nil maigre entraîne sécheresse, disettes, famines…

Une crue insuffisante provoque la famine
Le roi Ounas de la Ve dynastie fait graver un relief en méplat dit Des Maigres pour illustrer les conséquences d’une crue insuffisante. On y voit la grande maigreur des corps et les visages émaciés de pauvres gens affamés…
Ce relief qui évoque la famine contraste avec les représentations d’offrandes et de mets en abondants destinés à rassasier les défunts dans l’au-delà… Ce relief sculpté en méplat est à l’origine peint et coloré…
Pour Hâpy, le dieu du Nil, voir aussi l’article La déesse serpent Isis-Thermouthis et la féconde Taouret-Thouéris

Sous l’Ancien Empire, les artistes taillent des statues, composent des bas-reliefs peints et inscrivent des hiéroglyphes. Ils créent un univers d’images vivantes. Textes sacrés, hymnes, dédicaces, prières, titulatures, listes funéraires… trouvent leur place dans l’expression artistique. Les scribes égyptiens œuvrent sous le patronage du dieu Thot…
Article suivant : L’Art de l’Égypte ancienne, les images et les hiéroglyphes perpétuent l’essence de l’éternel
EN BREF. Époque Thinite vers 3400-2980 avjc. Ancien Empire 2980-2475 avjc. Moyen Empire 2160-1788 avjc. Nouvel Empire 1580-1090 avjc. Troisième période intermédiaire 1090-663 avjc. Basse Époque 663 avjc – 332 avjc (domination Perse 525 avjc – conquête Alexandre le Grand 332 avjc). Époque ptolémaïque 332-30 avjc. Époque Romaine 30 avjc- IVe siècle.
Des écrits sacrés ? Les Textes des Pyramides, qui remontent à l’Ancien Empire (entre 2980 et 2475 avjc) ; Les Texte des Sarcophages, depuis la fin de l’Ancien Empire et au Moyen Empire (vers 2160 – 1788 avjc) ; Le Livre pour Sortir au Jour (dit Livre des Morts), au Nouvel Empire (vers 1580 – 1090 avjc)…
Un roman ? Sinouhé l’Égyptien, de Mika Waltari, les aventures de Sinouhé, médecin et espion du pharaon Aménophis IV (Akhénaton)… Un conte initiatique ? Her-Bak Pois Chiche, de Isha Schwaller de Lubicz, qui raconte l’éveil d’un jeune égyptien sous la XXe dynastie, dans la région de Thèbes (Karnak, Louxor)…
