Isis, matrice universelle
Le culte de la déesse Isis, souveraine de Philae, honorée aussi à Dendéra, se propage dans le monde gréco-romain où elle se manifeste sous différentes formes, se mêlant à diverses divinités féminines. Ainsi, la déesse Isis acquiert une dimension universelle. L’épouse d’Osiris, mère d’Horus et Maîtresse des étoiles, s’assimile encore à Sothis et à Satis, à la crue du Nil et au Ciel. Plutarque évoque la déesse Isis Qui a dix mille noms. Sous la plume d’Apulée, Isis incarne à la fois l’archétype divin et la matrice universelle…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière révision mars 2024 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Époque Thinite vers 3400-2980 avjc. Ancien Empire 2980-2475 avjc. Moyen Empire 2160-1788 avjc. Nouvel Empire 1580-1090 avjc. Troisième période intermédiaire 1090-663 avjc. Basse Époque 663 avjc – 332 avjc (domination Perse 525 avjc – conquête Alexandre le Grand 332 avjc). Époque ptolémaïque 332-30 avjc. Époque Romaine 30 avjc- IVe siècle.
LES DÉESSES ISIS-SOTHIS ET SATIS
Épouse du dieu Osiris, mère du jeune dieu Horus, la déesse Isis incarne le trône d’Égypte, la fécondité et la maternité. Son culte se rattache aussi à l’inondation fertilisante du Nil, à la déesse-étoile Sothis-Isiothis et à Satis. À l’époque gréco-romaine, les traits de la déesse Isis peuvent se mêler à ceux de Déméter-Cérès, d’Athéna-Minerve, d’Aphrodite-Vénus, de Tyché…

Des déesses et des étoiles
Isis, Sopdet-Sothis et Satis
Dans son livre La religion égyptienne, Siegfried Morenz évoque des assimilations entre les termes de Sothis – nom grec de Sopdet – Satis et Isis. On aurait ainsi identifié le dieu originel qui apporte les crues du Nil, Seigneur du début de l’année, à Sothis – épithète féminin pour personnifier Sirius -, et à la déesse Isis.

La déesse-étoile Sothis-Isiothis
Sirius est l’étoile la plus brillante de la constellation du Grand Chien, alors que la déesse Isis et Osiris, selon Morenz, se rattacheraient à la constellation d’Orion (du nom du chasseur Orion de la mythologie grecque). À la Basse Époque, on honore la déesse-étoile Sothis sous le nom d’Isiothis. Par ailleurs, à Philae, la déesse Isis est qualifiée de Maîtresse des étoiles…
Voir aussi l’article La déesse Isis, icône universelle de Philae, et Osiris à Biggeh
On évoque déjà Sopdet-Sothis, désignée par le hiéroglyphe spdt (Sepedet), dans les Textes des pyramides, qui remontent à l’Ancien Empire, au IIIe millénaire avjc. On la présente alors comme la fille d’Osiris. L’étoile Sothis (Sirius), qui annonce l’inondation, fait l’objet d’un culte particulier dans la tradition de l’Égypte Ancienne…


D’après la déesse Sothis-Sopdet et son étoile, et Aménophis III offrant Maât à Rê-Horakhty, gnomon en bois (instrument astronomique à ombre), 1400 – 1350 avjc, XVIIIe dynastie, Nouvel Empire ; et le hiéroglyphe de Sothis-Sopdet, Égypte Ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
Sothis-Isis, « Maîtresse de l’année »
Les anciens Égyptiens associent des constellations et des étoiles à des divinités. Pour eux, le lever héliaque de Sirius annonce le début de la crue, la saison des inondations et de la fertilisation des terres. Cet événement marque ainsi le Nouvel An égyptien. Le Lever héliaque de Sirius signifie que l’étoile se lève quasiment en même temps que le Soleil, au lever du jour…
Ainsi, la déesse Sothis, incarnation féminine de l’étoile Sirius, est qualifiée de maîtresse de l’année. Souvent assimilée à Isis, elle est traditionnellement représentée sous les traits d’une déesse souvent accompagnée d’une étoile ou portant une double plume droite. Elle a pour compagnon un chien et elle peut aussi être figurée sous la forme d’une chienne.

Une carte symbolique du Ciel
Dans le tombeau de Séthi Ier, qui remonte au Nouvel Empire, le Ciel est représenté au plafond, telle une immense bande dessinée sur fond bleu. On peut y voir un enchevêtrement de multiples divinités, animaux symboliques et objets célestes – constellations, étoiles, disques solaires…
Pour les anciens égyptiens, sous l’Ancien Empire, les étoiles correspondent aux âmes immortelles des pharaons défunts assimilés à des dieux… Certaines images d’étoiles de la tombe de Séthi Ier sont commentées par un texte court, précisant les noms et qualités de ces astres.
Souvent représenté dans les tombeaux égyptiens de manière imagée, le Ciel sacré de l’Égypte ancienne possède une dimension symbolique dont les nombreux détails et significations restent énigmatiques pour nous…

La crue du Nil
Calendriers lunaire et solaire
L’année égyptienne débute donc au moment de la crue du Nil, un phénomène annoncé par le lever de Sirius, vers le 19 juillet. Par ailleurs, les anciens Égyptiens utilisent deux calendriers : le calendrier lunaire, qui régit les célébrations des fêtes sacrées, et le calendrier solaire, pour organiser la vie profane et civile.
Le calendrier solaire comprend 12 mois de 30 jours auxquels s’ajoutent 5 jours – les jours épagomènes – voués dans la mythologie égyptienne à Osiris, à la déesse Isis, à Horus l’Ancien (Haroëris pour les Grecs), à Seth et à Nephtys, soit en tout 365 jours.

Satet-Satis « qui donne l’eau fraîche »
La déesse Satis-Satet, quant à elle, est désignée comme celle qui donne l’eau fraîche, et on l’assimile aussi à Sothis. Dans la triade d’Éléphantine, Satis est l’épouse de Khnoum-Rê et la mère de leur fille, Anouket-Anoukis, divinité de la première cataracte du Nil et Maîtresse de Nubie.
On représente Satis coiffée de la couronne Blanche de Haute-Égypte associée à deux cornes de gazelles. Veillant sur le lancement de la crue, Satet-Satis est parfois figurée en archère, dont la flèche déclenche le processus de l’inondation fertilisante…


D’après Khnoum-Rê, Satet-Satis et leur fille Anouket-Anoukis, triade d’Éléphantine, XXe dynastie, île d’Éléphantine, Assouan ; et Anouket-Anoukis, divinité de la première cataracte du Nil, bois peint, vers 1250 avjc, XIXe dynastie, Nouvel Empire, Égypte Ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
La première cataracte et les sources du Nil
Pour les anciens égyptiens, la première cataracte, en Haute Égypte, est l’un des deux lieux mythiques des sources du Nil, dont l’inondation est étroitement liée aux déesses Sothis et Satis. Les sources du Nil, où se cache Hâpy, dieu Nil, se trouvent aussi au Nord du pays, dans la région du Delta, en Basse Égypte.
Un relief du temple de Philae, sculpté sur la porte d’Hadrien, représente le dieu Nil Hâpy dans sa grotte mythique, qui déverse l’eau d’un vase : une allégorie des eaux riches en limon au moment de la crue annuelle du fleuve…

LA DÉESSE ISIS, BON AUGURE ET ABONDANCE
Le culte de la déesse Isis, souveraine de Philae, se diffuse dans le monde gréco-romain, ainsi que la célébration des Mystères d’Osiris…
Isis-Thermouthis-Déméter et Osiris-Agathodémon
La déesse Isis-Thermouthis et Osiris-Agathodémon, sous la forme de serpents, deviennent à l’époque gréco-romaine des symboles de fécondité, de bon augure et de protection. Sur une stèle, on peut voir réunis Isis-Thermouthis, Déméter, et Osiris-Agathodémon…
La déesse Isis s’assimile aussi à Déméter-Cérès, divinité gréco-romaine des moissons, de la fertilité et de la végétation, dont la fille Perséphone-Proserpine, enlevée par le dieu des Enfers, Hadès-Pluton, revient sur la Terre à chaque printemps pour assurer le renouveau de la végétation…

Voir aussi l’article Le Sacré en Égypte ancienne, la déesse serpent Isis-Thermouthis et la féconde Taouret-Thouéris
La déesse Isis acquiert une dimension universelle
La déesse-mère Déméter ou Cérès chez les Romains, est à l’origine la divinité des blés et des moissons. Déméter se rattache à la fertilité, à la végétation et aux terres cultivées. On célèbre Déméter notamment à Éleusis, où des mystes s’initient à ses Mystères…
Les Grecs vénèrent particulièrement la déesse Isis à l’époque hellénistique. Puis au cours de la période romaine, on continue de l’adorer dans tout l’empire, comme aussi à Rome ou à Pompéi. La déesse Isis acquiert une dimension universelle…

Le serpent Agathodémon
Pour honorer Agathodémon, déité serpent assimilée au Nil, on apprivoise et on élève un serpent du même nom. Agathodémon incarne la fécondité et la vie éternelle.
Par ailleurs, dans l’antiquité, les ophites possèdent dans des cages des serpents apprivoisés dits agatho-démons (E. Renan, Hist. Des origines du Christianisme, Marc-Aurèle et la fin du monde antique, 1881). Pour les les ophites, le serpent possède la Connaissance.
Les ophites sont les membres d’une secte gnostique pour qui, entre les IIe et IVe siècles, le serpent est détenteur de la Connaissance (dite Gnose). Le serpent, comme le scorpion, s’identifie également à des divinités guérisseuses.

Un symbole de Vie et de régénération…
On représente Agathodémon sous la forme d’un serpent. Sa tête est couronnée de la couronne Blanche de Haute Égypte sur un corps formé d’anneaux. Parfois il apparaît sous les traits d’un jeune homme, arborant alors une corne d’abondance et des épis.
Sur une stèle, Isis-Thermouthis et Osiris-Agathodémon sont accompagnés par un griffon, la patte sur un symbole solaire, source de Vie et de régénération…
Sous sa forme serpent d’Isis-Thermouthis, l’épouse d’Osiris porte la coiffe hathorique, avec cornes de vache et disque solaire, auxquels s’ajoutent deux hautes plumes évoquant des épis de blé…

Isis-Aphrodite
À l’époque romaine, en Égypte et en Syrie, un culte important est rendu à Aphrodite, déesse gréco-romaine de l’amour, de la sexualité et de la beauté… Cette déesse protectrice des femmes et du mariage prend alors la forme hellénisée de divinités locales, comme l’égyptienne Isis-Hathor.
Une déesse de l’amour et de la fécondité
La déesse Isis s’assimile aussi à des divinités babyloniennes, telles Astarté et Ishtar, déesses de l’amour, de la sexualité et de la fécondité, dont les attributs sont comparables à ceux d’Aphrodite… Ainsi, au cours des premiers siècles de notre ère, en Égypte, des statuettes en bronze ou parfois en argent d’Aphrodite-Isis figurent parmi les objets qui garnissent la dot de la mariée…

Des emblèmes de la déesse Isis
Des figurines en terre cuite d’Aphrodite-Isis sont également présentes dans les maisons, installées sur les autels domestiques, les laraires. Souvent, les statuettes représentent la déesse à sa toilette ou laissant dévoiler sa nudité. Aphrodite-Isis se manifeste alors sous les traits d’une divinité universelle, entourée de divers attributs…
Dévoilant parfois sa nudité, la déesse Isis-Aphrodite rappelle encore l’iconographie de la grande déesse orientale de l’Amour et de la fécondité, Ishtar.

Des attributs gréco-romains et égyptiens
La déesse Aphrodite-Isis porte une coiffe très complexe et affiche différents attributs : corne d’abondance, gouvernail de la Fortune, casque d’Athéna-Minerve, couronne crénelée de Cybèle.
Aphrodite-Isis arbore aussi des emblèmes de la déesse Isis et des grandes divinités égyptiennes : uraeus, vautour, basileion (symbole du palais), disque solaire, épis de blé, cornes, grandes plumes…

Isis-Tyché, divinité tutélaire
La déesse égyptienne Isis se présente encore sous la forme de Tyché, déesse grecque de la Fortune ou Fortuna pour les Romains. Les artistes de l’époque gréco-romaine coulent de nombreuses figurines d’Isis-Tyché en bronze, en argent ou en or, ou encore sculptent des statuettes de la déesse en marbre ou en terre cuite.
Une déesse protectrice de la cité
Souvent, la déesse Tyché se présente comme la divinité tutélaire et protectrice d’une cité ou d’un royaume. Isis-Tyché porte généralement une coiffe égyptienne et possède divers attributs : gouvernail de navire, corne d’abondance ou vase d’abondance, épis de blé, serpents symboles de fertilité et de pouvoirs guérisseurs…


D’après Isis-Aphrodite-Tyché, statuette en bronze, gouvernail de navire, corne d’abondance, Amrit, Syrie ; et la Isis-Tyché, avec coiffe égyptienne et gouvernail, statuette en argent, Ier siècle, Naples ; époque Romaine. (Marsailly/Blogostelle)
Les visages de la grande déesse
À l’époque gréco-romaine de l’Égypte ancienne, la déesse Isis-Tyché peut mêler ses traits à Déméter-Cérès, à Aphrodite-Vénus, à Athéna-Minerve ou encore à la déesse phrygienne Cybèle qui, à l’origine, est la divinité de la Terre et la maîtresse des fauves, avant de devenir, comme la déesse Isis, une grande déesse-mère gréco-romaine, Grande Mère des dieux…
On rencontre aussi la déesse Tyché en Gaule sous les traits de Tutela, à l’époque romaine. La déesse est coiffée d’une tour de rempart crénelée et porte souvent une corne d’abondance et un gouvernail de navire…
Voir aussi l’article L’art en Gaule, les monuments fleurissent en Gaule Romaine.
À l’époque Ptolémaïque et romaine, la popularité de la déesse Isis s’étend bien au-delà des frontières de l’Égypte… L’épouse d’Osiris et la mère d’Horus possède ses temples, ses prêtres, ses fêtes et ses Mystères dans l’ensemble du monde romain où elle incarne la déesse universelle…

LA DÉESSE ISIS D’APULÉE
Sous la plume d’Apulée, Isis incarne à la fois l’archétype divin et la matrice universelle… Dans son roman, L’Âne d’or ou Les Métamorphoses, l’auteur latin Apulée (IIe siècle), célèbre la déesse Isis qui sauvera Lucius, transformé en âne, de sa terrible malédiction. La déesse Isis se présente en ces mots…
« Je suis la Nature, mère de toutes choses »
« Je suis la Nature, mère de toutes choses, maîtresse des éléments, principe originel des siècles, divinité suprême, reine des Mânes, la première entre les habitants du ciel, type universel des dieux et des déesses »…
« L’Empyrée et ses voûtes lumineuses, la mer et ses brises salubres, l’enfer et ses silencieux chaos, obéissent à mes lois; puissance unique adorée sous autant d’aspects, de formes, de cultes et de noms qu’il y a de peuples sur la terre. »..

« Mon vrai nom de déesse Isis »
Dans les Métamorphoses, la déesse Isis poursuit… « Pour (les) Phrygiens, je suis la déesse de Pessinonte et la mère des dieux ; le peuple autochtone de l’Attique me nomme Minerve Cécropienne »…
« Je suis Vénus Paphienne pour les insulaires de Chypre, Diane Dictynne pour les Crétois aux flèches inévitables. Dans les trois langues de Sicile, j’ai nom Proserpine Stygienne, Cérès Antique à Éleusis… Les uns m’invoquent sous celui de Junon, les autres sous celui de Bellone. Je suis Hécate ici, là je suis Rhamnusie…
« Mais les peuples d’Éthiopie, de l’Ariane et de l’antique et docte Égypte, contrées que le soleil favorise de ses rayons naissants, seuls me rendent mon culte propre, et me donnent mon vrai nom de déesse Isis. (L’Âne d’or ou Les Métamorphoses)

Isis-Maât, déesse cosmique
Grande divinité céleste, la déesse Isis ailée s’identifie parfois à Maât, dont elle porte la plume. Maât, déesse Vérité et Justice, préside à l’équilibre universel. Ainsi, la déesse Isis-Maât règne sur la norme universelle, sur le cosmos, les dieux et les déesses, les êtres vivants…
La déesse Isis, souveraine de Philae, qualifiée de « maîtresse des étoiles », est honorée aussi à Dendéra où elle s’identifie à Hathor. En Égypte Ancienne, les activités sacrées se fondent sur le calendrier lunaire. La Lune se rattache à Thôt, dieu scribe, maître du Temps et des sciences. Selon Plutarque, la déesse égyptienne « Qui a dix mille noms » prend « toutes sortes de formes ». Le nom hébreu d’Ève, « la vivante », rappelle l’essence divine d’Isis, « vénérable Mère des dieux, donneuse de vie”…
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Des écrits sacrés ? Les Textes des Pyramides, qui remontent à l’Ancien Empire (entre 2980 et 2475 avjc) ; Les Texte des Sarcophages, depuis la fin de l’Ancien Empire et au Moyen Empire (vers 2160 – 1788 avjc) ; Le Livre pour Sortir au Jour (dit Livre des Morts), au Nouvel Empire (vers 1580 – 1090 avjc) …
Un roman ? Sinouhé l’Égyptien, de Mika Waltari, les aventures de Sinouhé, médecin et espion du pharaon Aménophis IV (Akhénaton)… Un conte initiatique ? Her-Bak Pois Chiche, de Isha Schwaller de Lubicz, qui raconte l’éveil d’un jeune égyptien sous la XXe dynastie, dans la région de Thèbes (Karnak, Louxor)…
