Des arts et des lettres à Sumer
En Mésopotamie, vers 2100 avjc, les scribes et les lettrés prennent une grande importance dans la société néo-sumérienne. Ces personnages instruits disposent alors d’un système très élaboré d’écriture et de grammaire. La civilisation de l’écriture connaît un essor sans précédent et la littérature sumérienne s’épanouit : listes royales, mythologie, héros légendaires… Sur les empreintes des sceaux, l’image se marie à des inscriptions parfois imposantes…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière révision octobre 2024-

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Empire d’Agadé et dynastie d’Akkad fondée par Sargon : 2340 – 2200 avjc. Règne de Naram-Sin : 2254 – 2218 avjc. Époque néo-sumérienne : 2150 – 2100 avjc. Les princes de Lagash : 2150 -2130 avjc. Règne de Gudea : 2130 – 2100 avjc. IIIe dynastie d’Ur fondée par Ur-Nammu : 2100 – 2000 avjc. Chronologie Orient ancien
LES LETTRÉS DOMINENT LA NOUVELLE SOCIÉTÉ DE SUMER
Dès le milieu du IIIe millénaire avjc, les Sumériens s’exercent à différents styles littéraires. Les scribes rédigent des mythes, des épopées, des contes, des essais, des hymnes aux dieux et aux rois divinisés, des lamentations, des proverbes, des conjurations… Quelques récits contiennent des bribes historiques…

Scène cultuelle au dieu de la Végétation
Un sceau sumérien de l’époque du roi Shulgi représente une scène cultuelle accompagnée d’une longue inscription. Une déesse introduit un adorateur coiffé d’un bonnet (royal?) auprès d’une divinité devant un autel avec arbre sacré.
Face à eux, un dieu de la Végétation se manifeste brandissant des rameaux. Cette image rappelle le couple mythique Ishtar-Dumuzi. Le dieu de la Végétation Dumuzi, prisonnier des Enfers, en ressort périodiquement pour faire renaître la Végétation…
L’alliance de l’image et de l’écrit
L’écriture devient un moyen d’expression privilégié à l’époque néo-sumérienne. Les arts et les lettres contribuent au nouveau et au rayonnement de la civilisation de Sumer. Les lettrés dominent dans la nouvelle société sumérienne et cultivent leur sens de la littérature.

Listes royales, formules et dédicaces
Les scribes composent des listes royales et élaborent des formules imprimées sur les sceaux. Des dédicaces sont gravées pour affirmer sa piété, gagner la protection et la bienveillance des dieux.
Parfois, les inscriptions évoquent des faits du passé. Ainsi, les écrits des princes de la dynastie de Lagash nous racontent comment les anciennes cités-royaumes s’affrontent pour des questions de frontières. Quand chaque souverain à la tête d’une cité-état tente d’imposer sa suprématie…
Des textes sur des supports variés
Les scribes sumériens gravent des textes sur des supports variés : statues, stèles, sceaux-cylindres, tablettes d’argile, clous ou cônes de fondation, vases… Ainsi, des écrits mentionnent des événements présentés comme historiques ou commémorent des hauts faits.

L’image illustre l’inscription
Les artistes composent aussi des inscriptions royales, des listes d’offrandes destinées aux dieux, des serments formulés par des divinités ou associées à leurs symboles… L’image, prédominante aux époques précédentes, semble maintenant davantage accompagner ou illustrer le texte…
Quand l’art exalte un souverain divinisé
Les scènes de présentations, qui montrent la présentation par une déité d’un fidèle à une divinité majeure, s’accompagnent désormais de longues inscriptions… Parfois, l’art exalte un souverain divinisé…
La royauté conférée par les dieux
Dans une scène de présentation, une grande déesse mène un orant, faisant le geste codifié de la prière, auprès d’un personnage paré du serre-tête royal sur son trône. La scène se déroule sous l’égide des symboles du dieu Lune (Nanna-Sîn) et du dieu Soleil (Shamash)…

Le souverain semble montrer un objet cultuel ou sacré devant ses visiteurs (une sphère ?), dont l’axe se trouve juste dessous les deux emblèmes célestes. Dans la mythologie mésopotamienne, la royauté descend du Ciel, conférée par les dieux…
MYTHOLOGIE, LÉGENDES, LISTES ROYALES…
Les documents littéraires mésopotamiens sont gravés sur des tablettes d’argile en écriture cunéiforme. Le sumérien devient la langue des lettrés et des érudits à l’époque d’Agadé, mais on écrit aussi en akkadien. Beaucoup de textes sumériens sont connus grâce à des copies du IIe millénaire avjc, au début de l’époque babylonienne…

Gilgamesh, un roi devenu mythique
Comme les listes des noms des divinités, les plus anciennes versions sumériennes de l’Épopée de Gilgamesh remontent à 2500 avjc environ, à l’époque des Dynastie Archaïques.
Cette première œuvre littéraire de l’histoire de l’humanité, attribuée à un certain Sînleqe’unnennî, comporte près de 3000 vers.. La version la plus complète connue à ce jour comprend onze tablettes.
L’Épopée de Gilgamesh, roi d’Uruk devenu mythique
Ces tablettes d’argile sont découvertes au XIXe siècle dans la vaste bibliothèque du roi assyrien Assurbanipal, à Ninive, en Irak actuel. S’y ajoute, quelques siècles plus tard, une douzième tablette dont l’épisode supplémentaire évoque Enkidu, ami et compagnon de Gilgamesh, qui s’aventure aux Enfers où il reste prisonnier…

L’Épopée de Gilgamesh raconte l’histoire d’un roi d’Uruk devenu légendaire. Il aurait régné vers 2600 avjc sur la cité d’Uruk … C’est au IIe millénaire avjc (XVIIIe – XVIIe siècles avjc) que les éléments de ce texte épique sont rassemblés en un unique récit, rédigé en akkadien…
Mais la version la plus complète des aventures mythiques de Gilgamesh remonte au VIIe siècle avjc, retrouvée parmi les vestiges de la bibliothèque de Ninive du roi assyrien Assurbanipal…
Les aventures héroïques de Gilgamesh et Enkidu
Les dieux envoient Enkidu, créature sauvage et brutale pour défier Gilgamesh… Mais les deux protagonistes deviennent des amis proches et solidaires qui partagent les mêmes aventures et les mêmes combats…

Ils affrontent ensemble Humbaba, le monstre-gardien de la Forêt des Cèdres et tuent le Taureau Céleste envoyé par Ishtar, furieuse que le roi d’Uruk refuse de l’épouser et repousse ses avances…
Gilgamesh en quête de l’immortalité
Après la mort de son ami Enkidu, Gilgamesh rencontre Ut-Napishtim, survivant du Déluge, devenu immortel. Le sage lui confie le secret de la plante de jouvence que Gilgamesh va chercher au fond de l’océan…
Mais Gilgamesh se fait dérober la plante de jouvence par le serpent qui, dorénavant, mue. Le récit du Déluge se retrouve dans la Genèse biblique. Finalement, l’acceptation de sa condition humaine symbolise la sagesse de Gilgamesh.

Voir aussi l’article L’Orient ancien. Une mosaïque culturelle et artistique, littéraire et mythologique
La légende d’Etana, roi de Kish
La légende d’Etana nous est parvenu de manière incomplète grâce à des fragments de tablettes gravées qui remontent au IIe millénaire avjc (Suse, Tell Harmal, Ninive, Assur)…
La royauté descend du Ciel… à Kish
Il est question du roi de Kish, Etana, mentionné dans la Liste Royale Sumérienne. Après la colère des dieux et l’épisode du Déluge, c’est à Kish que la royauté descend une nouvelle fois du Ciel…

Etana, « le berger monté au ciel »
La mythologie mésopotamienne raconte comment plusieurs rois se succèdent, chacun durant plusieurs siècles, parmi lesquels Etana. Ce souverain est présenté comme Le berger (ou pasteur), qui est monté au ciel et qui mit de l’ordre dans tous les pays.
Malgré sa légendaire péripétie céleste et infructueuse pour obtenir un héritier, selon la Liste Royale Sumérienne, Etana a finalement un fils et un successeur… Selon le récit mythique, Etana règne 1500 ans…
La fabuleuse longévité des premiers souverains
Les extraordinaires règnes des premiers rois sumériens à l’époque des temps anciens correspondent probablement à une formulation poétique, symbolique ou mythologique des faits…

On retrouve cette longévité mythique de plusieurs siècles dans la Genèse : par exemple pour Noé ou Melchisédech, roi de justice et roi de Salem (Jérusalem), prêtre du Dieu Très-Haut. Ces personnages bibliques vivent plusieurs centaines d’années…
Selon la Genèse, Melchisédech bénit Abraham : Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut … Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains… Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris…
La liste des Rois du pays du Sumer
La Liste Royale sumérienne énumère les dynasties et les noms des Rois du pays du Sumer, depuis les temps anciens de Kish, quand la royauté est descendue du Ciel, jusqu’au règne du roi d’Isin Sin-Magir (ou Sîn-Magir, vers 1828-1817 avjc).
Si le règne d’Etana n’est pas à ce jour attesté par l’archéologie, son nom apparaît plus tard sur des sceaux-cylindres. Certains spécialistes considèrent Etana comme le premier roi fondateur de Kish…

La légende d’Etana nous est connue aujourd’hui grâce à trois versions en trois langues… Selon la tradition mythique mésopotamienne, la royauté est d’origine divine et céleste…
En ce temps-là… nulle part, les trônes n’avaient été créés… or Ishtar désirait un pasteur (pour les êtres humains) et elle cherchait un roi (pour le pays)… Alors la royauté descendit du ciel…
Quand le flot a balayé la Terre…
Le prisme de Weld-Blundell, conservé au Ashmolean Museum of Art and Archeology of Oxford, serait à ce jour la copie la plus complète de la liste royale sumérienne.
Ce document écrit par un scribe anonyme de la cité de Larsa, en Babylonie vers 1800 avjc, énumère des rois à partir des dynasties antédiluviennes jusqu’à Suen-magi, le quatorzième roi de la dynastie Isin (vers 1763-1753 avjc). Ce monument de terre cuite est couvert d’écriture cunéiforme sur ses quatre côtés, répartie en deux colonnes.
À l’origine, un bâton de bois inséré dans la perforation centrale du prisme permet de le faire tourner et de lire le texte sur les quatre côtés. Selon la Liste Royale Sumérienne, Kish règne sur le pays de Sumer après le Déluge. Le récit raconte comment le flot a balayé la Terre…

Le roi de Kish veut un fils
Le récit mythique d’Etana trouve peut-être sa source dans une ancestrale légende sumérienne… Une version de Suse, gravée dans l’argile, qui remonte au début du IIe millénaire avjc, raconte cette histoire (musée du Louvre, Paris) … Le roi de Kish, désespéré de ne pas avoir d’héritier, fait appel aux dieux et s’envole vers les Cieux sur un aigle…
L’histoire de l’aigle et du serpent…
Le récit légendaire d’Etana commence par raconter l’amitié jurée entre l’aigle et le serpent… Jusqu’au jour où l’aigle dévore les petits du serpent… Le serpent ouvre la bouche et dit à l’aigle :
« Viens, et devant Shamash, prêtons serment d’alliance… Lorsqu’ils eurent, par le monde inférieur, juré devant Shamash, lorsqu’ils eurent gravi la montagne, ensemble ils conçurent, ensemble ils enfantèrent…

« … À l’ombre d’un peuplier, le serpent mit bas, tandis qu’au-dessus de lui l’aigle enfantait… Lorsque les petits de l’aigle eurent grandi et que, devenus grands, ils eurent des ailes, l’aigle, en son cœur engendra de mauvaises pensées… il décida de manger les petits de son ami… » L’aigle est condamné par les dieux à périr au fond d’un trou…
L’ascension d’Etana pour obtenir la plante d’enfantement
Shamash, dieu Soleil, écoute le roi Etana qui a demandé audience pour avoir un fils. Le dieu solaire et de Justice l’envoie auprès de l’aigle en difficulté… Le roi de Kish sauve l’aigle de son trou en échange de son aide pour se procurer la plante céleste d’enfantement.
L’aigle s’envole et emporte Etana vers le monde des Cieux où se trouve la plante d’enfantement… Mais Etana chute et retombe sur Terre avant d’atteindre son but, tel un être humain incapable de s’élever jusqu’en haut du Ciel…

Enki et Ninhursag
Le dieu Enki-Ea (akkadien), est la divinité sumérienne de l’Eau douce, de la sagesse et de l’intelligence. Sa parèdre sumérienne, Ninhursag, déesse-mère, est aussi la déesse de la Terre. Avec Anu, dieu du Ciel, et Enlil, Seigneur des vents, Enki forme une triade mésopotamienne ancestrale qui préside aux Cieux, à l’Atmosphère et à la Terre.
La cité d’Ur reprend la suprématie
Ur-Nammu, fonde la Troisième Dynastie d’Ur vers 2100 avjc
L’époque néo-sumérienne connaît son apogée sous le règne de Gudea, vers 2130 – 2100 avjc. Parmi les successeurs de Gudea, le roi d’Ur, Ur-Nammu, fonde la Troisième Dynastie d’Ur vers 2100 avjc…
Au cours des XXI et XXe siècles avjc (vers 2100-2000 avjc), l’influence de ce nouvel empire va s’étendre sur l’ensemble de la Mésopotamie… jusqu’à Suse, sur le plateau iranien. Dans les cités mésopotamiennes, on élève alors les premières ziggurats et de vastes sanctuaires…

Voir aussi les articles La ziggurat mésopotamienne, un édifice sacré qui s’élance vers le Ciel et Les artistes sumériens exaltent la dévotion des souverains
Le cérémoniel de la première brique
En Mésopotamie, on rencontre déjà le cérémoniel de la première brique sur un relief votif d’Ur-Nanshe, à l’époque des dynasties archaïques. Cette tradition du roi bâtisseur se perpétue sous le règne de Gudea, quand le souverain apparaît sur un clou de fondation avec une corbeille sur la tête, comme pour Ur-Nanshe… On définit l’orientation du sanctuaire et l’on pose la première pierre…

Sous la Troisième Dynastie d’Ur, le souverain Ur-Nammu rebâtit les grands temples sumériens d’Ur et d’Uruk, mais aussi d’Eridu et de Nippur. On élève alors les premières ziggurats et l’architecture mésopotamienne prend de la hauteur… Les artistes perpétuent la tradition iconographique et artistique sumérienne qui exalte le roi bâtisseur, illustre des scènes d’offrandes et de présentation aux dieux…
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Une aventure ? L’épopée de Gilgamesh (Mésopotamie) : des tablettes du XIIIe siècle avjc racontent l’épopée de Gilgamesh en quête d’immortalité, un roi qui aurait régné vers 2600 avjc sur la cité d’Uruk (ou Ourouk )… Un livre ? L’Histoire commence à Sumer, de Samuel Noah Kramer (1956).
L’épopée de Gilgamesh : voir aussi l’article L’Orient ancien. Une mosaïque culturelle et artistique, littéraire et mythologique

Antiquités orientales : Le Metropolitan Museum of Art au Louvre : THE MET AU LOUVRE – THE MET NEAR EASTERN ANTIQUITIES IN DIALOGUE (29 février 2024 – 28 Septembre 2025). PDF : api-www.louvre.fr/sites/default/files/2024-04/MET-Mobile-EN.pdf
