Le fabuleux destin d’Élisabeth Vigée Le Brun…
Histoire de l’Art… L’art du selfie au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle apjc : une rencontre imaginaire en compagnie d’Élisabeth Vigée Le Brun (1755- 1842). Confidences sur la vie et l’œuvre de cette grande artiste et portraitiste française, célèbre en son temps dans toutes les cours d’Europe. Interview imaginaire première partie)…
Qui êtes-vous Louise-Élisabeth Vigée Le Brun?
– L’art du selfie au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle, première partie
Vie d’Artiste : Qui êtes-vous Élisabeth Vigée Le Brun ? (part II)
– Le fabuleux destin d’Élisabeth Vigée Le Brun, deuxième partie
Par Maryse Marsailly @blogostelle
– Dernière mise à jour janvier 2019 –
Dédicace spéciale : à Vivianne A. le 17 mars 2016, fan de l’artiste…

Portrait d’une portraitiste
Qui êtes-vous Élisabeth Louise Vigée Le Brun, née Louise Élisabeth Vigée (1755 1842) ?
Je suis née la même année que la reine de France, Marie-Antoinette, en 1755… C’était peut-être un signe, puisque je suis devenue le peintre officiel de la reine et sa fidèle amie… J’ai grandi à Paris où j’aimais me promener du côté du quartier du Louvre…
Ma mère, née Jeanne Maissin (1728-1800), était coiffeuse… Mon père, Louis Vigée (1715-1767), peintre et membre de l’académie de Saint-Luc, descendait d’une lignée de sculpteurs. Mes œuvres, en particulier mes portraits à l’huile et au pastel, ont séduit les aristocrates de mon temps qui en appréciaient la grâce…
D’après le visage de Marie-Antoinette, détail du portrait dit à la Rose, 1783 ; et un autoportrait avec palette et pinceaux, détail, vers 1791 ; Élisabeth Louise Vigée Le Brun. (Marsailly/Blogostelle)
Femme de la France du XVIIIe siècle, comment avez-vous vécu les tournants de l’Histoire?
Au moment de la Révolution Française j’ai dû m’expatrier… Cela a duré dix ans avant que je puisse revenir en France, en 1802. Mais le goût du voyage m’a poussée à continuer à me rendre à l’étranger… En 1810, j’ai choisi de cesser presque toute activité pour me consacrer à la peinture de paysage et à la rédaction de mes mémoires… J’avais beaucoup de souvenirs…
Comment avez-vous découvert votre vocation de peintre ?
Mon père animait une école d’apprentis à la maison, rue du Coq-Héron à Paris. Je réussi à m’y incruster au milieu des garçons… Après avoir vu l’un de mes dessins, mon père me dit Tu es né peintre mon enfant ou il n’en sera jamais… J’étais drôlement fière croyez-moi ! (l’artiste sourit…)
Mon père fut donc mon premier professeur… Malheureusement, je me suis retrouvée orpheline à 12 ans et ma mère se remaria avec un homme que je n’appréciais guère… Mais grâce à elle, je découvris les magnifiques collections du Palais du Luxembourg et du Palais Royal…

Vous avez admiré des toiles de maîtres…?
J’ai pu méditer sur les tableaux de grands maîtres de la Renaissance, comme Sandro Botticelli et Léonard de Vinci, mais aussi sur des chefs-d’œuvre du XVIIe siècle, de Rembrandt (1606-1669) à Jean-Antoine Watteau (1684-1721)…
Par ailleurs encore, j’ai pu m’attarder sur les toiles des artistes talentueux de mon temps, comme Louis-Michel Van Loo (1707-1771), célèbre pour son portrait de Diderot, ou François Boucher (1703-1770)…
… et bien sûr, n’oublions pas Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), mon contemporain, que j’admire particulièrement, et qui fut l’un de mes soutiens… et mon ami le peintre Hubert Robert, un proche d’Augustin Pajou qui, plus tard, m’a pris pour modèle pour l’un de ses bustes…
D’après un autoportrait au Chapeau de Paille, 1781-1782 ; un portrait de Claude Joseph Vernet, 1778 ; et le buste d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun, par le sculpteur Augustin Pajou, terre cuite, 1783, (Marsailly/Blogostelle)
Pour une femme, cela n’était pas facile à l’époque de devenir artiste peintre… comment avez-vous fait ?
Comme toutes les filles en ce temps-là, je n’avais pas accès aux académies de dessin, où les garçons avaient la chance d’étudier l’anatomie d’après des modèles nus… Moi, j’ai dû me contenter d’observer l’anatomie d’après des plâtres et des gravures, ce qui ne m’a jamais vraiment satisfaite…
Heureusement, en 1769, j’ai réussi à rejoindre l’atelier du peintre Gabriel Briard, ancien élève de Van Loo, un artiste loué à l’époque pour son grand talent pour le dessin… C’est là que j’ai fait la connaissance de Claude Joseph Vernet (1714-1789), dessinateur et graveur.
Vernet m’a conseillée alors d’étudier les grands maîtres de Flandre et d’Italie, et insistait aussi pour que j’observe la nature avec attention… J’ai réalisé beaucoup de copies d’après les toiles de ce maître du paysage, célèbre pour ses marines et ses vues des grands ports de France… Mon intérêt pour la peinture de paysage a mûri au fil du temps…
D’après Les Cascatelles de Tivoli, paysage avec Élisabeth, sa fille Julie et une amie, 1790 ; et La Fête des Bergers à Unspunnen, 1808-1809, Élisabeth Louise Vigée Le Brun. (Marsailly/Blogostelle)
Vous aviez déjà une prédilection pour le portrait…?
À 16 ans, j’étais en quête de mon propre style… J’ai eu l’idée de m’essayer en peignant les portraits de mes proches. Ainsi, j’ai peint mon jeune frère Louis Jean-Baptiste Étienne, à l’époque où il fréquentait le collège.
Puis ce fut le tour de mon beau-père, Jacques François Le Sèvre, que j’ai peint en robe de chambre – (rire) hé oui! ce n’était pas un portrait de Diderot comme certains l’on crut… – J’ai aussi réalisé un portrait de ma mère… Mon beau-père, artisan joaillier, décide alors d’exposer mes œuvres dans sa boutique du Palais Royal…
D’après un portrait de Louis Jean-Baptiste Étienne Vigée, frère de l’artiste, 1773, Élisabeth Louise Vigée Le Brun ; un autoportrait de Jean-Baptiste Pierre Le Brun (1748-1813), époux d’Élisabeth Louise, 1795 ; et un portrait de Jacques François Le Sèvre, beau-père de l’artiste, 1772 . (Marsailly/Blogostelle)
L’exposition du portrait de votre mère vous a porté chance…
Oui, j’aime la douceur et je peins, je crois, des portraits empreints de toute ma sensibilité… Il semble que cela ait beaucoup plu aux grandes personnalités de mon époque… Toutes ces gens aspiraient à se faire représenter sous leur meilleur jour…
Parmi les personnes influentes qui ont vu mon travail, j’ai eu la chance d’être remarquée par Louise Marie Adélaïde de Bourbon-Penthièvre, duchesse de Chartres, puis duchesse d’Orléans, et mère du futur roi Louis Philippe.
À partir de ce moment, les commandes ont afflué provenant de toute l’aristocratie parisienne. En 1770, j’ai fait mon entrée dans le monde, puis j’ai commencé à songer à Versailles…
D’après un portrait de Madame Le Sèvre, née Jeanne Maissin, mère de l’artiste, 1773 ; et Madame du Barry, Jeanne Bécu de Cantigny, 1781, Élisabeth Louise Vigée Le Brun. (Marsailly/Blogostelle)
Que pensiez-vous du mariage?
Je me suis mariée avec Jean-Baptiste Pierre Le Brun en 1776, motivée davantage par la raison que par l’amour… Jeune femme artiste peintre du XVIIIe siècle, je commençais ma carrière et je n’avais ni les moyens ni la notoriété pour me permettre de vivre seule…
J’ai rencontré Jean-Baptiste Pierre Le Brun, peintre et marchand d’art, dans l’immeuble où vivait ma famille, rue de Cléry, non loin du Louvre… Et croyiez-le ou pas, mon époux affirmait être le descendant de Charles Le Brun, premier peintre de Louis XIV! (rire de l’artiste).
Cela dit, mon mari était un marchand d’art ambitieux… et reconnu sur la place de Paris. Il conseillait tout de même le comte d’Artois, frère de Louis XVI, et le duc d’Orléans, qui souhaitaient s’offrir une collection d’art digne de ce nom.

L’artiste précise… Mariée, j’ai voulu conserver mon nom de jeune fille et d’artiste peintre, d’où mon nouveau patronyme de Madame Vigée Le Brun. Je ne regrette rien, mon mari Jean-Baptiste Pierre Le Brun fut toujours un ami fidèle et un allié…
Vous avez donné naissance à une fille, Jeanne Lucie Julie…
L’un de mes plus grands bonheurs fut la naissance de ma fille Jeanne Lucie Julie, en 1780. J’ai immortalisé cet amour maternel dans un tableau en 1795… Pourquoi Jeanne Lucie Julie? Parce que sous l’Ancien Régime, il était bienséant de donner trois prénoms à ses enfants…
Si Jeanne et Lucie rendaient hommage à la famille, le prénom de Julie m’a sans doute été inspiré par Jean-Jacques Rousseau… quand il a publié en 1761 son roman épistolaire Julie ou la Nouvelle Héloïse. Ce prénom fut très en vogue en France dans les années 1780…
D’après l’artiste et sa fille Jeanne Lucie Julie, dite Julie, 1789 ; et l’artiste et sa fille Julie, dit La Tendresse Maternelle, 1786 ; Élisabeth Louise Vigée Le Brun. (Marsailly/Blogostelle)
Votre carrière d‘artiste vous a menée jusqu’à la cour de Versailles… Voulez-vous nous raconter votre rencontre avec la reine de France, Marie-Antoinette?
À partir de 1776, je fus souvent sollicitée par les membres de l’aristocratie européenne qui venaient à Paris… Ma réputation de portraitiste, douée pour saisir les caractères et embellir mes modèles, me précédait…
… Je finis même par être conviée à la cour de Versailles, où j’ai rencontré la reine Marie-Antoinette pour la première fois en 1778… Marie-Antoinette appréciait ma liberté artistique qui se démarquait des lourdeurs du protocole et des emblèmes de la royauté. Je n’ai pas hésité à la faire poser une rose à la main ou encore en chemise, une sorte de déshabillé appelé gaulle…
D’après un portrait de la reine Marie-Antoinette, dit à la Rose, et détail de la Rose ; 1783, Élisabeth Louise Vigée Le Brun. (Marsailly/Blogostelle)
Ce qui m’inspirait le plus, c’était de peindre la grâce et la majesté de la reine… J’ai pu réaliser plus de trente portraits de Marie-Antoinette. J’ai peint aussi la souveraine avec ses enfants, un sujet qui me tenait à cœur… Cette relation fut bien sûr interrompue par la Révolution Française…

Vous entrez finalement à l’Académie royale de peinture et de sculpture…
À l’époque, mon ambition était d’intégrer l’Académie royale de peinture et de sculpture, qui acceptait en ses rangs au plus quatre femmes depuis 1770… Grâce au soutien royal, je pus finalement entrer dans le saint des saints en 1783…
J’avais choisi une peinture allégorique de grand format pour m’y présenter, La Paix ramenant l’Abondance… ce que l’on appelait une peinture d’histoire. Cette toile mettait en lumière et célébrait le retour de la paix entre la France et l’Angleterre.
Grâce à cette composition, j’ai eu la possibilité de montrer la richesse et les références de mon art… un art que je cultivais au-delà des limites et des contraintes du portrait… Cela dit, l’art du portrait m’avait poussée à rechercher une expression puissante dans les regards…

L’académie vous a-t-elle ouvert des portes?
Oui, bien sûr… J’étais fin prête à exposer au Salon qui avait lieu tous les deux ans au Louvre, le 25 août à la Saint Louis. Ce lieu d’exposition était alors le plus prestigieux du royaume pour un artiste.
J’ai composé ensuite deux autres peintures d’histoire, Vénus liant les ailes de l’Amour et Junon venant emprunter la ceinture de Vénus, un thème inspiré d’Homère que j’ai présenté en 1783. Louée par les critiques, j’étais alors à l’apogée de mon art et de ma carrière de peintre…
D’après le thème de Vénus liant les ailes de l’Amour, 1783 ; et Junon empruntant la ceinture de Vénus, 1783, Élisabeth Louise Vigée Le Brun. (Marsailly/Blogostelle)
Comment définissez-vous votre style, votre touche personnelle?
Comme je l’ai écrit dans mes mémoires, Je tachais, autant qu’il m’était possible, de donner aux femmes que je peignais l’attitude et l’expression de leur physionomie ; celles qui n’avaient pas de physionomie, on en voit, je les peignais rêveuses et nonchalamment appuyées… J’aspirais à une expression naturelle de la beauté de mes modèles… Je travaillais le dessin, l’huile et le pastel…

J’étais inspirée par le chatoiement des couleurs vives, qui mettaient en lumière la clarté nacrée des chairs et des visages… La complexité et la richesse des tissus, des chapeaux et des matières, me permettaient de créer un contraste délicat et sophistiqué face à la sobriété de mes mises en scène…
Je me plaisais à peindre des portraits sensibles, simples et dépouillés… sublimés peut-être par une aura douce et poudrée dont j’avais seule le secret… J’étais profondément inspirée par la posture royale et altière, par les attitudes souveraines… J’aimais beaucoup aussi la manière à l’antique, les compositions d’Histoire et je me sentais habitée par la beauté de la nature et des paysages…
D’après La Vertu Irrésolue, vers 1791 ; un dessin d’étude pour la Paix ramenant l’Abondance, 1780 ; et un autoportrait au chapeau à plume, vers 1783, pierre noire ; Élisabeth Louise Vigée Le Brun. (Marsailly/Blogostelle)
Après la luxuriance de l’art rocaille, l’art de mon époque renouait avec le classicisme et avec les thèmes de l’art antique. Je recherchais je crois une forme de sublimation, que je pouvais rehausser par quelques touches inspirées de l’antiquité classique…
J’aspirais à mettre en scène et en lumière mes sujets, comme moi-même dans mes autoportraits… Souvent, je peignais mes modèles féminins les yeux tournés vers le ciel… C’est peut-être bien grâce à la puissance d’un regard que le portrait prend vie… Ou bien je valorisais la filiation maternelle en faisant poser mes clientes auprès de leurs enfants…

Pourquoi avez-vous peint autant d’autoportraits?
Oui, c’est vrai, j’ai peint une dizaine d’autoportraits… Au XXIe siècle vous appelez cela des selfies… (l’artiste sourit). Je crois que j’éprouvais le besoin de m’affirmer en tant qu’artiste, en tant que femme et en tant que mère… J’aimais peindre aussi l’innocence et le charme enchanté de l’enfance…
La tendresse maternelle m’a toujours inspirée, pour mes portraits de famille personnels comme pour ceux de mes modèles féminins… Au cours de mes voyages en Europe, j’ai offert certains de mes autoportraits en guise de remerciement…
D’après un autoportrait au ruban, 1783 ; un autoportrait de l’artiste, vers 1791 ; et un autoportrait et pinceau, vers 1800, Élisabeth Louise Vigée Le Brun. (Marsailly/Blogostelle)
Le selfie, version Élisabeth Louise Vigée Le Brun…
Vous aimiez vous amuser avec vos amis et fréquenter la haute société…
C’est vrai, j’aimais organiser des rencontres et cultiver l’art de la conversation et des jeux d’esprit, en réunissant des personnes diverses de la société. Des artistes, des poètes, des musiciens et des invités de marque, gentilshommes ou financiers…
Je maîtrisais parfaitement bien les codes de l’aristocratie… mais j’aimais aussi transgresser les limites des castes et les règles de la hiérarchie… On s’amusait ensemble, par exemple, en se déguisant à l’antique, on chantait, on déclamait des vers…
J’étais une artiste peintre qui fuyait ni les mondanités ni l’attention des puissants, bourgeois ou aristocrates, car c’étaient là les arcanes de la notoriété. Je crois que j’étais assez pragmatique, finalement… Mais il est vrai que mes relations avec des gens de pouvoir se sont retournées contre moi…
D’après la toile Allégorie de la Poésie, 1774 ; une Bacchante, 1785, Élisabeth Louise Vigée Le Brun ; et Charles Alexandre de Calonne, 1784, Élisabeth Louise Vigée Le Brun. (Marsailly/Blogostelle)
Que s’est-il passé avec Charles Alexandre de Calonne?
Vers 1783-1787, le royaume de France a traversé une grave crise… Le contrôleur général des Finances de Louis XVI, Charles Alexandre de Calonne, dont j’avais fait le portrait, tentait alors de réformer les impôts. Mais son audace révolutionnaire d’imposer tout le monde sans exception avait sérieusement mécontenté les puissants et le clergé…
Charles Alexandre de Calonne finit par perdre le soutien du roi et s’est exilé à Londres. Il a osé publier une lettre adressée au roi de France pour convoquer les états généraux et insistait encore sur la nécessité de sa réforme…
C’est alors que ses détracteurs ont donné en pâture au public une fausse correspondance érotique entre Charles Alexandre de Calonne et moi, calomniant ainsi mon nom et ma réputation… Le peintre David s’en est même amusé, ce que je ne lui ai jamais pardonné…
D’après un portrait du peintre Hubert Robert, ami de l’artiste, 1788 ; un portrait de Louise Marie Adélaïde de Bourbon-Penthièvre, duchesse d’Orléans, 1789 ; et un portrait de la duchesse de Polignac en chapeau de paille, 1782 ; Élisabeth Louise Vigée Le Brun. (Marsailly/Blogostelle)
Comment avez-vous vécu la Révolution Française ?
Je me souviens que je me trouvais à Louveciennes auprès de la comtesse du Barry, dernière maîtresse de Louis XV, quand le canon de la Révolution Française tonna… La bastille fut prise le 14 juillet 1789…
Cette même année, au mois d’août, mes portraits de mon ami Hubert Robert, de la duchesse de Chartres, épouse du duc d’Orléans, et d’autres encore connurent le succès au Salon du Louvre… Mais je sentais bien, autour de moi, que l’on me considérait maintenant comme une femme attachée à l’ancien régime, à la vie de cour et à ses valeurs…
Découvrir aussi L’art au XVIIIe siècle…
La suite : Vie d’Artiste : Qui êtes-vous Élisabeth Vigée Le Brun ? (part II)