Arts de l’Inde : le talent précurseur des sculpteurs de Mathurâ

D'après une gracieuse jeune femme et sa servante, dynastie Kushana, image de une. (Marsailly/Blogostelle)

Des créations inédites sous la dynastie Kushâna

À la fin du Ier siècle apjc, l’empereur Kanishka de la dynastie Kushâna règne sur l’Inde du Nord… Kanishka est sacré vers 78 ou 120 apjc. Entre la fin du Ier siècle apjc et le IIIe siècle apjc, l’art de l’école de Mathurâ, en Uttar Pradesh, se distingue par ses sculptures en grès rose ou rouge… Les œuvres sculptées de cette période forment les prémices de l’époque classique en Inde, dont le point culminant sera l’art Gupta…

Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour janvier 2018 –

D'après une sculpture du Roi Nâgâ, école de Mathurâ, époque Kushâna, IIe siècle apjc, Inde ancienne du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après une sculpture du Roi Nâgâ, école de Mathurâ, époque Kushâna, IIe siècle apjc, Inde ancienne du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Les nâgas-serpents, créatures aquatiques de la fertilité, relèvent d’une mythologie ancestrale… À l’époque védique, le Roi Nâgâ s’identifie au dieu Varuna…

REPÈRES CHRONOLOGIQUES
Inde du Nord : École de Mathurâ, en Uttar Pradesh –  Dynastie Kushâna (ou Kushan), Ier à IIIe siècle apjc – Empereur Kanishka Ier – début IIe siècle apjc – Inde du Sud : École d’Amarâvatî, en Andhra Pradesh dans le Dekkan – Dynastie Sâtavâhana Ier siècle apjc – IIe siècle apjc – Dynastie Ikkaku IIIe siècle apjc – Période classique : la dynastie Gupta en Inde du Nord, Madhya Pradesh, vers 320 apjc à fin Ve siècle apjc – Chronologie générale  Les arts de l’Inde Ancienne

L’ART BOUDDHISTE ET HINDOUISTE SOUS LES KUSHÂNA

Au cours des Ier et IIe siècle apjc, en Inde du Nord, les artistes sculptent de nombreuses images des dieux hindous. Ils sont aussi les premiers à oser représenter le Buddha lui-même. Ils multiplient les scènes bouddhiques. Au Sud de l’Inde, dans le Dekkan, on se refuse encore à représenter le Buddha en personne…

D'après l'empereur Kanishka couronné auprès d’un autel, monnaie en or, Ier-IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Inde du Nord.(Marsailly/Blogostelle)
D’après l’empereur Kanishka couronné auprès d’un autel, monnaie en or, Ier-IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Inde du Nord.(Marsailly/Blogostelle)

Les Kushâna, une dynastie d’origine nomade
Aux environs de l’ère chrétienne, l’Inde du Nord initie des évolutions culturelles et artistiques majeures… À cette époque, le commerce florissant entre Rome et l’Asie chemine via la route de la soie et se déploie sur une très vaste étendue géographique…

Au cours du Ier siècle apjc, une partie de l’Inde du Nord se retrouve assujettie à l’empire de la dynastie des Kushâna. Cette lignée d’origine nomade est fondée par Kadphisès et se convertit au bouddhisme…

L’empereur Kanishka règne sur l’Inde du Nord
Ce peuple de nomades vient d’Afghanistan et auparavant de Chine… Originaire d’Asie Centrale, il se déplace vers la Bactriane (actuels Afghanistan, Tadjikistan et Ouzbékistan), avant de rejoindre la région du Gandhâra (actuel Pakistan) en Inde du Nord…

L’empereur le plus célèbre de la dynastie Kushâna (ou Kushan) se nomme Kanishka. Il règne sur l’Inde du Nord entre la fin du Ier siècle apjc et le début du IIe siècle apjc. L’empire Kushâna décline au début du IIIe siècle apjc, après les victoires en Inde de la dynastie perse des Sassanides…

D'après Kanishka en costume nomade, auprès d’un autel, monnaie en or, (dieu grec Hélios au revers), dynastie Kushâna, Ier-IIe siècle apjc, Uttar Pradesh, Inde ancienne du Nord.(Marsailly/Blogostelle)
D’après Kanishka en costume nomade, auprès d’un autel, monnaie en or, (dieu grec Hélios au revers), dynastie Kushâna, Ier-IIe siècle apjc, Uttar Pradesh, Inde ancienne du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Une statue officielle de l’empereur Kanishka
Une sculpture endommagée (elle a été décapitée) représente l’empereur Kanishka dans son costume de nomade des steppes… Le souverain porte un grand manteau pardessus sa longue robe.

Kanishka est chaussé de lourdes bottes de feutre, molles, et les plis de ses vêtements sont stylisés. Il arbore une grande épée ornée d’un makara. Le makara, monture du dieu Varuna dans la mythologie védique, renvoie au symbolisme d’une souveraineté suprême…

La raideur de l’attitude du personnage, sa frontalité abrupte et le rendu schématisé de son habit évoquent davantage la rudesse du monde scythe que celui tout en rondeurs des arts de l’Inde…

D'après une statue de l'empereur Kanishka avec son épée, grès rose-rouge, dynastie Kushâna, école de Mathurâ, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après une statue de l’empereur Kanishka avec son épée, grès rose-rouge, dynastie Kushâna, école de Mathurâ, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Le grès rose-rouge de Mathurâ
Kanishka est sculpté en ronde bosse dans le grès rose-rouge de Mathurâ, une pierre très dure, et donc très difficile à travailler. Le rendu dessine une silhouette massive, dont les grands pieds disproportionnés sont traités avec une apparente maladresse… Il se dégage pourtant quelque chose de colossal dans ce personnage sculpté qui rend hommage au célèbre empereur Kushâna…

Les images bouddhiques et hindoues se multiplient…
Vers le Ier siècle apjc, le bouddhisme évolue. Cette philosophie éthique à l’origine devient davantage sujette à la dévotion populaire… Les artistes représentent maintenant le Buddha en personne, le plus souvent la main droite levée en signe de bénédiction. Entre les Ier et les IIIe siècles apjc, la doctrine brahmanique, appelée aussi hindouisme, connaît également une évolution…

D'après un relief de stûpa, le Rêve de Mâya, mère du Buddha, vers II-IIIe siècle apjc, période Kushâna, Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
D’après un relief de stûpa, le Rêve de Mâya, mère du Buddha, vers II-IIIe siècle apjc, période Kushâna, Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)

Cette tradition spirituelle s’impose comme l’héritière et l’aboutissement de l’ancestrale religion védique… Les dieu hindous Vishnu et Çiva passent au premier plan… Les artistes créent de nombreuses images bouddhiques  et hindoues destinées aux temples et aux lieux saints…

La région de Mathurâ et les terres du Gandhâra
La plupart des œuvres sculptées qui représentent des divinités hindoues et des scènes bouddhiques proviennent de la région de Mathurâ en Uttar Pradesh, une région riche en grès rouge…

Au Gandhara, à la même époque, les sculpteurs s’inspirent de l’art grec. De nombreuses sculptures de l’époque Kushâna proviennent aussi des régions du Gandhâra, (actuel Pakistan), qui dans l’Inde ancienne, recouvre le Nord-Ouest de l’Inde, le Nord du Pakistan et l’Est de l’Afghanistan…

D’après une jeune femme au plateau, vers IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, école de Mathurâ, Uttar Pradesh, Inde du Nord ; La Reine Maya et la naissance du Buddha,  relief de stûpa, IIe-IIIe siècle apjc, dynastie Kushâna, style du Gandhara, actuel Pakistan ; et une inscription en grec, Ie- IIe siècle apjc, époque Kushâna, Inde Ancienne. (Marsailly/Blogostelle)

L’art sensuel et précurseur des sculpteurs de Mathurâ
À Mathurâ, les sculpteurs travaillent un grès rose-rouge propre à leur région, ce qui les distinguent. Le rendu des formes évolue de plus en plus vers une expression empreinte de plénitude et de sensualité…

La finesse des traits s’accentue… et l’expression douce des visages annonce déjà les chefs-d’œuvres de la période classique à venir, sous les Gupta… Le Roi-Nâgâ sculpté en haut-relief ou les différentes figures féminines qui ornent les montants des balustrades des stûpas dégagent une grande élégance sensuelle et expriment le dynamisme de la vie…

LE CANON FÉMININ DANS L’ÉCOLE DE MATHURÂ

Les artistes de Mathurâ sculptent de joyeuses et gracieuses jeunes femmes dénudées, parées, et très avenantes. Ces figures à la fois fines et plantureuses semblent charmer le spectateur…

D’après un relief, dit Fleur de Sal, époque Kushana, vers IIe siècle apjc, école de Mathurâ, Uttar Pradesh ; un buste féminin, vers IIe siècle apjc, école de Mathurâ, dynastie Kushâna, Uttar Pradesh ; et une jeune femme au perroquet, vers IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, école de Mathurâ, Uttar Pradesh ; Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

L’art de Mathurâ se nourrit aussi d’influences étrangères
Très tolérant en matière religieuse, Kanishka fait représenter le Buddha en costume monastique au dos de ses monnaies… Et sur diverses pièces gravées en or, en argent ou en cuivre, on rencontre aussi les figurations du dieu hindou Shiva, différentes déités d’origine perse ou mésopotamienne et plusieurs divinités grecques…

L’art de Mathurâ, avant-gardiste dans l’Inde ancienne, semble s’être enrichi d’influences étrangères diverses, notamment hellénistiques, dans le style et la manière de représenter les divinités.  Des inscriptions sur des pièces de monnaie sont en alphabet grec…

D'après Buddha auréolé, monnaie en or de l'empereur Kanishka, Ier -IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après Buddha auréolé, monnaie en or de l’empereur Kanishka, Ier -IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Le dieu grec Hélios et le dieu perse Ahura-Mazdâ
Parmi les pièces de monnaie de l’époque Kushâna, on peut voir un cavalier de style iranien, nommé Mozdoano en grec. Il s’agit probablement du grand dieu perse Ahura-Mazda, lui-même assimilé au dieu grec Zeus, maître de l’Olympe…

Certaines figurines en terre cuite de la même époque pourraient représenter Mithra, un dieu d’origine védique qui devient une divinité majeure en Perse. Mithra, très populaire aussi dans le monde gréco-romain, incarne la Souveraineté suprême et la Justice, dont il est le garant…

D’après Kanishka et Hélios, Kanishka et déité perse (Mozdoano en grec), Ier-IIe siècle apjc, art Kushâna ; et le portrait d’un guerrier asiatique, IIe siècle apjc, époque Kushâna, Mathurâ, Uttar Pradesh ; Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Expression intériorisée et vivacité
Le portrait d’un guerrier asiatique et un bas-relief de cavalier, dont l’attitude du cheval dégage une puissante noblesse, montrent que les artistes de Mathurâ sont en contact avec des influences étrangères…

Inspirés peut-être par des modèles grecs, les artistes expérimentent un rendu assez réaliste et soignent les détails. Pourtant, l’expression calme et intériorisée donnée au visage du guerrier, comme la vivacité exprimée par le cheval, relèvent plutôt d’un style propre à l’art de l’Inde…

D'après un cavalier, bas-relief, Mathurâ, dynastie Kushâna, IIe siècle apjc, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après un cavalier, bas-relief, Mathurâ, dynastie Kushâna, IIe siècle apjc, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Temples et sculptures Kushâna
En dehors d’un temple hindou et d’un temple jaïn, les temples de la région de Mathurâ sont bouddhiques. L’ensemble des sculptures bouddhiques et hindoues qui ont été retrouvées forment l’école de Mathurâ.

Mais ces œuvres présentent un style et une qualité d’exécution inégale… Certaines sculptures en grès rose-rouge dont le style est comparable à celui de l’école de Mathurâ proviennent de régions plus lointaines…

D'après Shiva (çiva) et le taureau Nandi, monnaie en or, Ier-IIIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Inde du Nord.(Marsailly/Blogostelle)
D’après Shiva (çiva) et le taureau Nandi, monnaie en or, Ier-IIIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Inde du Nord.(Marsailly/Blogostelle)

Une divinité mésopotamienne et Shiva l’hindou
Sur une autre pièce encore, l’empereur Kanishka apparaît couronné auprès d’un autel. L’autre face porte l’effigie d’une divinité mésopotamienne, nimbée et coiffée d’un croissant de lune. Une image possible d’Innana-Ishtar, déesse de la fécondité, de la végétation (rameau) et des troupeaux…

… Ou bien une effigie du dieu Lune, Nanna chez les Sumériens, Sîn chez les Akkadiens, qui porterait ici un sceptre et non un rameau. Certaines pièces de monnaies sont aussi ornées à l’effigie de Shiva (Çiva), dont les attributs sont le linga, le trident et le taureau Nandi.

D’après la déesse mésopotamienne Innana, au revers, et l’empereur Kanishka, au verso, monnaie en or, Ie-IIe siècle apjc, période de la dynastie Kushâna, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Deux temples bouddhiques à Sârnâth
Dans l’ensemble de l’empire Kushana, on sculpte une forme de statuaire officielle aux lignes sobres… À côté de l’éffigie de Kanishka lui-même, les artistes de Mathurâ sculptent aussi des statues de hauts dignitaires…

L’empereur Kanishka va étendre son empire jusqu’à Sârnâth, où il fait ériger deux temples bouddhiques, aujourd’hui ruinés. Mais les sculptures de ces temples immortalisent la présence des empereurs Kushâna… Ces rondes-bosses au style simplifié évoquent les empereurs Kushâna, figures puissantes ou raffinées…

D’après le thème du Souverain Universel, pièce de monnaie, Ier siècle apjc, provenant d’un monastère, époque Kushâna, Gandhâra, Pakistan actuel, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le thème du Souverain Universel, pièce de monnaie, Ier siècle apjc, provenant d’un monastère, époque Kushâna, Gandhâra, Pakistan actuel, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Celui qui fait tourner la Roue… 
Chakravartin,
personnage mythique et Souverain Universel, qualifié de Celui qui fait tourner la Roue … Dans la tradition de l’Inde ancienne, on rencontre ce thème sacré dès l’époque védique. On retrouve encore Chakravartin (ou Chakravartî, Çakravartî) dans l’hindouisme et dans le bouddhisme… Il est Celui qui fait tourner la Roue…

L’ÉCOLE DE MATHURÂ : VIE QUOTIDIENNE ET DIVINITÉS HINDOUES

La religion brahmanique et l’hindouisme inspirent et nourrissent les arts de l’Inde ancienne… Si les artistes de l’école de Mathurâ mettent en scène des personnages dans leur vie quotidienne, ils sculptent aussi beaucoup de divinités… Les formes et les visages, doux et tout en rondeur, distinguent un style empreint de naïveté et de spontanéité…

D'après une sculpture de l’école de Mathurâ, une gracieuse jeune femme, sa petite servante et deux personnages masculins, Ier-IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après une sculpture de l’école de Mathurâ, une gracieuse jeune femme, sa petite servante et deux personnages masculins, Ier-IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Les artistes de Mathurâ sculptent aussi des scènes de genre et de la vie quotidienne, comme par exemple des disputes conjugales…

Des images sculptées des dieux hindous
Les sculpteurs de l’école de Mathurâ façonnent des images des dieux hindous en bas-relief, en haut relief et en ronde bosse. La ronde bosse est une sculpture en trois dimensions, comme les statues…

On peut ainsi rencontrer les dieux Vishnu et Çiva, qui composent une trinité suprême avec Brâhma. Les artistes sculptent aussi des images de Sûrya, dieu Soleil, ou représentent encore l’ancestral dieu védique du Feu, Agni.

La silhouette et les lignes de ces sculptures sont en général assez massives, avec un rendu général parfois marqué de quelques maladresses… On retrouve aussi la déesse Fortune Lakshmî ou la divinité bouddhique et hindouiste des richesses Kubera.

D’après le dieu védique du Feu, Agni, école de Mathurâ, Ier-IIe siécle apjc, Uttar Pradesh ; et Lakshmî, déesse Abondance et Fortune, haut relief, école de Mathurâ, Ier-IIe siécle apjc, Uttar Pradesh, D’après Agni, école de Mathurâ, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

D’après le dieu Soleil Sûrya, école de Mathurâ, Ier- IIe siècle apjc, dynastie Kushâna ; et le dieu de la Richesse, Kubera, école de Mathurâ, IIe siècle apjc, époque Kushâna ; Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Dans le Bouddhisme, Kubera, nommé aussi Jâmbhala, est la divinité des Richesses. Dans l’Hindouisme, dieu des Richesses et Gardien du Nord, il fait partie des Dikpâla, les huit gardiens de l’Espace.

Une évolution spirituelle dans l’hindouisme
Les sculptures hindoues de l’époque Kushâna témoignent de l’aboutissement d’une religion déjà très ancienne… Le brahmanisme et l’hindouisme découlent de l’ancestrale religion védique, le védisme, et parachèvent une évolution spirituelle qui s’est enrichie au cours du temps…

Vishnu et Shiva détrônent les dieux védiques Indra et Agni
Déjà, dans les derniers textes védiques, l’âme universelle est conçue comme tripartite. Elle est symbolisée par le trio Brâhma – Vishnu – Çiva (Rudra). Dans les dernières Upanishads, on évoque le thème de l’âme universelle concentrée sous le seul nom de Rudra ou Çiva…

Dans l’Hindouisme, Vishnu et Shiva détrônent les dieux védiques de l’Orage et du Feu, Indra et Agni, deux grandes divinités souveraines à l’origine… Ils accompagnent Brâhma… Mais dès la fin de l’époque védique, une évolution déterminante met en lumière les dieux Vishnu et Çiva qui acquièrent une importance inégalée jusqu’alors…

D'après le dieu Shiva (Çiva) auprès d'un autel, doté de sa conque et de son trident, pièce en or, Ier-IIIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le dieu Shiva (Çiva) auprès d’un autel, doté de sa conque et de son trident, pièce en or, Ier-IIIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Vishnu le préservateur et Çiva le destructeur-créateur
Vishnu apparaît comme l’aspect suprême du divin dévoué à la préservation du monde. Shiva (Çiva) se rattache à l’aspect sombre du divin suprême, dévolu à la nécessaire destruction des mondes pour engendrer une ère nouvelle…

Dans les obédiences shivaïtes, Shiva incarne la divinité suprême. Avec le linga de Feu de Shiva, on retrouve l’importance essentielle du Feu, incarné à l’origine par le dieu védique Agni.

Les courants vishnouïte et çivaïte
Le culte de Vishnu est déjà bien implanté au IIe siècle avjc, à l’époque de la dynastie Çunga… Les deux courants principaux de l’hindouisme, vishnouïte et shivaïte, émergent avant l’ère chrétienne.

Mais qu’il soit nommé Vishnu ou Shiva, le dieu suprême correspond en fait à la quintessence divine au plus haut degré. Les divinités hindoues symbolisent les différents aspects de l’âme universelle et de l’essence divine…

D'après le dieu hindou Vishnu, sculpture de l'école de Mathurâ, Ier-IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le dieu hindou Vishnu, sculpture de l’école de Mathurâ, Ier-IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

À sa droite, Vishnu porte une très grande massue et il tient sa conque dans sa main gauche. Le dieu détient aussi la roue appeléele Chakra (ou Çakra).

La massue, la conque et le Chakra De Vishnu
Aux environs du Ier siècle apjc, les images de Vishnu sont encore rares. Parmi les plus anciennes, un bas-relief en grès rouge montre le dieu hindou debout accompagné de ses trois attributs, la massue, la conque et le Chakra (ou Çakra).

Identifiée dans certains mythes à une arme de jet, la Roue de Vishnu symbolise essentiellement le pouvoir du dieu à maintenir et à préserver l’Ordre du Monde… Vishnu incarne l’aspect salvateur du divin mais ne porte pas encore de tiare et à cette époque on le représente tête nue.

Le sanglier, l’un des avatars de Vishnu
Il existe aussi un petit relief sur lequel Vishnu est représenté sous la forme d’un sanglier, l’un de ses avatars. Le dieu à tête de sanglier porte la déesse Terre qu’il vient de sortir des Eaux dans lesquelles elle était submergée depuis longtemps…

Ce type d’image se rattache à la conception hindoue du temps cyclique, quand alternent destruction et nouvelle naissance du monde… Le dieu Shiva est le maître de l’anéantissement du monde, une destruction nécessaire pour permettre l’avènement d’une ère nouvelle… dont l’émergence et la préservation revient à Vishnu…

D’après Vahara à tête de sanglier, avatar de Vishnu, relief sculpté, école de Mathurâ, Ier-IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après Vahara à tête de sanglier, avatar de Vishnu, relief sculpté, école de Mathurâ, Ier-IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Vishnu Vahara porte la déesse Terre qu’il a sorti des Eaux, le grand dieu salvateur préserve le Monde…

LE DIEU SHIVA (ÇIVA) ÉMANE DU LINGA DE FEU…

Dès l’époque Kushâna, on rencontre des images Shiva en assez grand nombre… Ces représentations sculptées par les artistes de l’école de Mathurâ sont variées. Le plus souvent, le dieu est accompagné du linga, symbole de sa puissante énergie spirituelle… Un thème que l’on retrouve plus tard à l’époque médiévale…

D'après Shiva devant le Linga, école de Mathurâ, Ier- IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après Shiva devant le Linga, école de Mathurâ, Ier- IIe siècle apjc, dynastie Kushâna, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

La puissance vitale du dieu Shiva
Le mot sanscrit linga renvoie à la fois à phallus et à symbole… Son sens profond évoque l’incommensurable énergie et la puissante force vitale du dieu Shiva (ou Çiva). Ce symbole, sublimé, s’exprime aussi dans le visage du dieu, unique, ou sous la forme de quatre visages, dont l’un représente alors l’aspect destructeur et redoutable de cette grande divinité.

On concrétise le Linga, symbole de puissance divine virile, par une pierre dressée… Cet attribut dont le nom renvoie à signe ou symbole distinctif en sanskrit se rattache au seul dieu Shiva. On rencontre le Linga dans les sanctuaires shivaïtes (ou çivaïtes)et dans les lieux du culte domestique dans les maisons.

D’après le Linga, symbole de Shiva (Çiva), dynastie Kushâna, Ier- IIIe siècle apjc, école de Mathurâ, Uttar Pradesh, Inde du Nord ; et Shiva émanant du Linga de Feu, XIIe -XIIIe siècle, période Chola, XIIe-XIIIe siècle, Tamil Nadu, Inde médiévale du Sud. (Marsailly/Blogostelle)

Le Linga, symbolise la grande puissance spirituelle du dieu Shiva, qui incarne dans l’Hindouisme l’une des formes les plus élevées de la divinité, au côté de Vishnu et de Brâhma… Ils forment ensemble une trinité : la Trimurti…

Shiva, un dieu aux multiples facettes…
Coiffé et vêtu avec l’élégance d’un prince, Shiva porte une grande écharpe et semble émaner du linga. Il lève sa main droite dans un geste de paix ou de bénédiction. Hormis le dieu soleil Sûrya, on va retrouver ce geste de paix ou de bénédiction sur la plupart des images des divinités hindoues ou sur les représentations du Buddha.

Si aux Ier et IIe siècles apjc, les codes iconographiques de Shiva ne sont pas encore complètement fixés, l’ambivalence du dieu apparaît déjà clairement sur les représentations de Shiva à quatre têtes, un symbole de suprématie.

Selon un mythe du Sud de l’Inde, Shiva coupe la cinquième tête de Brâhma et se doit d’expier ce crime en devenant moine mendiant nu, un bhikshu… Les artistes évoquent aussi les diverses facettes du dieu : spirituelle, associée à la puissance créatrice du Linga, terrifiante, ascétique, androgyne…

D'après Shiva androgyne, Ier- IIe siècle apjc, période Kushâna, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après Shiva androgyne, Ier- IIe siècle apjc, période Kushâna, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Le Linga et la Yoni
Le Linga qui signifie symbole, phallus, incarne la Force Vitale du dieu Çiva. Les images de ce symbole de la divinité suprême sont traitées de manière assez naturaliste ou bien les représentations sont sublimées dans un élan stylisé plus complexe…

On associe le Linga à la Yoni, symbole de l’organe sexuel féminin et de l’énergie féminine divine. Le Linga et la Yoni se rattachent au couple formé par Çiva et son épouse et Çakti (ou Shakti), Pârvatî.

Cette association symbolique de principes complémentaires renvoie également à la forme androgyne du dieu Shiva sous le nom de Ardhanârî, qui signifie à demi féminin. Selon les doctrines sacrées de l’Inde, la Shakti ou Çakti personnifie l’énergie créatrice du dieu. Souvent la Yoni forme la base des représentations sculptées du Linga. Les principes masculin et féminin apparaissent comme complémentaires et inséparables.

D'après le Taureau Nandi de Shiva et les symboles masculin et féminin du Linga et de la Yoni, culte de Shiva, tradition hindoue. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le Taureau Nandi de Shiva et les symboles masculin et féminin du Linga et de la Yoni, culte de Shiva, tradition hindoue. (Marsailly/Blogostelle)

Le Linga et la Yoni réunis symbolisent et suggèrent la totalité de toutes les formes d’existence…

Quand Shiva apparaît comme la divinité suprême
Dès la fin de l’époque védique, le dieu Shiva est conçu dans la doctrine hindoue comme l’une des formes de l’âme universelle ou comme l’âme universelle elle-même.

Dans l’hindouisme, Shiva appartient à la Trimurti, la trinité divine suprême formée par Brâhma , Vishnu et Shiva. Dans l’obédience shivaïte il est le divin même comme peut l’être Vishnu pour les vishnouïtes…

Au cours du temps, Shiva va prendre différentes formes selon ses divers aspects : androgyne, à demi féminin ou dansant, maître de la connaissance ou du yoga ou encore associé au mythe de l’origine du Linga, une mythologie spécifique au Sud-Est de l’Inde…

D’après Shiva sous sa forme Terrible, Bhairava, XIIIe siècle apjc, époque Hoysala, Karnataka, Inde médiévale du Sud ; et Shiva Maître de la Connaissance, XIIe-XIIIe siècle, Tamil Nadu, Inde médiévale du Sud. (Marsailly/Blogostelle)

Le mythe d’origine du Linga
Le mythe du Linga Purana raconte comment Brâhma et Vishnu se présentent chacun comme le créateur de l’univers et se disputent… Surgit alors un incommensurable Linga de feu, une colonne de Feu sans début ni milieu ni fin…

… Sous la forme d’un sanglier, Vishnu cherche à atteindre la base du Linga, alors que Brâhma, sous la forme d’un cygne, tente d’en atteindre le sommet. Finalement, Vishnu et Brâhma s’inclinent devant le Linga et glorifient l’immense pilier de feu… d’où surgit Shiva (Çiva). Vibre alors le son sacré Aum

… Shiva explique à Brâhma et à Vishnu que tous deux sont nés de lui-même… Le Linga, assimilé à Shiva en personne, fait l’objet d’un culte. On le sculpte dans la pierre, dans le bois ou encore on le représente en métal ou sur des peintures…

D’après une scène de culte du Linga, Bhairavi (sanskrit Celle de Bhaivara), manuscrit, école Moghole, peut-être du XVIIIe siècle apjc ; et Shiva qui émerge du Linga, temple Airavatesvara, XIe -XIIe siècle, époque Chola, Dharasuram, Inde médiévale du Sud. (Marsailly/Blogostelle)

On dépose des fleurs sur le Linga et on dépose des offrandes à son pied… Sur une peinture d’un manuscrit, on assiste à une scène du culte du Linga, autour de qui on a déposé une lampe, un brûle-encens et un récipient. On lui apporte des fleurs en guise d’offrandes…

LES DIVINITÉS SKANDA, AGNI, SÛRYA, LAKSHMÎ… ET LES ANCESTRALES YAKSHÎS

À l’époque Kushâna, les artistes réalisent des images sculptées des dieux hindous, traités en général séparément… Dans le panthéon hindou, le dieu Skanda est le fils de Çiva et le chef des armées divines…

Skanda, fils de Shiva et jeune chef des armées divines
Sculpté en haut-relief dans le grès rouge, le dieu Skanda est armé d’une longue lance. Dans sa silhouette comme dans les traits de son visage, on retrouve la touche artistique toute en rondeurs, et une expression un peu naïve… On nomme aussi le chef des armées divines Kârttikeya…

D'après le dieu Skanda chef des armées divines, Kârttikeya, Ier siècle apjc, école de Mathurâ, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le dieu Skanda chef des armées divines, Kârttikeya, Ier siècle apjc, école de Mathurâ, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Agni, grand dieu védique du feu sacrificiel
D’autres sculptures représentent le dieu Indra divinité védique de l’Orage. Il est reconnaissable à son arme particulière, courte et pourvue de six lames, qui symbolise la foudre.

Comme Skanda ou d’autres divinités hindoues, Indra porte sa main droite levée dans un geste de paix ou de bénédiction. Quant au dieu Agni, maître du Feu sacrificiel, il incarne encore un haut degré de spiritualité. Entouré de flammes, il porte un chignon d’ascète et tient son vase rituel…

D'après le dieu védique et hindou Agni, porteur du vase rituel, école de Mathurâ, époque Kushâna, Ier siècle- IIIe siècle apjc, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le dieu védique et hindou Agni, porteur du vase rituel, école de Mathurâ, époque Kushâna, Ier siècle- IIIe siècle apjc, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

Sûrya dieu Soleil
Dispensateur de lumière dans la doctrine védique, on retrouve le dieu Soleil Sûrya dans l’hindouisme, mais son culte s’inspire de celui du dieu perse solaire Mithra ou Mitra, une divinité d’origine védique qui prend de l’ampleur en Perse et dont le culte à mystère sera adoptée à l’époque romaine, en particulier chez les militaires…

C’est pourquoi, en général, on représente Sûrya vêtu d’un costume d’étranger… Dans les sculptures hindoues, le dieu Soleil apparaît souvent sur son char à un ou plusieurs chevaux. Sur un haut-relief en grès rouge de l’école de Mathurâ, il est accroupi, entouré par deux chevaux qui évoque son char.

Sûrya maintient la garde de son épée et porte un bouton de lotus. Le rendu des formes arrondies confère au personnage divin de la douceur et une aura presque impersonnelle et intemporelle… C’est un art qui prépare l’avènement de la période classique et la douceur Gupta…

D'après Sûrya, dieu Soleil, dynastie Kushâna, Ier siècle-IIe siècle apjc, école de Mathurâ, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)
D’après Sûrya, dieu Soleil, dynastie Kushâna, Ier siècle-IIe siècle apjc, école de Mathurâ, Uttar Pradesh, Inde du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

On continue d’honorer des déités ancestrales
Comme le dieu védique du Feu Agni, la déesse de l’abondance Lakshmî ou les divinités de la végétation, les Yakshî, Sûrya est adopté par la tradition hindoue qui continue d’honorer des déités ancestrales…

On retrouvera le dieu Soleil au XIIIe siècle apjc dans le sanctuaire qui lui est dédié, à Konarak en Orissa, dans le Sud du pays. En Inde, la vie religieuse évolue dans la continuité… Certains dieux védiques et hindous vont traverser les siècles à côté de la trinité suprême Brâhma-Vishnu-Shiva…

Dans l’hindouisme, Brâhma incarne le principe créateur, Vishnu l’aspect divin salvateur et Shiva l’ambivalence divine, à la fois symbole de destruction et de renaissance, à la fois masculin et féminin, à la fois dieu ascète et puissance terrifiante…

D’après une Yakshî, décor de balustrade de stûpa, école de Mathurâ, dynastie Kushâna, vers Ier siècle apjc ; et la déesse Hâritî de la fécondité, protectrice des enfants, vers Ier-IIIe siècle, période Kushâna ; Inde  du Nord. (Marsailly/Blogostelle)

L’école d’Amarâvatî rayonne dans le Sud
À la même époque, dans le Dekkan (ou Deccan), au Sud de l’Inde, l’école d’Amarâvatî rayonne en Andhra Pradesh. Les sculpteurs excellent à travailler le marbre blanc… Ce style atteint son apogée à la fin du IIe siècle apjc, sous la dynastie Sâtavâhana, qui laisse place au début du IIIe siècle apjc à la dynastie Ikkahu.

De Mathurâ dans le Nord, où l’on ose enfin représenter le Buddha en personne, à Amarâvatî dans le Sud… sans oublier la région du Gandharâ (actuel Pakistan)…, l’art bouddhique va connaître un essor inédit…

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Publié par Maryse Marsailly

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