Des sanctuaires et des sacrifices aux dieux
Les sanctuaires celtes de l’âge du Fer présupposent une organisation de la vie religieuse et cultuelle. Ce sont les druides qui officient au bon déroulement des rituels, des activités sacrificielles et des cérémonies. Mentionnés par les auteurs grecs et latins de l’Antiquité, ces prêtres gaulois sont présentés comme des savants, des philosophes, des poètes et des instructeurs…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Nouvelle version mai 2018 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES
L’âge de fer, 750 avjc à 52 avjc. La civilisation de La Tène, 450 à 52 avjc. Conquête de la Gaule par César, 52 avjc. Chronologie les arts de l’âge du Fer
DES DRUIDES, DES SANCTUAIRES ET DES GUERRIERS
Au cours des périodes de Hallstatt, au VIIIe siècle avjc, et de la Tène, à partir du Ve siècle avjc, les peuples celtes et gaulois possèdent semble-t-il une culture du sacré très singulière. Ils pratiquent des rituels funéraires, organisent des banquets, placent des dépôts votifs et des offrandes dans les sépultures, les sanctuaires, les rivières ou encore les étangs… Mais le déroulement précis des cérémoniels nous est inconnu…

Palissades, fossés et trophées mannequins distinguent les sanctuaires celtiques de l’âge du Fer…
Le druide, un personnage fondateur en Gaule
Si la littérature irlandaise a conservé des traces de l’univers mythique celtique, les informations parvenues jusqu’à nous sont très partielles. La littérature continentale et insulaire (France, Irlande, Angleterre…) témoigne pourtant de la place essentielle occupée par des personnages à la fois savants et magiciens parmi la population celtique.
En Gaule celtique, conseiller et conciliateur, le druide apparaît comme une figure clé de la communauté dont il garantit l’harmonie et les valeurs morales. Il joue un rôle très important pour créer et maintenir la cohésion sociale…
D’après un trophée et victoire ailée, monnaie grecque de Syracuse, IVe-IIIe siècle avjc ; et des trophées, denier de la République romaine, Ve-Ier siècle avjc, Rome. (Marsailly/Blogostelle)
Des sanctuaires celtiques en Gaule
Dans le nord et l’ouest de la France, des sanctuaires celtiques ont été identifiés et fouillés. Ils remontent au IIIe avjc et restent actifs jusqu’au premier siècle avjc. Jusqu’à la conquête romaine, ces installations cultuelles gauloises, en général proches d’une étendue d’eau, sont construites en bois et sont donc périssables…
Des trophées-mannequins
Les sanctuaires de la Gaule celtique possèdent une enceinte, circulaire à l’origine, puis quadrangulaire, qui abrite le nécessaire aux sacrifices d’animaux. Des armes et des ossuaires sont exposés sous forme de trophées-mannequins.
De plus, de nombreuses armes sont soumises à des destructions rituelles avant d’être jetées dans des fosses qui renferment aussi des restes d’animaux sacrifiés… Par ailleurs, on retrouve le thème des trophées-mannequins dans les pratiques gréco-romaines…

Des pratiques sacrificielles étranges
Parfois, des corps humains sont exhibés après qu’ils ont subi divers traitements : dépeçage, démembrement, réduction… On jette dans les fossés des sanctuaires les restes des animaux immolés et des débris d’armes.
Des crânes humains et de bovidés peuvent également participer à cette mise en scène spectaculaire. Les sanctuaires celtes et gaulois semblent remplir une fonction à la fois religieuse et politique. Ces lieux sacrés sont en effet propices à des rassemblements parfois importants.
À partir du premier siècle avjc, l’espace sacré se déploie au cœur de vastes enceintes où se déroulent des célébrations et des réunions. Plus tard, à l’époque de la Gaule romaine, des sanctuaires gaulois, les fana (singulier fanum), sont reconstruits en pierre.
D’après un sanctuaire celte, Gournay-sur-Aronde, Oise, reconstitution, IVe-Ier siècle avjc, Gaule celtique ; et un bovidé inhumé dans une fosse cultuelle d’un sanctuaire celte. (Marsailly/Blogostelle)
Des fêtes, des banquets et des animaux immolés
Toutes les fêtes celtes s’accompagnent de banquets et de sacrifices d’animaux domestiques. Parmi les fêtes celtiques, l’une d’entre-elles, que l’on célèbre tous les cinq ans, donne lieu à des immolations impressionnantes.
On sacrifie alors des animaux, enfermés dans une construction en bois à laquelle on met le feu… Les archéologues ont mis au jour des restes d’animaux comme des moutons, des porcs et des bovidés, qui parfois sont déposés entiers dans des fosses cultuelles. Voir aussi l’article Objets d’art et sanctuaires celtes.

La cueillette du gui selon Pline l’Ancien
Mais le mystère reste entier concernant les rituels druidiques… En Gaule, seules quelques inscriptions gallo-romaines mentionnent un druide invocateur. Il semble aussi que le druide sacrificateur préside aux rituels sacrificiels.
Pline l’Ancien, auteur latin du Ier siècle apjc, évoque le druidisme. Il mentionne la cueillette du gui, accompagnée du sacrifice de deux taureaux.
Le rituel de la cueillette du gui serait en relation avec l’élection royale. C’est un thème que l’on retrouve en Irlande. Selon le récit de Pline l’Ancien, le cérémonial de la cueillette du gui, celui qui guérit tout en langue celtique, se déroule au cœur de la nature lors de la sixième lune…

Le sayon blanc symbolise la pureté sacerdotale et l’or de la serpe la perfection incorruptible…
Une serpe d’or et deux taureaux blanc immolés
Les druides organisent le rituel de la cueillette du gui dans la forêt, dans une clairière ou bien encore en un lieu considéré comme sacré. Au pied de l’arbre, les druides préparent le sacrifice et le banquet religieux. On amène deux taureaux blancs…
Un druide coupe le gui à l’aide d’une serpe d’or avant de placer sa cueillette dans un sayon blanc (une sorte de drap). Le blanc symbolise la pureté sacerdotale et l’or la perfection, l’incorruptibilité, l’immortalité. Puis les taureaux sont immolés.
Ce rite du gui se rattache aussi sans doute aux vertus médicinales et thérapeutiques des plantes, selon les conceptions de la doctrine druidique. Ce sont les druides qui pratiquent la médecine…

Capture ou mise à mort sacrificielle d’un taureau ?
L’empire romain interdit le druidisme
Après la conquête romaine, le druidisme décline lentement et va finir par disparaître… La Gaule tombe sous l’égide du système politique romain. L’empereur Claude, vers 41-54 apjc, décrète l’interdiction du druidisme.
Cette décision illustre le danger que représente les druides, très influents dans la population gauloise, pour les Romains. En particulier au début de l’empire, les druides jouent probablement un rôle d’instigateur ou de meneur lors des révoltes gauloises qui ont lieu au cours du premier siècle…
À la croisée des hommes et des dieux, gardiens de la tradition orale et de la connaissance, les druides vont disparaître… et emporter avec eux leurs secrets. Mais le personnage du druide continuera longtemps de nourrir l’imagination populaire, ainsi que celle des écrivains et des artistes…

Les mentions terribles des auteurs latins
Si les détails des rituels et des cérémonials restent une énigme, les conceptions spirituelles du druidisme, en particulier tout ce qui renvoie au rythme des saisons, à l’Autre Monde et à la croyance en l’immortalité ont laissé quelques traces…
L’archéologie, à ce jour, n’est pas en mesure d’infirmer ou de confirmer les pratiques évoquées par les auteurs grecs et latins, parmi lesquelles celle du sacrifice humain. Mais ces auteurs ne sont probablement pas complètement objectifs à l’égard de ceux qu’ils nomment les barbares…
Le ministère des druides…
Ainsi César raconte que Toute la nation gauloise est très superstitieuse ; aussi ceux qui sont attaqués de maladies graves, ceux qui vivent au milieu de la guerre et de ses dangers ; ou immolent des victimes humaines, ou font vœu d’en immoler, ont recours pour ces sacrifices au ministère des druides…
Pline l’Ancien de son côté mentionne la disparition des druides, dont il qualifie les pratiques de monstruosités…

Les Gaules possédées par la magie…
Pline l’Ancien écrit encore… Les Gaules ont été aussi possédées par la magie, et même jusqu’à notre temps ; car c’est l’empereur Tibère qui a supprimé leurs druides et cette tourbe de prophètes et de médecins. Mais à quoi bon rapporter ces prohibitions au sujet d’un art qui a franchi l’Océan et qui a pénétré jusqu’où cesse la nature ?
La Bretagne cultive aujourd’hui même l’art magique avec foi et de telles cérémonies qu’elle semblerait l’avoir transmis aux Perses. Ainsi tous les peuples quoiqu’en discorde et inconnus les uns des autres, se sont accordés sur ce point.
On ne saurait donc suffisamment estimer l’obligation due aux Romains pour avoir supprimé ces monstruosités dans lesquelles tuer un homme était faire acte de religion, et manger de la chair humaine une pratique salutaire. (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXX, Traduction Littré (1846).

Des rites, des incantations et des prédictions
Dans la littérature irlandaise, on retrouve les traces de quelques rites et procédés divinatoires et incantatoires. Ainsi, la science qui illumine, Imbas forosnai, correspond à la consommation par le devin de la viande et du bouillon d’un taureau sacrifié.
Le vate celtique, spécialiste de la prédiction et de la divination, plonge ensuite dans un sommeil onirique, protégé ou provoqué par des incantations. Ce cérémonial est décrit dans un rituel d’élection royale. Pour la Manducation héroïque, le teinm laegda, le devin se mord le pouce sous la dent de sagesse et chante un quatrain divinatoire…

Le devin irlandais
En Irlande, le rôle du devin va devenir prédominant. On lui attribue diverses spécialités, comme conteur, satiriste, harpiste, échanson, historien, généalogiste, enseignant, juge, arbitre, médecin, chirurgien…
Ou encore on qualifie le devin de pratiquant des trois médecines – végétale, magique et sanglante – et aussi d’architecte ou d’ambassadeur… Mais dans la tradition irlandaise, le devin apparaît surtout comme un spécialiste de la prédiction, seule fonction sacerdotale accessible aussi aux femmes appelées parfois druidesses…
LES DRUIDES DISTINGUENT LA CIVILISATION DE LA GAULE CELTIQUE
Les peuples de la Gaule celtique cultivent des contacts avec la civilisation grecque… Tout en conservant leur indépendance et leurs particularités, les gaulois développent leur culture en étroite relation avec le monde grec, notamment par l’intermédiaire de Massilia (Marseille), fondée vers 600 avjc par des Grecs Phocéens. Les druides, très instruits, sont intimement unis à la civilisation gauloise celtique…

Le druidisme et les pythagoriciens
En Gaule celtique, les druides s’enrichissent de la philosophie grecque… Certaines conceptions spirituelles celtiques rappellent la pensée des pythagoriciens, dont la doctrine est fondée par le philosophe grec Pythagore (vers 580-495 avjc).
On retrouve ainsi l’idée d’un univers régi par les nombres, la croyance en une âme immortelle et la réincarnation en une succession de vies, l’interdiction d’écrire ou de représenter ce qui relève du sacré, dont l’enseignement, dispensé par les druides, se transmet uniquement oralement.

Les âmes ne périssent point
Dans La Guerre des Gaules, commentaires de César rédigés vers 52-51 avjc, le chef de guerre romain évoque ce qu’il connaît des druides.
Une croyance qu’ils cherchent surtout à établir, c’est que les âmes ne périssent point, et qu’après la mort elles passent d’un corps dans un autre, croyance qui leur paraît singulièrement propre à inspirer le courage, en éloignant la crainte de la mort…
Les Gaulois ont en effet la réputation d’être de redoutables et courageux guerriers… Dans les tombes celtes à char, l’élite gauloise se fait inhumer avec un mobilier funéraire qui se distingue par l’importance du service à boire, lié au banquet, et du char d’apparat ou de combat.
En dehors de son rôle de prestige, il est possible aussi que ce véhicule possède une dimension symbolique ou spirituelle en relation avec le passage dans l’au-delà…

César mentionne aussi certaines des connaissances des druides…
Le mouvement des astres, l’immensité de l’univers, la grandeur de la terre, la nature des choses, la force et le pouvoir des dieux immortels, tels sont en outre les sujets de leurs discussions : ils les transmettent à la jeunesse…
Les textes antiques, la tradition irlandaise et la littérature médiévale renferment également quelques bribes d’informations sur les druides. On évoque ainsi des pratiques médicinales, des arts magiques et incantatoires et les talents divinatoires de ces prêtres celtes devenus mythiques…

Les druides caractérisent la civilisation gauloise
Les druides gaulois sont intimement et traditionnellement unis à la civilisation celtique. Selon les dires de César, le druidisme a pris naissance dans la Bretagne, (actuelle Grande-Bretagne, la province de Britannia à l’époque Romaine).
Philosophes et savants, ces prêtres qui incarnent le sacerdoce participent à la vie sociale et façonnent les institutions politiques. Les druides exercent eux-mêmes la justice, alors séparée du pouvoir, et se chargent aussi de l’instruction des jeunes…
… On croit, poursuit César, que leur doctrine a pris naissance dans la Bretagne, et qu’elle fut de là transportée dans la Gaule ; et aujourd’hui ceux qui veulent en avoir une connaissance plus approfondie vont ordinairement dans cette île pour s’y instruire.

Le statut privilégié des druides
César précise que les druides bénéficient de certains privilèges et que l’on envoie auprès d’eux des jeunes apprentis afin qu’ils soient instruits à leur doctrine… Les druides ne vont point à la guerre et ne paient aucun des tributs imposés aux autres Gaulois ; …
… ils sont exempts du service militaire et de toute espèce de charges… Séduits par de si grands privilèges, beaucoup de Gaulois viennent auprès d’eux de leur propre mouvement, ou y sont envoyés par leurs parents et leurs proches…
César évoque un certain Diviciacus
Dans ses récits sur la Gaule, Jules César mentionne encore un certain Diviciacus, qu’il présente comme le chef des Éduens. L’élite des Éduens, peuple celte de Bourgogne (France), s’installe dans l’oppidum de Bibracte, un important carrefour commercial.
Les Éduens, alliés de Rome, installeront ensuite leur capitale à Autun. César ne mentionne pas lui-même que Diviciacus est druide, c’est le philosophe romain Cicéron (Ier siècle avjc) qui le précise dans ses écrits. Diviciacus serait à ce jour le seul druide historique connu.

Le sanglier de Lug et le cheval
Le sanglier est l’animal symbole de Lug, Le Lumineux, dieu druide suprême gaulois… Le cheval, très présent sur les statères gaulois, symbolise sans doute le prestige des grands chefs gaulois.
Mais le cheval, souvent associé sur les statères à des roues solaires, à des astres et parfois à la Lune, possède peut-être aussi une signification symbolique…
Dans l’Inde védique, à l’occasion de L’Asvamedha, qui désigne le rite de sacrifice du cheval, l’animal s’identifie au cosmos et au dieu Prajâpati, sacrifié pour créer le monde.
Ce rituel du cheval se rattache à la souveraineté royale universelle, au renouvellement du cosmos, à la fécondité et favorise la prospérité du royaume… Par ailleurs le Souverain universel de l’Inde ancienne est Celui qui fait tourner la Roue…

La statuette gauloise à la lyre
Une petite sculpture retrouvée à Paule, dans les Côtes-d’Armor, en France, mesure une quarantaine de centimètres. Le personnage porte autour du cou un torque, bijou typiquement celte et gaulois. Il tient entre ses mains une lyre pourvue de 7 cordes.
La taille modeste de l’instrument et la forme arrondie de sa caisse de résonance évoquent la lyre. Mais avec ses bras qui semblent s’intégrer à la caisse de résonance l’instrument rappelle aussi la cithare…
La barre transversale de la lyre, mobile et coulissante, sur laquelle passent les cordes, permet peut-être de raccourcir la longueur des cordes et de moduler les accords. En dehors des monnaies gauloises, cette statuette est l’un des rares témoignages montrant un instrument de musique à cordes en détail.

Cette figure gauloise était sans doute assise en tailleur à l’origine… une position qui rappelle celle des personnages représentés en méditation dans l’Inde ancienne, dès l’époque néolithique dans la vallée de l’Indus.
Voir aussi les articles Un panthéon gaulois et romain en Gaule (1) et Un panthéon gaulois et romain en Gaule (2)
Le torque, symbole de puissance magique ou divine
La statuette de Paule, retrouvée dans un profond fossé, est alors accompagnée de céramiques gauloises et de nombreuses amphores. Cette statuette à la lyre évoque peut-être une divinité ou un barde.
Les dieux gaulois sont parés d’un torque, un insigne de pouvoir qui renvoie à une force héroïque ou à une puissance magique ou divine… Par ailleurs, dans le druidisme, les druides bardes et les druides poètes perpétuent la tradition orale grâce à leurs poésies et à leurs chants…
D’après le dieu celte au torque, chaudron de Gundestrup, métal or et argent, Ier siècle avjc, Danemark, art celte ; un torque gaulois à tampons, bronze, Picardie, France, Gaule celtique ; et le torque de la statuette à la lyre, détail, Ier siècle avjc, Côtes-d’Armor, France, Gaule celtique. (Marsailly/Blogostelle)
La société celte se fonde sur une organisation sociale et religieuse tripartite. Gardiens de la tradition sacrée et chefs spirituels, les druides président au sacerdoce et à l’enseignement. L’aristocratie guerrière contrôle les territoires et assume le pouvoir politique. Les artisans et les cultivateurs produisent pour la communauté. Philosophes et savants, les druides sont les maîtres d’une tradition orale et poétique…
Bloc-notes + Des livre? Princes et princesses celtes, de Patrice Brun. Le Pays des Celtes, de Laurent Olivier, conservateur au Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Vercingétorix, de Jean-Louis Brunaux, archéologue, spécialiste de la civilisation gauloise.
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