Les résidences princières de Hallstatt
En Europe, dans un monde perturbé, le passage de l’âge du Bronze au premier âge du Fer ne se fait pas sans bouleversements. C’est en Autriche, en Suisse, dans le Nord-Est de la France et dans le Sud-Ouest de l’Allemagne que vont émerger les nouvelles civilisations de Hallstatt et de La Tène. Ces foyers culturels créatifs initient l’avènement puis l’apogée de l’âge du Fer et de l’art celte…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour novembre 2023 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Âge du Fer : vers 750 – 52 avjc. La civilisation de Hallstatt : vers 750 – 450 avjc. La civilisation de La Tène : 450 – 52 avjc. Conquête de la Gaule par César : 52 avjc. Chronologie Âge du Fer
CIVILISATION CELTIQUE DE HALLSTATT
La culture celtique émerge au premier âge du Fer. Après les turbulences de la fin de l’âge du Bronze, entre le VIIIe et le Ve siècle avjc, la richesse matérielle des princes guerriers s’accroît à nouveau. Le contrôle de l’artisanat s’organise et les contacts européens à longue distance se développent à l’époque de la civilisation de Hallstatt…

Des stocks de métal et des trésors…
Entre les IXe et VIIIe siècles avjc, les élites guerrières tentent d’organiser des pouvoirs centralisés et des espaces sécurisés… sans succès. Pendant ces périodes troubles de la fin de l’âge du Bronze, on constitue alors des dépôts de métal sous forme d’objets, de débris ou de bracelets-lingots pour parer à d’éventuelles pénuries d’or et de bronze.
Ces réserves de métal constituent des trésors. Les stocks sont cachés en attendant des jours meilleurs pour conserver des métaux devenus rares, notamment l’or et le bronze (alliage de cuivre et d’étain). Certains bijoux, lourds et massifs, s’apparentent à des lingots d’or.

Les réseaux de circulation sont très aléatoires et les marchandises sont difficiles à écouler dans un monde sans doute conflictuel…
Des dépôts de haches à douilles
À cette époque, le bronze peut contenir un pourcentage de plomb plus ou moins important pour compenser le manque de minerai de cuivre et d’étain, comme c’est le cas pour certains dépôts de haches à douille.
On a également retrouvé des objets de valeur dans des cachettes, comme la cuirasse de Marmesse (en bronze, IXe-VIIIe siècle avjc), une pièce de prestige et d’apparat qui provient d’un dépôt votif du Bronze final.

Avec l’âge du Fer, une nouvelle société voit le jour
Les commencements du premier âge du Fer
De profonds bouleversements amènent les sociétés de l’âge des métaux à se transformer. L’esprit guerrier prend de l’ampleur à l’époque des résidences princières de Hallstatt.
Ce phénomène va s’amplifier avec les oppida (singulier oppidum) celtiques de La Tène, au deuxième âge du Fer. L’oppidum est un site urbain fortifié de remparts et de fossés, et aussi un important carrefour commercial…

Aux commencements de l’âge du Fer, on pratique encore la métallurgie du bronze. Mais les perturbations des réseaux d’échanges et la difficulté à se procurer les minerais d’étain et de cuivre poussent les artistes et artisans à se tourner vers une métallurgie du fer, dont le minerai est beaucoup plus abondant.
L’Europe, berceau de la civilisation celtique
Au cours des deux premiers siècles de l’âge du Fer, c’est en Europe orientale que la civilisation dite de Hallstatt se développe, en Allemagne et en Autriche, où se trouve le site éponyme de Hallstatt. En France, c’est l’Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté, la Bourgogne et le Berry qui adoptent la culture du premier Âge du Fer…


D’après des détails : plaque de ceinture de Böblingen, bronze, Bade Wurtemberg, Allemagne ; et vase en terre cuite peinte, motifs géométriques ; période de Hallstatt, premier âge du Fer. (Marsailly/Blogostelle)
La zone Atlantique de la Gaule reste cependant, encore, en marge des nouvelles évolutions. À l’époque de Hallstatt, le Midi de la France, dont les régions sont contrôlées par les Celtes-Ligures et les colonies grecques, évolue lui aussi différemment…
L’aire culturelle et stylistique du premier Âge du Fer
Au cours de la période de Hallstatt, la parure féminine, par exemple, se distingue par des grandes plaques de ceinture en bronze ou en tôle fine, dont le décor est martelé, ciselé et poinçonné. Les artistes affichent une prédilection pour les frises, les décors géométriques et les répétitions de motifs stylisés…

Le style de Hallstatt et ses motifs géométriques
On retrouve alors des grandes plaques de ceinture en bronze, le plus souvent dans les tombes féminines, dans diverses contrées de l’Europe, en particulier dans l’Est de la France, la vallée du Rhin et le sud-ouest de l’Allemagne.
Ces ceintures-parures de l’époque de Hallstatt illustrent à la fois un style local et personnel et l’appartenance à une sphère culturelle européenne commune.
Les décors du style de Hallstatt sont le plus souvent rythmés par des frises de motifs géométriques variés, avec plus rarement des figures anthropomorphes (humaines) et parfois des motifs zoomorphes (animaliers). Les créations portant des spirales et des rouelles sont également nombreuses pour les bijoux et les poteries…

Certains thèmes iconographiques du néolithique et de l’âge du Bronze perdurent dans l’art celte, comme les motifs de rouelles et de spirales.
De Hallstatt en Autriche à La Tène en Suisse
À partir du Ve siècle avjc, le centre de rayonnement de la civilisation celtique se déplace vers l’Ouest de l’Europe. Notamment dans le sud-ouest de l’Allemagne, la majeure partie de la France et une partie du Benelux et de la Suisse, où se trouve le site éponyme de La Tène.
Cet ensemble géographique donne naissance au deuxième âge du Fer et en France correspond à ce que l’on a appelé La Gaule celtique.

Le mode de vie aristocratique d’une élite
Les élites celtes des sociétés du premier âge du Fer adoptent un mode de vie aristocratique fondé sur la guerre et le banquet… À cette époque, les riches personnalités se font inhumer dans des tombes individuelles sous tumulus, accompagnées de leur char et d’un imposant mobilier funéraire…
Princes et princesses celtes du premier âge du Fer
À l’époque de Hallstatt, dès le VIIIe siècle avjc, une élite guerrière cherche de plus en plus à se distinguer grâce à l’accumulation de richesses personnelles, et forme la nouvelle aristocratie du premier âge du Fer.


D’après une grande pendeloque à spirales ; et un bijou en or, à motifs géométriques, VIe siècle avjc, style de Hallstatt, premier âge du fer. (Marsailly/Blogostelle)
Ainsi, les hommes et les femmes de haut rang emmènent dans leur sépulture un trousseau funéraire bien garni. Le mobilier funéraire se compose alors d’une grande épée en fer, d’un rasoir en bronze, de parures, de pièces de vaisselle en bronze et en terre cuite…

Pièces de prestige et objets de valeur importés
En outre, au milieu des éléments de mobilier ordinaire, apparaissent des pièces de prestige comme des armes luxueuses et des bijoux précieux en or, en bronze, en ambre et en corail, et aussi des objets de valeur importés des régions méditerranéennes…
Au cours de l’âge du Fer, on érige des tertres funéraires
En France, dans le Lot, on a mis au jour les traces d’un tertre funéraire qui remonte au VIe – Ve siècle avjc… Dans la région des falaises de l’Isle Crémieu, dans les Alpes, on installe des habitats provisoires ou permanents dans des grottes ou sur les plateaux. Les lieux sont occupés pendant toute la période de l’âge du Fer. On construit des tertres funéraires le long du fleuve…

La disposition des pierres d’un tertre funéraire celtique évoque la roue et la rouelle…
Ainsi, le tumulus de Saint-Romain-de-Jalionas, érigé, vers 800 avjc, près d’un gué du Rhône, mesure 35 mètres de diamètre pour 2,50 mètres de haut. Cette sépulture celtique appartient à la société de la fin de l’âge du Bronze et du début de l’âge du Fer. Par la suite, la puissance princière du premier âge du Fer va grandir, s’affirmer et perdurer jusqu’au Ve siècle avjc…
La sépulture d’un chef “barbare”
En région Rhône-Alpes, la tombe de Saint-Romain-de-Jalionas abrite la dépouille d’un prince barbare inhumé avec ses armes et une riche collection de vaisselle. Abrité par une construction en bois, le défunt repose sur une banquette, allongé sur le dos. Ce chef celte est accompagné de sa grande épée en bronze, d’un couteau en fer et de ses bijoux…

Les bijoux et la panoplie d’un prince guerrier
Le mobilier funéraire de la tombe de Saint-Romain-de-Jalionas comprend, entre autres, des objets en bronze de fabrication locale mais aussi quelques vases hongrois et italiques. À cette époque, il existe une importante voie de circulation et d’échanges qui passe par les Alpes… Le défunt est pourvu d’un équipement personnel assez important…
Épée, couteau, baudrier…
Le chef barbare de Saint-Romain-de-Jalionas possède des bijoux en or : un large bracelet et un collier en fil torsadé. Une épingle fixe son vêtement. On a déposé à ses côtés sa panoplie guerrière composée d’une longue épée en bronze, à poignée coulée, avec son fourreau en bois…

… et aussi d’un couteau en fer, un objet encore rare à cette époque, avec son étui en cuir. Une pointe de flèche en bronze et les restes d’un baudrier complètent l’ensemble. Le baudrier est une large courroie en cuir qui se porte en bandoulière pour maintenir une épée ou un sabre.
Offrandes, service à boire et vaisselle en bronze
La tombe de Saint-Romain-de-Jalionas contient aussi des offrandes alimentaires. Les restes d’un animal, le couteau pour le dépeçage, un plat de nourriture, un chaudron rempli de boisson, avec une tasse pour puiser le liquide. Ces éléments laissent imaginer l’organisation d’un banquet funéraire ou cultuel.


D’après un vase italique en bronze et le mobilier funéraire de la tombe celte de Saint-Romain-de-Jalionas, IXe- VIIIe siècle avjc, Rhône-Alpes, France, premier âge du Fer. (Marsailly/Blogostelle)
Trois vases en bronze sont des objets précieux. Le chaudron porte un décor de canards schématisés qui rappelle le style Danubien. Un autre récipient arbore un décor géométrique plutôt de style italique. Les régions du Danube et l’Italie sont réputées, entre les IXe et VIIIe siècles avjc, pour leurs productions de vaisselle métallique…
CITADELLES ET TUMULUS EN PAYS CELTE
Dès le VIIIe siècle avjc en Europe, des élites celtiques contrôlent des territoires et organisent la centralisation du pouvoir. Elles vont mener la civilisation de Hallstatt à son apogée au VIe siècle avjc. Les princes de la civilisation de Hallstatt accumulent les richesses et contrôlent la redistribution des biens et des denrées…

Des citadelles et des tombes princières
À l’époque de Hallstatt, les matières premières, les objets de prestige, les matériaux précieux comme l’or, le corail ou l’ambre alimentent des échanges lucratifs…
En Europe occidentale, les peuples celtiques construisent de nouveaux sites d’habitations. Ce sont des citadelles associées à des tombes princières. Ces résidences fortifiées sont le plus souvent implantées en hauteur.

Des réseaux terrestres et fluviaux
Les citadelles celtes sont étroitement reliées à des réseaux terrestres de circulation et d’échanges. Les axes fluviaux ont également une grande importance stratégique, comme la Saône, la Seine, le Rhône, le Rhin ou le Danube. La majorité du mobilier des habitats, souvent fabriqué dans des matières périssables, a disparu.
Mais ces résidences fortifiées ne regroupent qu’une faible partie de la population, dont la grande majorité est formée par les paysans et les éleveurs, qui vivent dans les campagnes environnantes : leurs conditions de vie sont peu connues…
Inhumation ou dépôts de cendres
L’aristocratie celte se fait inhumer ou fait déposer ses cendres dans des tombes sous tumulus. À cette époque, on pratique l’inhumation comme l’incinération… Les tertres s’apparentent à de grands monticules circulaires soigneusement délimités, construits avec des pierres et de la terre.

Des tumulus individuels ou “dynastiques”
Des monuments jusqu’à 100 mètres de diamètre
Ces monuments funéraires peuvent atteindre jusqu’à 100 mètres de diamètre. Le plus souvent, les tumulus du premier âge du Fer protègent une chambre funéraire princière. Mais les tertres peuvent également accueillir plusieurs dépouilles de personnages de haut rang.
D’autres fois, on réunit sous un tumulus un groupe de défunts qui se rattache à la maisonnée d’un prince, à sa famille ou à sa lignée, ou encore les disparus d’un clan formant une sorte de dynastie…


D’après une fibule en bronze, VIe siècle avjc ; et les tombes celtes de la nécropole de Hallstatt, VIIIe au Ve siècle avjc, Autriche, premier âge du Fer. (Marsailly/Blogostelle)
Les 2000 tombes de Hallstatt…
Le village autrichien de Hallstatt, dans les Alpes, a donné son nom à la première civilisation de l’âge du Fer. Les princes de Hallstatt contrôlent l’exploitation des mines de sel et s’enrichissent.
Occupée du VIIIe au Ve siècle avjc, la très vaste nécropole de Hallstatt regroupe environ deux mille tombes. Les défunts ou leurs cendres déposées dans une urne sont accompagnés d’un important mobilier funéraire…
On s’entoure alors de céramiques, d’une riche vaisselle de bronze, de grandes épées hallstattiennes en fer – parfois incrustées d’ivoire et d’ambre –, de bijoux en or, et de nombreux objets en bronze, comme des pendeloques, des rouelles, des vases, des bracelets, des colliers, des figurations de bovidés, des épingles…

La citadelle de Heuneburg et son rempart
La citadelle de Heuneburg, au bord du Danube en Allemagne, se déploie sur trois hectares à l’époque de Hallstatt. C’est durant la dernière phase d’occupation de cette cité, que l’on abandonne les traditionnelles palissades au profit d’un rempart en pierres et en briques.
La tombe d’une princesse
Le rempart est alors construit selon les techniques méditerranéennes, avec un soubassement en pierres surmonté d’un mur en briques crues. Puis le rempart s’enrichit de tourelles. Parmi les tombes, celle de la princesse de Heuneburg contient des bijoux en or, bronze et ambre, des poteries, et un même cochon entier, offrande ou victuailles pour l’au-delà…

Voir aussi l’article Âge du Fer : les tombes celtes à char et leurs joyaux princiers
Des amphores proviennent de Massalia
Dans la citadelle celtique de Heuneburg, des activités artistiques, artisanales et marchandes animent les lieux… Certains habitants possèdent de la céramique grecque attique, des bronzes étrusques et des amphores destinées à contenir de l’huile ou du vin qui proviennent de Massalia (Marseille), dans le Sud de la France.
Les échanges commerciaux sont intenses à Heuneburg… La citadelle celte possède son quartier artisanal. On y pratique la métallurgie du bronze, la fabrication de céramiques locales et des artistes travaillent l’or, le corail ou des matières importées de la méditerranée et transformées sur place…
Voir aussi l’article Âge du Fer : l’art des bronziers et des forgerons en gaule celtique

Le char participe du rituel funéraire celte
Char sacré, char d’apparat, char de guerre…
Char cultuel associé à des divinités, char d’apparat, char de guerre… Déjà, à l’âge du Bronze, le char semble posséder une dimension sacrée et symbolique, comme le char du Soleil de Trundholm, qui remonte à 1400 ans environ avjc. Ce chef-d’œuvre, réalisé en bronze et en feuille d’or, porte le disque solaire…
À l’époque celte du premier et du deuxième âge du Fer, le char perdure dans les activités de culte. En outre, il apparaît aussi intimement relié au monde funéraire. Char de prestige ou de combat, sur lequel repose parfois le défunt, ce véhicule symbolise peut-être aussi le passage vers l’au-delà…

Technique de la cire perdue et chaudronnerie
Un char cultuel retrouvé en Isère, en France, remonte à la période de Hallstatt. Pour réaliser ce char de procession, l’artiste coule les quatre roues en utilisant la technique de la cire perdue, à l’aide d’un moule unique préalablement façonné en terre cuite.
En revanche, l’artiste crée la partie centrale, en forme de grand vase à boire, grâce à un travail de chaudronnerie. Un art que les Celtes de la Gaule maîtrisent à la perfection, de la période de Hallstatt à celle de la Tène, et longtemps encore pendant la période de la Gaule Romaine...

La scène cultuelle d’un char votif de la civilisation de Hallstatt montre des guerriers, des cerfs et une grande divinité centrale qui supporte un chaudron à frise de spirales. Le chaudron possède une dimension sacrée dans l’univers culturel celtique.
Voir aussi les articles L’univers spirituel des Celtes et des Gaulois et Les Dieux celtiques de L’Autre Monde… Sanglier, cerf, torque, roue, chaudron… et
Un terreau culturel commun unit les peuples celtiques…
Cela fait déjà longtemps que du côté du nord des Alpes les artistes et les artisans produisent des créations locales qui expriment une certaine unité stylistique. Fondé sur un terreau culturel commun, le premier âge du Fer va connaître des évolutions importantes…
Voir aussi l’article Âge du Fer, l’unité culturelle de la civilisation celtique

Les fortifications se multiplient dans les régions celtiques. La métallurgie du fer et la construction de tumulus pour les sépultures de l’aristocratie guerrière se généralisent. Les communautés se regroupent de plus en plus autour d’un même centre local contrôlé par une élite dominante et puissante…
À l’époque de la civilisation de Hallstatt, certaines tombes à char de l’aristocratie celte renferment de véritables trésors. Comme les sépultures des dames de Vix et de Heuneburg, et des princes de Hochdorf et de Lavau… En outre, les armes, la vaisselle et les bijoux retrouvés dans les tombes à char de l’âge du Fer illustrent la place importante occupée aussi bien par les hommes que par les femmes dans la haute société celte…
Article suivant Âge du Fer : les tombes celtes à char et leurs joyaux princiers
Des livres? Princes et princesses celtes, de Patrice Brun. Le Pays des Celtes, de Laurent Olivier, conservateur au Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.

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