Hindouisme : des ascètes et des mystiques…
L’Inde ancienne recèle de nombreuses richesses dans le domaine du sacré… Du brahmanisme à l’hindouisme, selon Mircea Eliade, les hymnes exaltent les pratiques des ascètes et des mystiques. Réalisée par les brahmanes, l’ascèse est assimilée à un sacrifice intérieur… Les brahmanes sont qualifiés d’habitants de la forêt… Ils vivent en retrait tout en restant les maîtres de leur maisonnée… Si la notion de sacrifice évolue dans le monde hindou, elle reste intimement liée au Feu, et au dieu du Feu sacrificiel et de la Lumière Agni.
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour décembre 2016 –

L’expérience de la lumière intérieure permet au rishi d’approcher le mystère de la création, et en même temps de saisir son propre mode d’être…
TEXTES SACRÉS DE L’INDE ANCIENNE
Le Rig-Veda (1028 hymnes en sanskrit) : entre 1500 ans avjc et 800 ans avjc. Les Brahmana (commentaires en prose des Veda) : entre les Xe siècle et VIIe siècle avjc. Les Upanishad védiques (textes sacrés en sanskrit) : entre le VIe siècles avjc et le IIIe siècle avjc. Le Vedanta (en sanskrit la fin des Veda) : entre 700 ans et 300 ans avjc pour les écrits les plus anciens. La Bhagavad-Gîtâ : IVe siècle avjc. Les Upanishad moyennes : entre 500 et 200 ans avjc.
L’ASCÈSE ET LA PUISSANCE SPIRITUELLE DU TAPAS
Dans les différentes doctrines de l’Inde, le Tapas désigne l’échauffement rituel et spirituel. Cette chaleur et cette ardeur intérieures sont produites par l’ascèse… C’est une notion hindoue essentielle qui transcende et régit la vie des dieux et des êtres humains…
Acquérir une puissance magique ou spirituelle
Mentionné dans le Rig-Veda, le mot tapas découle de la racine tap qui signifie échauffer, être bouillant, nous explique Mircea Eliade… Cet échauffement se rapporte dans la tradition indo-européenne à des idées de colère, de fureur et de chaleur extrême. L’échauffement se rattache aussi à des rituels associés à l’héroïsme…
Une très forte chaleur intérieure…
On retrouve également ce principe d’échauffement dans la pratique de certaines techniques physiques et mentales et dans l’usage d’aliments pimentés chez les hommes-médecine, les magiciens ou les sorciers des cultures dites archaïques… Dans tous les cas, il s’agit d’obtenir une puissance magique ou spirituelle qui implique une très forte chaleur intérieure…

Jeûne, veillée près du feu ou exposition au soleil et parfois consommation de boisson enivrante favorisent l’échauffement spirituel.
La pratique du tapas mène à l’extase spirituelle
Les indo-européens comme les peuples de l’Inde védique héritent sans doute d’un savoir ancestral préhistorique… Mais c’est surtout en Inde que l’échauffement rituel est valorisé avec une telle intensité.
La pratique du tapas peut mener le pratiquant jusqu’à l’extase… La tradition spirituelle évoque le tapas obtenu par l’ascèse par des expressions comme la cuisson ou le couvage… Cette idée rejoint aussi la symbolique du Feu obtenu par le frottement de deux baguettes de bois, qui évoque l’ardeur sexuelle de l’orgasme…
Le tapas engendre une puissance créatrice qui s’exerce sur plusieurs plans. Sur le plan divin, Prajâpati crée le monde en s’échauffant jusqu’à l’épuisement, comme après l’acte sexuel…

Le divin Prajâpati crée le monde en s’échauffant jusqu’à l’épuisement…, comme un principe premier de la pratique du tapas.
Le tapas, un préliminaire aux rites sacrificiels
Dans le monde hindou, le tapas participe aux préliminaires des rites sacrificiels les plus importants. C’est le cas dans la cérémonie d’initiation du jeune brâhmane.
Jeûne, veillée près du feu ou exposition au soleil et parfois consommation de boisson enivrante favorisent l’échauffement… La chaleur intérieure est provoquée également par des pratiques de rétention du souffle, comme dans certains rituels védiques ou dans le yoga…
La respiration s’identifie à une offrande ininterrompue
Le culte védique repose sur l’autel sacrificiel du Feu sacré et sur l’offrande aux dieux de soma et de beurre fondu… Avec la pratique de l’ascèse, il s’agit maintenant d’un acte de sacrifice intérieur…
L’effort psychique et physique du pratiquant se substitue aux objets cultuels. La respiration est comparable à une offrande ininterrompue… La doctrine évoque le Prânâgnihotra, qui désigne une oblation au Feu accomplie par la respiration.
C’est un thème que l’on retrouve dans les Sûtras, qui sont des écrits sous forme d’aphorisme, de sentences ou de traités qui concentrent des vérités fondamentales…

L’oblation au Feu accomplie par la respiration est comparable à une offrande intérieure ininterrompue…
Du microcosme (petit cosmos) au macrocosme (grand cosmos)
Dans les doctrines de l’Inde, les éléments cosmiques du macrocosme, sont mis en correspondance avec les organes du corps humain, le microcosme, et avec les objets du sacrifice…
L’autel, le Feu, les offrandes et les formules rituelles se rattachent toujours à une dimension cosmique… Et l’acte sacrificiel s’assimile à l’ascèse… En Inde, on évoque aussi les fruits du sacrifice et les différentes formes d’ascèse en relation au souffle… La technique de la rétention du souffle, en particulier, est reconnue comme supérieure…
LE MUNI, UN MYSTÉRIEUX PERSONNAGE CEINTURÉ DE VENT
Les ascètes, que l’on nomme les munis, et les pratiquants de l’extase, désignées comme les vrâtyas, sont peu mentionnés dans les textes védiques anciens. Ils semblent que ces personnages vivent en marge de la société des peuples Aryas. Certains d’entre-eux semblent considérés comme des étrangers, des autochtones ou des marginaux…

L’esprit de l’ascète en extase quitte son corps…
Dans le Rig-Veda, on rencontre un personnage dans lequel entrent les dieux… Il est décrit comme ceinturé de vent (c’est-à-dire nu) et portant de longs cheveux… Le muni déclare….
… Dans l’ivresse de l’extase nous sommes montés sur les vents…
On précise que le muni vole dans les airs… Il est le cheval du vent-élément Vâta et l’ami de Vayû le dieu du Vent… On raconte aussi que le muni réside aux deux océans, du levant au couchant… Comme pour les chamans, l’esprit de l’ascète en extase quitte son corps et peut comprendre la pensée des êtres semi-divins et des animaux sauvages…
Le groupe des Vrâtyas, des sages et des mystiques…
Les Veda mentionnent les expériences surnaturelles de personnages mythiques… Il s’agit peut-être d’ascètes ou de magiciens divinisés. L’idée de l’être humain divinisé ou de l’homme-dieu transparaît dans l’histoire spirituelle de l’Inde…
On mentionne un certain Ekavrâtya, l’archétype possible du groupe des Vrâtyas, qui sont des sages et des mystiques… Mystiques ou ascètes shivaïtes, précurseurs des yogis (ou yogin) ou marginaux dans la société des Aryas, ces personnages pratiquent une discipline du souffle en relation avec les diverses régions cosmiques.
Les Vrâtyas relient leur corps au macrocosme, le grand monde, c’est-à-dire le Cosmos. Pour eux, l’Univers s’appréhende dans une relation analogique avec l’être humain considéré comme un microcosme, un petit monde, reflet ou image du macrocosme universel…

Il semble que dès les temps anciens de l’époque védique, il existe déjà différentes formes d’expériences spirituelles, magiques ou mystiques…
Des ascètes, des magiciens ou des pratiquants de l’extase
En marge de la société védique, il existe des individus sur lesquels on est très peu renseignés par les textes… Mais ces personnages ascètes, magiciens ou pratiquants de l’extase trouveront finalement leur place dans l’Hindouisme.
Il semble que dès les temps anciens de l’époque védique, il existe déjà différentes formes d’expériences liées à des activités magico-spirituelles. La pratique de l’extase apparaît comme la continuation d’un état d’être provoqué par l’absorption de soma ou de substances enivrantes et se rattache à l’expérience mystique.
La pratique de l’ascèse annonce l’élaboration future des techniques du yoga. La pratique d’abandonner sa vie sociale pour aller se retirer dans la forêt et méditer se propage dès l’époque des Upanishads, vers le VIe siècle avjc…
Vrâtyastoma, le rite d’intégration au brâhmanisme
Dans l’Inde ancienne, il semble que les ascètes forment une importante confrérie… Un rite sacrificiel appelé Vrâtyastoma s’organise à l’occasion de l’intégration d’un nouveau membre au sein du brahmanisme…
Parmi les officiants se trouvent un mâgadha, un jeune homme chaste, ou bien un brâhmaçarin, un prêtre brâhmane célibataire et chaste, et une prostituée… Le mâgadha et le brâhmaçarin participent à un rituel lié au solstice…
Le mâgadha ou le brâhmaçarin s’accouple rituellement avec une prostituée comme époux et épouse : Je suis le Ciel tu es la Terre… On précise aussi que Vishnu prépare la matrice et Tvastri, l’artisan divin, façonne les formes…

Tvastri, l’artisan divin, façonne les formes. Vishvakarma comme Brâhmaçarin, Architectes de l’Univers, élaborent le plan cosmique…
Le Brâhmaçarin cosmique
Le Brâhmaçarin est un personnage cosmique qui peut être figuré par un initié à longue barbe revêtu d’une peau d’antilope noire… Il voyage de l’océan oriental, à l’Est, à l’océan septentrional, au Nord. Artisan universel, Brâhmaçarin crée les mondes… On le qualifie d’embryon au sein de l’immortalité.
Vêtu de rouge, le Brahmaçarin cosmique pratique l’échauffement ascétique, le tapas. Son représentant sur terre, prêtre brâhmane et célibataire, porte le même nom et se distingue par sa chasteté. Il participe au sacrifice Vrâtyastoma et à l’union sexuelle rituelle avec une prostituée…
De la Fécondité Universelle à la transmutation spirituelle
On retrouve le thème de l’union sexuelle rituelle de deux personnages dans d’autre rituels védiques comme l’Asvamedha, où l’union symbolique entre le cheval sacrifié (assimilé à Prâjapati) et la reine assure la souveraineté royale, la fertilité du royaume et la fécondité universelle…
Ce type d’union diffère de celui de la hiérogamie où il s’agit d’unir un dieu et une déesse avec des rites qui sacralisent la vie et l’être humain. Longtemps après l’époque védique, le tantrisme réinterprètera le thème de l’union sexuelle pratiquée dans le but d’une transmutation spirituelle…
LA GNOSE, UNE CONNAISSANCE D’ORDRE MÉTAPHYSIQUE
À la suite des écrits du Rig-Veda et des Brahmana, les Upanishad insistent sur l’importance de la Gnose. Cette Connaissance est présentée comme le moyen privilégié pour l’être humain de se libérer de l’Ignorance dans laquelle il se trouve enfermé, prisonnier de son aveuglement…

La pensée spirituelle des aranyakas se concentre sur le Soi, l’âme universelle. Son enseignement se transmet en secret, dans la forêt…
L’enseignements des aranyakas védiques
Les ouvrages des Upanishad appelés aranyaka semblent faire la transition entre la doctrine brâhmanique fondée sur le rite sacrificiel et une prédominance de plus en plus centrée sur les vertus de la connaissance cachée, la gnose… Le terme aranyaka signifie forestier et se rapporte aux enseignements des aranyaka védiques qui se transmettent en secret dans la forêt…
Le divin caché en l’être humain
La pensée spirituelle des aranyaka védiques se concentre sur le Soi, l’âme universelle, et sur les dieux cachés en l’être humain. L’importance du sacrifice ne se réduit plus au rite mais prend une nouvelle dimension intérieure.
Les offrandes du sacrifice sont toujours offertes aux divinités mais elles sont également dédiées aux dieux intérieurs. Selon les aranyaka, la finalité rituelle vise à une union spirituelle symbolisée par une conscience de soi identifiée au Soleil…
L’Intelligence du Principe
Les Upanishad mentionnent aussi l’Intelligence du Principe et mettent en avant la Connaissance, Nâna, et la compréhension du mystère divin. Même si la quête de l’expérience mystique ou de l’extase grâce à la pratique de l’ascèse reste essentielle pour les yogis, la puissance du sacrifice devient moins importante dans la vie spirituelle au profit de la quête d’une connaissance de nature métaphysique…

Grâce au rite et au tapas produit par l’ascète, le dieu Agni donne la chaleur qui rend clairvoyant…
L’ascète accède à la Connaissance cachée
L’univers spirituel hindou évolue… Grâce au rite, le tapas permet la renaissance du pratiquant et le passage du monde profane à l’univers divin. Mais l’ascèse favorise aussi la connaissance ésotérique, c’est à dire la révélation de ce qui est caché…
L’accès au sens ésotérique (secret) des mystères et des vérités profondes fait naître une clarté spirituelle. On dit que le dieu Agni donne la chaleur qui rend clairvoyant… La pratique de l’ascèse transforme le mode d’être et permet d’acquérir une puissance spirituelle surnaturelle, qui parfois peut même s’avérer redoutable ou démoniaque…
Voir aussi les articles Le Sacré en Inde, rituels, cosmogonie, doctrine védique ; Le Sacré en Inde, Prajâpati, Brâhman et Atman et Le sacré en Inde, la quête des rishis et des sages
La Connaissance-Vidya s’oppose à l’Ignorance-Avidya
Si la Connaissance est déjà mise en lumière dans les Veda (Veda signifie Savoir, Connaissance) et les Brahmana, c’est dans les Upanishad qu’elle prend une nouvelle dimension essentielle. La Connaissance ésotérique se rattache au sens caché et profond des rituels…
Cette Connaissance, Vidya ou Jnâna, est exaltée dans les Upanishad… Elle signifie une forme de science qui permet de déchirer le voile de l’Ignorance, qui emprisonne chaque être humain, en particulier les non-initiés aux Brahmana… Cette Connaissance renvoie à une réalité ultime d’ordre métaphysique et s’oppose à l’Ignorance d’ordre métaphysique nommée Avidya…
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