Le Sacré en Inde. Dans les Brahmana, l’univers, Brahman, l’Atman, les dieux et les êtres vivants émanent de Prajâpati

Prajâpati, Brahman et Atman

Les Brahmana auraient été rédigés entre 1000 et 800 ans avjc… Selon Mircea Eliade, les textes du brahmanisme mettent en lumière Prajâpati qui rappelle l’Un du Rig-Veda et l’Artisan Universel. Prajâpati possède la dimension métaphysique d’un grand dieu cosmique. Il crée l’Univers, il crée Brahman, il crée l’Atman (l’âme universelle), il crée les dieux et les êtres vivants. Les Brahmana renouvellent la spiritualité de l’Inde et fondent leur doctrine sur le rituel sacrificiel et de nombreux mythes. Brahma – Prajâpati s’identifie au temps cyclique et à l’autel du Feu.

Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour décembre 2024 –

D'après le thème de Brâhma - Prajâpati, principe créateur, cosmogonie de l'Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le thème de Brâhma – Prajâpati, principe créateur, cosmogonie de l’Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Époque védique 1500 – IIIe siècle avjc. Les Brahmana (commentaires en prose des Veda) : entre le Xe et le VIIe siècle avjc. 

LES BRAHMANA EXALTENT LE RITE SACRIFICIEL

Comme Purusa qui se sacrifie, Prajâpati se laisse immoler pour créer le Cosmos en s’épuisant jusqu’à la mort. Dans les textes brahmaniques, Prajâpati est assimilé à Purusa. Il est considéré comme l’Unité, comme la Totalité non-manifestée en tant que principe purement spirituel. Mais la doctrine brahmanique se préoccupe aussi du salut de l’humanité et de sa rédemption (sotériologie).

Prajâpati, grand dieu cosmique

Prajâpati crée le Cosmos par émanation de lui-même

Selon les Brahmana, le Désir, Kâma, motive Prajâpati à se reproduire et à se multiplier. Prajâpati pratique l’ascèse à un très haut degré. Grâce à cet échauffement spirituel, appelé tapas, il émane de lui une puissante chaleur et énergie créatrice…

Prajâpati crée par émanation de lui-même. Certains textes précisent que le Ciel sort de sa tête, l’Atmosphère de sa poitrine et la Terre de ses pieds. Ce thème se rapproche de celui de la sueur ou de la semence divine que l’on rencontre dans diverses cosmogonies anciennes…

D'après le thème de Prajâpati, principe créateur, cosmogonie de l'Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le thème de Prajâpati, principe créateur, cosmogonie de l’Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)

Prajâpati crée Brahman, l’Atman et les dieux

Au commencement Prajâpati crée Brahman, qui correspond à la Triple Science, les Trois Vedas. Veda signifie connaissance, savoir. Ensuite, Prajâpati crée les Eaux à partir de la Parole et les féconde pour se reproduire…

Un œuf apparaît et se développe… sa coquille devient la Terre… Prajâpati crée également les dieux pour peupler les Cieux et les Asuras pour peupler la Terre… Mais Prajâpati crée aussi des pendants de lui-même : l’Année, qui symbolise le Temps cyclique, et l’Atman, qui correspond à l’Âme Universelle ou Soi…

Les textes expliquent que les articulations du corps cosmique de Prajâpati sont les cinq saisons de l’année et les cinq assises de l’autel du Feu… On dit aussi que Prajâpati est l’Année et qu’il donne son propre Soi, l’Atman, aux Dieux… Ce sacrifice de lui-même justifie l’expression le Sacrifice est Prajâpati

D'après le thème de l'Autel du Feu brahmanique, Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le thème de l’Autel du Feu brahmanique, Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)

La chaleur de l’ascèse spirituelle

Prajâpati émet l’univers et les êtres vivants

Les Brahmana identifient Prajâpati à l’Univers, au temps cyclique, l’Année, et à l’autel du Feu.. La dispersion des émanations de Prajâpati pour créer les êtres vivants évoque une image sexuelle. Dans la conception spirituelle de l’Inde, la sexualité et l’ascèse sont intimement liées.

C’est la chaleur de l’ascèse, tapas, qui permet à Prajâpati de créer par émission de lui-même. Désarticulé par son épuisement, Prajâpati est guéri par les dieux qui sont des émanations de lui-même. Son corps cosmique est finalement reconstitué et régénéré grâce aux sacrifices et à la construction de l’autel du Feu…

L’Agnicayana, le sacrifice qui régénère le monde

Le Brahmanisme renouvelle le rituel védique en exaltant l’importance du sacrifice lié à l’autel du Feu, l’Agnicayana, qui renouvelle le monde et réactualise le sacrifice et la régénération de Prajâpati…

Ainsi, le brahmanisme se fonde sur le sacrifice de Prajâpati qui se consume et s’épuise en créant par échauffement ascétique des émanations de lui-même.

Deux manifestations spirituelles essentielles apparaissent et se développent à partir de ce mythe : le tapas qui désigne la chaleur produite par l’ascèse et Visrij qui qualifie l’émission divine créatrice.

Voir aussi l’article Le Sacré en Inde. Rituels, cosmogonie, doctrine védique

L’ATMAN, L’ÂME UNIVERSELLE

L’autel du Feu et le sacrifice restaurent Prajâpati dans son intégrité cosmique et assurent la continuation du monde. Mais le sacrifice permet également aux pratiquants du brahmanisme de créer leur atman, un être spirituel indestructible qui s’identifie et se fond dans l’âme universelle, l’Atman…

D'après le thème Brâhma - Prajâpati, axe cosmique et Pilier de l’Univers, Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le thème Brâhma – Prajâpati, axe cosmique et Pilier de l’Univers, Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)

Le mystère et la puissance spirituelle du rite

Dans les Brahmana, les dieux védiques ne sont plus au premier plan comme dans le Rig-Veda. Mais ils sont parfois liés aux puissances créatrices et magiques du sacrifice. Les écrits précisent que les dieux deviennent divins et immortels grâce au sacrifice.

L’officiant acquiert un nouveau mode d’être

La conception brahmanique se concentre sur le mystère et la puissance spirituelle du rite. L’origine et l’essence des dieux, le sacré, la connaissance, la vie sur terre, l’immortalité… ,se cristallisent dans la notion de sacrifice. C’est pourquoi les Brahmana insistent sur l’importance d’effectuer avec foi et correctement les rituels.

Outre sa symbolique cosmique, le sacrifice permet à l’officiant de gagner un nouveau mode d’être sur le plan spirituel. Quand le pratiquant de l’Agnicayana construit l’autel sacrificiel du Feu, il s’identifie à Prajâpati grâce à son acte rituel.

Une pleine intégrité de soi

Ainsi, l’officiant se construit un nouveau corps et peut s’élever aux Cieux. Il renaît et acquiert l’immortalité. Le dévot gagne aussi l’accès à une existence au-delà du temps après sa disparition sur terre. La finalité du rite est d’acquérir une pleine intégrité de soi que l’on conservera après sa mort…

D'après le thème de Brâhma - Prajâpati, régénéré après son épuisement, Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
D’après le thème de Brâhma – Prajâpati, régénéré après son épuisement, Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)

Le pratiquant construit son Atman

Le pratiquant du sacrifice rituel opère une transformation de lui-même par une réunification et une intégration spirituelle. Il réactualise en lui la restauration originelle de Prajâpati.

L’acte sacrificiel permet d’accéder à l’immortalité

Comme le dieu recouvre par le sacrifice la totalité de son être dispersé et épuisé par l’œuvre de création du cosmos, l’officiant construit son Soi, c’est-à-dire son Atman. Tous les éléments de sa personne son ainsi unifiés.

C’est aussi grâce à l’acte sacrificiel que le pratiquant accède à l’immortalité, à l’image exemplaire des dieux qui deviennent immortels par le sacrifice qui fait naître Brahman.

Voir aussi les articles Le Sacré en IndeDu rite à la métaphysique et La quête des rishis et des sages

Prajâpati, Brahman et l’autel du Feu

Les concepts de Brahman et d’Atman s’épanouissent dans les doctrines liées aux Brahmana. Prajâpati comme l’autel du Feu s’identifient au Rig-Veda et les syllabes des hymnes védiques sont assimilées aux briques de l’autel du feu…

L’autel du Feu et les 432 000 syllabes du Rig-Veda

Selon la tradition spirituelle de l’Inde, Brahman s’identifie aux 432 000 syllabes du Rig-Veda et à Prajâpati. Brahman s’identifie aussi à l’autel du feu sacrificiel et à l’édification de l’atman (soi) du pratiquant.

D'après un extrait des textes du Rig Veda, rédigé en sanskrit, entre 1500 ans avjc et 800 ans avjc, Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)
D’après un extrait des textes du Rig Veda, rédigé en sanskrit, entre 1500 ans avjc et 800 ans avjc, Inde ancienne. (Marsailly/Blogostelle)

Prajâpati, Brahman et Atman se confondent et résultent tous les trois d’une reconstruction et d’une unification : les briques de l’autel sacrificiel du Feu pour Prajâpati et Brahman, le corps et l’âme (ou psyché) du pratiquant pour l’Atman ou Soi.

Le mythe cosmogonique reste le modèle par excellence de la construction individuelle de l’Atman, le Soi. On retrouve ces conceptions dans les techniques du Yoga fondées sur le principe de concentration et d’unification des activités physiques, psychiques et spirituelles du Yogi…

Le prêtre brahmane s’identifie à Brahman

On retrouve une identité entre le Soi- Atman et Brahman dans les Upanihad. Dans les Brahmana, Brahman évoque le processus du sacrifice cosmique et la puissance mystérieuse qui maintient l’Univers.

Dans les Veda, Brahman est déjà présenté comme le principe immuable et impérissable qui fonde toute forme d’’existence :

Brahman symbolise le fondement de l’Être : Celui qui connaît le Brahman dans l’homme (l’être humain) connaît l’Être Suprême.

Axe cosmique et pilier de l’Univers, Brahman symbolise le fondement de l’Être. Parce qu’il connaît le mystère de l’Univers et la Parole qui l’exprime, le prêtre brahmane s’identifie à Brahman, assimilé alors à une incarnation éternelle du Dharma (loi universelle)…

Par la suite, la spiritualité de l’Inde évolue… Après une doctrine brahmanique fondée essentiellement sur la pratique du rite sacrificiel, les conceptions spirituelles de l’Inde vont mettre particulièrement en lumière la Connaissance. Il s’agit d’une connaissance d’ordre métaphysique ou gnose…

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Sommaire HISTOIRE DU SACRÉ

HINDOUISME TEXTES SACRÉS. Le Rig-Veda (1028 hymnes en sanskrit) : entre 1500 et 800 ans avjc. Les Brahmana (commentaires en prose des Veda) : entre le Xe et le VIIe siècle avjc. Les Upanishad védiques (textes sacrés en sanskrit) : entre le VIe et le IIIe siècle avjc. Le Vedanta (en sanskrit “la fin des Veda”) : entre 700 et 300 avjc pour les écrits les plus anciens. Les Upanishad moyennes : entre 500 et 200 avjc.

Le Rig-Veda, les Brahmana et les Upanishad constituent le Vedanta. De tradition védique : le Barattage de la Mer de Lait, le Mahâbhârata (IVe siècle avjc – IVe siècle) qui comprend La Bhagavad-Gîtâ (IVe – IIIe siècle avjc). Le Râmâyana, poème en sanscrit (IIIe siècle avjc – IIIe siècle).

RÉCITS MYTHIQUES HINDOUS. 1. Le Barattage de la Mer de Lait, récit cosmogonique hindou – 2. Le Râmâyana célèbre les exploits du prince Râma et Râma, héros divinisé du Râmâyana, libère le monde des démons – 3. Le Mahâbhârata une épopée mythique sacrément compliquée ; L’excellence guerrière d’Arjuna, grand héros du Mahâbhârata, se rattache aux dieux Indra et Shiva et Krishna enseigne à Arjuna la Bhagavad-Gîtâ, chant poétique et mystique

Mircea Eliade : Traité d’histoire des religions et Histoire des croyances et des idées religieuses. René Guénon : Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, et L’Homme et son devenir selon le Vêdânta.

Publié par Maryse Marsailly

Blogostelle : Histoire de l'Art et du Sacré. Civilisations, chefs-d'œuvre, mythes, symboles..., tout un univers s'exprime dans les œuvres d'art.

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