L’art celtique de la métamorphose

Entre le Ve et le Ier siècle avjc, à l’époque de La Tène, de nombreux objets de prestige accompagnent les membres de l’élite celtique et gauloise dans leur dernière demeure. Inspirés par leur imagination, par le monde végétal, par la nature et par le goût de la métamorphose, les artistes celtes créent des joyaux inédits. Par ailleurs, les peuples celtes poursuivent leur expansion…

Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Dernière mise à jour novembre 2023 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. La Tène ancienne : vers 450 avjc – 250 avjc. La Tène moyenne : 250 avjc – 120 avjc. La Tène finale : 120 avjc – 52 avjc. Conquête de la Gaule par César : 52 avjc.  Chronologie Âge du Fer

UN ART CRÉATIF, ORIGINAL ET VIRTUOSE

Les œuvres d’art réalisées à l’époque de la Tène, au deuxième âge du Fer, démontrent que les artistes du métal, héritiers des créateurs de la civilisation de Hallstatt et, auparavant, de l’âge du Bronze, élaborent de véritables pièces de joaillerie… Un savoir-faire technique pointu s’allie à un art inspiré par le monde végétal…

Des artistes et orfèvres de haute volée

Des artistes de haute volée

À l’époque de La Tène, entre les Ve et Ier siècle avjc, les membres de l’aristocratie celte collectionnent les pendeloques, les torques, les agrafes, les fibules, les boucles d’oreilles, les colliers de perles, les bracelets, les fermoirs, les poignards, les épées courtes, les céramiques…

Les riches commanditaires de l’élite gauloise favorisent ainsi le développement et l’abondance des créations artistiques. Il font appel à des artistes et des orfèvres de haute volée…

D’après une phalère, pièce de harnachement, bronze ajouré, Champagne, IVe siècle avjc ; torque en or, tombe de la Dame de Vix, Bourgogne, Ve siècle avjc ; et disque en bronze, tombe à char d’un enfant, Semide, région de Acy-Romance, Ardennes, Ve-IVe siècle avjc ; mobilier funéraire, La Tène, Gaule celtique, âge du Fer ; art Celte. (Marsailly/Blogostelle)

Un savoir-faire technique très pointu

L’imagination et la créativité des artistes s’expriment dans des compositions parfois extrêmement complexes servies par un savoir-faire technique très pointu. Un jeu de lumière et de mouvement anime les lignes et le graphisme des œuvres d’art…

Pour valoriser les pièces de prestige, les artistes utilisent beaucoup le bronze, dont ils exploitent la couleur dorée et lumineuse qui rappelle celle de l’or ou encore de l’or pour enrichir leurs créations…

Le goût des objets précieux

En France, on connaît les débuts de la période de la Tène grâce aux nécropoles champenoises. Leur style a parfois été qualifié de Marnien. L’apparition de chars de combat dans les tombes distingue la période des nouveaux chefs celtes et Gaulois.

Le char de guerre remplace le char funéraire de la tradition du premier âge du Fer… Le mobilier des sépultures met en évidence un esprit guerrier très affirmé et le goût pour les objets précieux, parfois importés de Grèce et d’Italie.

D’après une perle colorée, pâte de verre, Bretagne ; et une fibule en bronze, Manche, La Tène ancienne ; mobilier funéraire, Gaule celtique, La Tène,  âge du Fer. (Marsailly/Blogostelle)

Des pièces de prestige en Bronze

Les prémices du style celte sont visibles dès le Ve siècle avjc. Dans la Marne, en France, les sépultures de la Gorge-Millet, de Béru et de Cuperly contiennent un mobilier funéraire de La Tène ancienne. Les éléments des décors signent une fabrication locale.

Héritage de Hallstatt, motifs répétitifs et bandeaux

Les artistes reprennent la tradition répétitive de l’époque de Hallstatt, avec des compositions en bandeaux à motifs géométriques comme des hachures, des chevrons, des motifs de marqueterie, des esquisses variées…

L’art celte du métal, un exercice de style maîtrisé

Au cours de la période de La Tène, les artistes celtes développent leur intérêt pour le graphisme, les jeux de couleur et la mise en lumière sur des objets d’art très divers, des perles de verre aux bijoux en bronze ou en or.

Les gracieux motifs de rinceaux végétaux d’un bol en bois retravaillé à la feuille d’or annoncent le style végétal continu.

D’après un bol en bois retravaillé à la feuille d’or, IVe siècle avjc, La Tène, Gaule celtique, âge du Fer. (Marsailly/Blogostelle)

Dès les débuts de la civilisation de La Tène, les premiers témoignages de l’esthétique celte semblent résulter d’un art déjà achevé… L’art du métal est parfaitement maîtrisé. Les jeux de lumière sont une constante de l’art celtique et animent des créations très élaborées.

Les mouvements naturels des tiges et des feuilles

À la fin du Ve siècle avjc, une période d’expérimentation artistique débouche sur des compositions beaucoup plus complexes encore… La réalisation des petits objets en métal est de plus en plus soignée et les décors s’inspirent des lignes végétales, des rinceaux, des mouvements naturels des tiges et des feuilles…

Les enchaînements du style végétal

Une dentelle de métal

Des appliques de corne à boire en bronze ajouré provenant de la sépulture de La Bouvandeau, dans la Marne, en France, démontrent la grande habileté des artistes celtes. Créer des enchaînements d’esses dans le métal exige un grand savoir-faire technique et l’usage du compas.

Le graphisme s’inspire de l’univers végétal pour créer une dentelle de métal où s’enchaîne des esses et des lignes souples…, d’où l’appellation de style végétal continu...

D’après une bague en or, tombe d’Orval, Manche, La Tène ancienne ; un torque en bronze, motifs de esses, fin IVe siècle avjc, La Tène ; et le bouclier de Battersea, Tamise, Grande-Bretagne, Ier siècle avjc-Ier siècle apjc, La Tène, âge du Fer, art Celte. (Marsailly/Blogostelle)

Vigne et plantes grimpantes

On retrouve le même thème végétal sur une bague en or, avec un décor inspiré par les entrelacs de la végétation, comme ceux de la vigne ou de certaines plantes grimpantes… À côté des thèmes végétaux et des lignes spiralées, les artistes réinterprètent les influences venues des bronzes étrusques et des motifs orientaux, comme les esses.

L’originalité du style plastique

Des jeux de volume et de relief

Par la suite, la mise en lumière des décors évolue grâce à des jeux de volumes et de reliefs qui tendent à s’accentuer de plus en plus… pour aboutir finalement à l’exubérance du style plastique au IIIe siècle avjc. Les créations celtes sont parfois empreintes d’une touche quasi surréaliste…

Volatiles et palmipèdes vivants et expressifs

À côté des combinaisons abstraites et végétales, les artistes celtes interprètent aussi des thèmes figuratifs et animaliers. Ils affectionnent particulièrement les oiseaux et les palmipèdes ou bien les motifs zoomorphes ou anthropomorphes stylisés.

D’après une tête de palmipède, détail d’un casque gaulois, fosse du sanctuaire celte de Tintignac, Limousin ; et une anse de seau à tête d’oiseau, IIe siècle avjc, tombes de Bucy-le-Long, Aisne ; bronze, France, La Tène, Gaule celtique, âge du Fer. (Marsailly/Blogostelle)

Accentuation de quelques détails

Les artistes de La Tène ont l’art de donner une originalité à la figuration humaine ou animale grâce à l’accentuation de quelques détails. Les yeux prennent parfois une dimension expressive presque surréaliste…

Les figures modelées avec soin semblent dégager une puissante présence… Les artistes utilisent aussi fréquemment le corail ou l’émail pour créer des détails et agrémenter des parures ou des objets.

D’après une œnochoé, décor animalier, bronze, émail et corail, Moselle, IVe siècle avjc, France, La Tène, Gaule celtique, âge du Fer. (Marsailly/Blogostelle)

Le maître des animaux et l’arbre de Vie

Sur une fibule stylisée au décor ajouré, la figure centrale à l’aspect surnaturel rappelle le thème du Maître des Animaux. Les entrelacs qui l’entourent évoquent un motif arboré et le motif de l’Arbre de Vie. Des images que l’on rencontre aussi dans l’Inde ancestrale et en Mésopotamie.

Pour le Maître des Animaux voir aussi les articles Les sculpteurs et graveurs des cités de l’Indus ; Des peuples néolithiques du Levant… au génie de Sumer et La civilisation sumérienne, du Tigre à l’Euphrate… jusqu’à Suse

Des influences orientales et italiques

Une influence orientale se reflète dans certains motifs comme le sphinx, l’Arbre de Vie ou le Maître des animaux, transmis par les Étrusques. On rencontre aussi des compositions géométriques empreintes d’une influence italique, avec des éléments décoratifs comme le lotus, la palmette, l’esse ou la pelte…

Des visages empreints d’étrangeté

Par ailleurs, de belles fibules, des pendentifs, des bracelets ou des torques en bronze exploitent les lignes courbes et souples pour créer des formes qui apprivoisent la lumière. Des visages anthropomorphes, souvent empreints d’étrangeté, sont plutôt stylisés, interprétés dans un esprit proche de la caricature.

UN ART CELTIQUE AU GRAPHISME SUBTIL

Au cours des Ve et IVe siècle avjc, un art végétal distingue les parures et les objets d’art déposés dans les tombes de La Tène ancienne. Les créations de cette période expriment une unité culturelle et esthétique, un esprit commun au monde celtique. L’originalité des artistes celtes continue de s’affirmer au IIIe siècle avjc, puis perdure aux IIe et Ier siècle avjc…

Le vocabulaire du style végétal continu

Rinceaux, fleurs, palmettes, lotus, serpent, cornes…

Les artistes celtes excellent dans l’art du métal pour moduler des thèmes décoratifs en une infinité d’arrangements graphiques complexes et subtils.

Le créateur du casque d’Agris (découvert en Charente, en France) travaille à partir d’une coque de fer dont le couvre-nuque, à part, est fixé par rivetage. Le tout est recouvert de bronze et de feuilles d’or qui épousent les éléments d’un décor soigné jusque dans ses moindres détails.

D’après le Casque d’Agris, rinceaux, entrelacs et palmettes, fer, bronze, or et corail, style végétal, IVe siècle avjc, La Tène, Charente, France, Gaule celtique, âge du Fer. (Marsailly/Blogostelle)

À l’origine, l’orfèvre place des petites pièces de corail dans des alvéoles pour agrémenter encore le décor. Souvent disparus, les ornements de corail sont fixés par de la colle et des rivets d’argent, dont la tête en bronze est traitée à la feuille d’or…

Mouvement et métamorphose

L’artiste du casque d’Agris crée un décor sur plusieurs registres de motifs géométriques, d’esses et de triscèles. Il puise particulièrement dans le répertoire du style végétal continu inspiré par le monde naturel : palmettes et feuilles de différentes sortes, lotus et rinceaux. Les éléments décoratifs sont rehaussés de fils d’or bouletés

On peut voir des rinceaux se développer à partir d’une palmette dans un univers où les motifs jouent sur le mouvement et la métamorphose.

Les lignes souples des esses, palmettes et serpent

Ainsi, Le protège – joue (paragnathide) du casque d’Agris prend la forme d’un décor ajouré très élaboré, fondé sur un jeu graphique d’esses et de palmettes aux lignes souples. 

Le développement des motifs évoque ici le déploiement d’un serpent hybride et cornu. Le serpent à tête de bélier, animal fantastique, rappelle des déités celtiques que l’on rencontre avant comme après la conquête romaine…

Déités celtiques cornues et serpent

Le serpent à tête de bélier figure parmi les attributs de la divinité celtique coiffée d’une ramure de cerf que l’on peut voir sur le chaudron de Gundestrup (en métal or et argent, Ier siècle avjc, art celte, Danemark). On retrouve ensuite ce thème iconographique sur les représentations du dieu gaulois Cernunnos, à l’époque de la Gaule Romaine…

Voir aussi les articles L’univers spirituel des Celtes et des Gaulois ; Les Eaux, la forêt, la nature… nourrissent l’âme celte et Un panthéon gaulois et romain en Gaule (1)

Un art de l’illusion et de la métamorphose 

Un processus d’enchaînements des motifs 

Une très grande créativité anime les œuvres de La Tène. Les artistes semblent prendre plaisir à élaborer de véritables mises en scène graphiques. La ligne courbe et de savants jeux graphiques se généralisent.

Les casques gaulois d’Agris et d’Amfreville montrent comment les artistes créent des processus d’enchaînements qui se combinent les uns aux autres et avec d’autres motifs.

Chaque élément s’intègre comme la partie d’un tout

Les artistes celtes innovent complètement dans l’art de l’illusion et de la métamorphose… Chaque élément du décor s’intègre harmonieusement comme la partie d’un tout qui semble en mouvement, comme sur le casque d’Agris, le casque d’Amfreville, des bracelets à motifs de triskèles, des appliques en bronze…

De l’entrelacs végétal à l’exubérance plastique

Les motifs décoratifs créent une lecture multiple

Une lecture multiple des décors s’opère par la transformation, la fusion et la recomposition du dessin. Fonds et motifs deviennent finalement interchangeables selon le sens de lecture qu’on leur donne. Bandeaux, esses, triskèles, vagues, composition en rinceau et symétrie restent les constantes principales de cet art végétal…

D’après une applique en bronze, dit Dôme aux dragons, style plastique, tombe à char, Val d’Oise, IIIe siècle avjc ; et le casque d’Amfreville, bronze, émail, fer, et or, style végétal, Normandie, IVe-IIIe siècle avjc ; La Tène, Gaule celtique, âge du Fer. (Marsailly/Blogostelle)

Volume et exubérance

Les artistes celtes jouent sur la profusion des motifs qui forment un tout très harmonieux. Cet art de la métamorphose, de la lecture multiple et de la subtile combinaison des motifs se prolonge avec le style plastique.

Le style plastique se distingue par des formes très volumineuses, voire exubérantes, et des motifs globulaires. Les artistes celtes jouent sur des formes en volume, dont le traitement en relief permet de créer des figures parfois étranges ou proches de la caricature…

Du l’art de La Tène à l’art médiéval

Le goût celte pour des formes fantastiques ou caricaturales, pour les lignes courbes et les entrelacs, perdure malgré les influences romaines. L’esprit et le style celtique vont se perpétuer dans le temps… Selon certains auteurs, l’héritage de l’esthétique celte se prolonge jusqu’au Moyen Âge et aurait inspiré l’art roman…

DES CELTES CONQUÉRANTS

Les sources grecques et latines rapportent les importants mouvements migratoires des populations celtiques au cours des IVe et IIIe siècle avjc. Les tribus celtes dont la population augmente partent en quête de nouveaux territoires… pacifiquement ou non…

De l’Italie à la Côte Atlantique…

Au IVe siècle avjc, des tribus celtiques gagnent l’Italie du nord et la vallée du Pô. Ces peuples forment la Gaule Cisalpine. Une deuxième vague d’expansion se dirige vers l’Europe orientale et centrale, en Moravie, en Hongrie et en Bohême.

Les Celtes avancent également sur la façade atlantique française. Ils conquièrent cette région sans heurts en se mêlant aux peuples autochtones qui vivaient là en autarcie… Au IIIe siècle avjc, des nouveaux mouvements des populations celtiques les mènent en Asie Mineure.

Les Galates en Macédoine

Les Galates sont mentionnés par les auteurs grecs. Ces Gaulois envahissent la Macédoine vers 280 avjc (sac de Delphes, 279 avjc). Dans le Midi de la France, les Celtes s’installent en territoire Ligures qui adoptent la culture celte et forment le peuple celto-ligures. Puis les Gaulois mènent leur avancée jusque dans la péninsule ibérique…

Des Raids guerriers et des gaulois mercenaires

À l’époque de La Tène, les peuples celtes poursuivent leur expansion et conquièrent de nouveaux territoires. Parfois, des celtes rejoignent l’armée grecque ou s’intègrent à des populations locales.

Migrations, mercenaires et conquêtes

Une démographie de plus en plus importante et la recherche de nouveaux terroirs seraient à l’origine des migrations des peuples celtiques. Mais ce phénomène d’expansion prend diverses formes.

En Gaule, des guerriers gaulois rejoignent les armées grecques comme mercenaires, ce qui favorise parfois une installation. En outre, le processus d’expansion peut aussi se faire grâce à une intégration plutôt pacifique, comme en Italie ou en Bohême…

D’autres fois encore, des groupes celtiques se lancent dans des raids de conquête… Comme les Gaulois de Brennus qui, au  IVe siècle avjc, marchent sur Rome.

Quand les Gaulois de Brennus s’empare de Rome

Au IVe siècle avjc, les Gaulois de Brennus conquièrent une partie de l’Italie et s’associent à Denys, le tyran de Syracuse, pour tenter d’abattre Rome. Brennus s’empare de la cité romaine vers 380 avjc, à l’époque de la Tène en Gaule celtique.

Les guerriers gaulois mettent la ville de Rome à sac. Et au moment de peser le tribut en or, Brennus triomphant pose son épée sur la balance et clame Vae victis! : Malheur aux vaincus. Rome subit alors une grande humiliation sur son propre sol.

Puis les Romains reprennent le dessus et écrasent l’armée gauloise. Les Romains reprennent aux Gaulois leurs terres d’Italie et les repoussent jusque dans le Sud de la Gaule. Et trois siècles et demi plus tard, César riposte sévèrement à l’affront infligé par Brennus…

En 52 avjc, la conquête de la Gaule par Rome, menée par le chef de guerre romain, s’accompagne de tueries et de déportations, pour au moins 20 % de la population gauloise estimée entre 5 et 15 millions d’habitants.

Installés sur leurs territoires, les peuples celtes érigent des sanctuaires auprès des étendues d’eau et s’adonnent à des pratiques cultuelles qui sont mystérieuses et méconnues pour nous. En Gaule celtique, les artistes de La Tène du IIIe siècle avjc continuent d’exceller dans l’art du métal…

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