L’art proto-élamite se distingue
Au IIIe millénaire avjc, les peuples élamites du plateau iranien s’émancipent de l’influence sumérienne d’Uruk. Les spécialistes parlent d’un art proto-élamite qui s’épanouit et s’impose d’Anshan, au cœur de l’Élam, à Suse, dans la plaine. La civilisation proto-élamite s’éteint vers 2800 ans avjc. La cité de Suse réintègre alors la sphère culturelle sumérienne à l’époque des premières dynasties archaïques…
Par Maryse Marsailly (@blogostelle)
– Version 25 janvier 2025 –

REPÈRES CHRONOLOGIQUES. Sumer et Élam – Époque d’Uruk : 3700-2850 avjc – Époque de Djemdet-Nasr : 3000-2800 avjc. Époque proto-élamite : 3100-2750 avjc. Premières dynasties archaïques sumériennes : 2900 avjc – 2340 avjc. Chronologie Orient ancien
ANSHAN, NOUVELLE CAPITALE ÉLAMITE
Sur le plateau iranien, au IVe millénaire avjc, les montagnards du Fars fondent Anshan, nouvelle capitale au cœur de l’Élam. Au IIIe millénaire avjc, les populations élamites aspirent à exprimer leur culture et leurs caractères propres et s’affranchissent un temps de la civilisation sumérienne d’Uruk…

Les montagnards du Fars et Suse
Le pays élamite réunit deux peuples : les gens de la plaine qui vivent autour de Suse et les montagnards du Fars, situé au cœur de l’Élam, dans l’actuelle région de Chiraz.
Anshan, nouvelle capitale élamite
Les montagnards de la région du Fars descendus dans la plaine mettent fin à la domination de la brillante civilisation d’Uruk venue de Sumer. La nouvelle capitale élamite, Anshan (actuelle Tall-i Malyan ou Tepe Malyan), assoit un temps sa suprématie…

Les marchands élamites installent des relais
Les nouveaux venus imposent leur langue, dite proto-élamite, que l’on rencontre aussi sur des inscriptions. Mais les premières écritures du monde élamite diffèrent de celles du système sumérien.
Les marchands élamites installent des relais pour acheminer les matières premières dont la région a besoin, comme le lapis-lazuli depuis l’Afghanistan et parfois de plus loin encore…

Les animaux racontent des histoires
De Suse à Anshan, les graveurs de sceaux innovent
Comme les artistes sumériens, les graveurs élamites représentent aussi les personnifications des éléments naturels. Ces puissances apparaissent dans la cosmogonie comme les garantes de la stabilité du monde.
De Suse à Anshan, les graveurs de sceaux pratiquent une gravure en léger relief, dont le style empreint de vivacité renouvelle le sens du mouvement et de l’espace…


D’après une tablette de comptabilité, frises mythiques de lions et taureaux dompteurs, inscription proto-élamite, argile imprimée, Suse, 3100 -2600 avjc, Élam, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Une mise en scène allégorique des animaux
Une tablette de comptabilité, avec notations numérales et inscription proto-élamite, met en scène des créatures mythologiques avec des lions et taureaux dans l’attitude de dompteurs. Ailleurs, une empreinte de sceau montre des animaux faisant des comptes…
Dans le monde élamite, le répertoire iconographique des sceaux mise surtout sur une mise en scène allégorique des animaux, à la manière des fables. C’est à l’aide de ce répertoire animalier que les artistes d’Élam évoquent toutes sortes d’activités humaines.

Poterie, tissage, comptabilité, danse, musique…
Ainsi, des animaux représentés sur ses sceaux imitent des occupations humaines : comptabilité, poterie, tissage, danse, musique… Cette tradition artistique s’exprime encore à l’époque néo-élamite au premier millénaire avjc.
Sur une empreinte de sceau, un lion joue du tambourin, des chevaux de la harpe et de la double flûte, un autre animal esquisse un pas de danse. Dans une attitude humaine, chacun semble danser avec légèreté…

Voir aussi l’article La civilisation de Sumer et les brillants artistes de la cité d’Ur : objets précieux, mosaïques, récits animaliers…
Glyptique, statuaire, métallurgie
Des lionnes – atlantes supportent les montagnes du monde
Le motif des lionnes-atlantes dressées sur leurs pattes distingue également l’art proto-élamite. Sur l’empreinte de sceau d’une une tablette de comptabilité, une lionne atlante, encadrée par des taureaux accroupis, supporte les montagnes arborées du monde.



D’après des lionnes atlantes et taureaux, tablette de comptabilité, empreinte de sceau, argile ; graphisme proto-élamite, sceau et statuaire ; époque proto-élamite, 3100 – 2850 avjc, Élam, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Les montagnes sont suggérées par des pyramides en frise composées de boules ou d’écailles. Au-dessus de l’image, comme au revers de la tablette, sont inscrits des signes numéraux accompagnés d’inscriptions proto-élamites. On retrouve le motif de la lionne dans la statuaire…
Une statuette de lionne aux lignes modernes
Parmi les rares rondes-bosses (sculptures en trois dimensions) de l’époque proto-élamite, une figurine de lionne illustre le talent des sculpteurs de l’Élam pour créer des œuvres de très petites dimensions, parfois empreintes de modernité…



D’après la Lionne de Guennol, statuette, magnésite, période proto-élamite, 3300-2800 avjc, Élam, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Figure mi humaine mi animale
L’artiste sculpte et polit ce petit chef-d’œuvre de 8,3 centimètres dans du calcaire cristallin ou magnésite. Les formes ramassées de l’animal et le traitement du trait apportent à l’ensemble une note à la fois cubiste et surréaliste…
Cette figure mi humaine mi animale, découverte près de Bagdad, remonte à la période proto-élamite, vers 3300-2800 avjc. Provenant d’une collection privée (collection Guennol créée en 1947 par les Alastair Bradley Martin) la statuette a longtemps été conservée au Brooklyn Museum.

Un objet cultuel en argent
Un taureau en argent portant un vase à bec, sans doute un objet cultuel, témoigne de l’originalité de l’art proto-élamite, quand des animaux évoquent des activités humaines de la vie quotidienne. Le travail de l’argent illustre le talent des métallurgistes élamites de la fin du IVe millénaire avjc.
Le taureau présente un vase à libation
L’attitude du taureau agenouillé, enveloppé dans une robe à motifs ciselés, rappelle la posture des orants, personnages en prière ou en adoration. L’animal présente entre ses sabots un vase à bec, possible récipient à libation (offrande de boisson à des divinités) évoquant un acte rituel.

Possible hochet cérémoniel
Des cailloux à l’intérieur de l’objet laissent imaginer qu’il peut s’agir d’un hochet cérémoniel. Par ailleurs, des traces de tissu adhérant à la figurine suggèrent qu’elle a été enterrée intentionnellement, peut-être dans le cadre d’un rituel.
Dans l’art proto-élamite, les animaux évoquant des activités humaines peuvent illustrer des êtres mythiques, des personnages de fables, des forces naturelles…


D’après un objet cultuel, taureau portant un vase à bec, argent, proto-élamite, 3100-2900 avjc, Élam, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Suse oscille entre influences sumériennes et élamites
La civilisation proto-élamite englobe Suse et rayonne au-delà de la région du Fars où elle est née. Située à la lisière de la Mésopotamie et du plateau iranien, la cité de Suse, selon les époques, se rattache au monde culturel sumérien et mésopotamien ou à l’univers élamite iranien…


D’après un objet cultuel, taureau portant un vase à bec, argent, proto-élamite, 3100-2900 avjc, Élam, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Voir aussi l’article Proche de la civilisation de Sumer en Mésopotamie, la culture de Suse affirme son originalité en Élam
SUSE À L’ÉPOQUE DES DYNASTIES ARCHAÏQUES
La civilisation proto-élamite s’éteint vers 2800 ans avjc. La cité de Suse réintègre alors la sphère culturelle sumérienne à l’époque des premières dynasties archaïques (dites aussi présargoniques). C’est seulement au début du IIe millénaire avjc que renaît une grande civilisation élamite…

Un trésor caché dans l’acropole de Suse
Dépôt dit du Vase à la cachette
Des poteries, dont des jarres en céramique, proviennent d’un trésor enfoui dans les vestiges de l’acropole de Suse. Une acropole désigne des constructions fortifiées en hauteur qui comprennent le plus souvent des résidences royales et des temples.
Ce trésor dit du Vase à la cachette remonte au IIIe millénaire avjc, à la période des dynasties archaïques sumériennes en Mésopotamie.



D’après une jarre, céramique peinte, trésor du Vase à la cachette, acropole de Suse, vers 2450 avjc, Élam, Iran actuel, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Deux jarres emplies d’objets précieux
Le trésor dit du Vase à la Cachette rassemble céramique, cuivre, bronze, argent, or, albâtre et lapis-lazuli. Deux jarres d’une cinquantaine de centimètres renferment divers objets précieux. Il est possible que ces richesses soient à l’origine le tribut d’un vassal à un prince de Suse.
Les deux jarres se referment à l’aide d’un couvercle. L’une des céramiques possède un couvercle en terre cuite, l’autre dispose à l’origine d’un couvercle en cuivre (aujourd’hui disparu).



D’après une jarre, céramique peinte, trésor du Vase à la cachette, acropole de Suse, vers 2450 avjc, Élam, Iran actuel, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Le décor peint d’une jarre du trésor dit du Vase à la Cachette évoque un monde aquatique et fertile avec motifs ondulatoires, tortue, palmipède, oiseau, poisson…
Albâtre rubané et lapis lazuli
Par ailleurs, le trésor de Suse renferme vingt-neuf vases, dont onze en albâtre, un miroir, trois anneaux en or, un en argent, des perles en or, des outils et des armes en cuivre et en bronze. Les vases en albâtre sont en albâtre dit rubané.


D’après un vase, albâtre rubané ; grenouille, lapis lazuli, pendentif ; trésor du Vase à la cachette, acropole de Suse, vers 2450 avjc, Élam, Iran actuel, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
L’albâtre rubané provient probablement de la région du Sistan (ou Séistan), située à cette époque à cheval sur l’Iran et l’Afghanistan. L’albâtre rubané se distingue par ses belles veines très décoratives en forme de ruban.
Le trésor de Suse comprend aussi une grenouille sculptée dans le lapis-lazuli et une pierre semi-précieuse qui provient d’Afghanistan.

Des objets en cuivre et en bronze
Divers objets en cuivre et en bronze – outils, armes et vaisselle – viennent enrichir le dépôt de Suse. Certains objets en métal servent peut-être de poids ou de lingots. Les pièces en bronze sont réalisées grâce à l’alliage du cuivre et de l’étain, une technique déjà maîtrisée à cette époque. Le cuivre provient sans doute d’Oman, en Arabie.
Suse entretient des liens avec la Mésopotamie
Au milieu du IIIe millénaire avjc, Suse entretient des liens culturels étroits avec la Mésopotamie, toute proche. Suse développe aussi des échanges marchands avec l’Afghanistan, les régions du Golf-Persique et de l’Arabie, et jusque dans les lointaines contrées de l’Indus…

La touche des artistes de Suse
Les poteries du dépôt de Suse abritent aussi des sceaux-cylindres. Les sceaux les plus anciens remontent à l’époque proto-élamite (3100-2750 avjc).
Des étranges personnages
Une empreinte de sceau représente une scène d’élevage avec d’étranges personnages vêtus du kaunakès mésopotamien. Les visages de ces figures peut-être mythiques évoquent des becs d’oiseaux.


D’après une scène d’élevage, personnage assis vêtu du kaunakès, traite et nourriture, empreinte de sceau, argile, trésor du Vase à la cachette, acropole de Suse, vers 2450 avjc, Élam, Iran actuel, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
Les artistes de Suse cultivent leur style
D’autres sceaux, plus récents, sont réalisés vers 2450 avjc, à l’époque de la première dynastie d’Ur à Sumer. Les artistes de Suse continuent d’insuffler leur touche artistique propre dans la glyptique comme dans la statuaire. On retrouve sur une empreinte de sceau un personnage à tête en bec d’oiseau…

Un orant en albâtre
Une statuette provenant de Suse à l’époque des dynasties archaïques représente un orant debout, imberbe et les mains jointes. Le traitement du personnage se démarque des canons sumériens…
Le personnage sculpté en ronde bosse porte le kaunakès mésopotamien, une robe à franges qui couvre l’épaule gauche comme c’est la tradition pour les femmes et les rois. Cependant, l’absence de barbe, la stylisation géométrique du visage et le rendu de la figure signent l’originalité des artistes de Suse…



D’après un orant portant le kaunakès, statuette, albâtre, acropole de Suse, 2600 -2400 avjc, époque des dynasties archaïques, Élam, Orient ancien. (Marsailly/Blogostelle)
En Mésopotamie, au cours de la période des dynasties archaïques qui perdure cinq cents ans, les Sumériens élaborent le principe de la cité-principauté. Les royaumes ainsi fondés rivalisent pour conquérir la suprématie. Les artistes élèvent des palais et des temples, sculptent des reliefs commémoratifs, continuent de graver des sceaux-cylindres…
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Antiquités orientales : Le Metropolitan Museum of Art au Louvre : THE MET AU LOUVRE – THE MET NEAR EASTERN ANTIQUITIES IN DIALOGUE (29 février 2024 – 28 Septembre 2025). PDF : api-www.louvre.fr/sites/default/files/2024-04/MET-Mobile-EN.pdf

Une aventure ? L’épopée de Gilgamesh (Mésopotamie) : des tablettes du XIIIe siècle avjc racontent l’épopée de Gilgamesh en quête d’immortalité, un roi qui aurait régné vers 2600 avjc sur la cité d’Uruk (ou Ourouk )… Un livre ? L’Histoire commence à Sumer, de Samuel Noah Kramer (1956).
L’épopée de Gilgamesh : voir aussi l’article L’Orient ancien. Une mosaïque culturelle et artistique, littéraire et mythologique
